Salles de shoot, bonne ou mauvaise idée ? On tranche le débat avec des arguments scientifiques

L'utilité en termes de santé publique des salles de consommation à moindre risque, qui sont expérimentées en France depuis 2016, continuent de diviser la communauté scientifique.

Il en existe actuellement près d’une centaine de salles de consommation à moindres risques (SCMR), communément appelées salles de shoot, à travers le monde. Un de ces espaces doit ouvrir ses portes à Marseille en 2024. Des projets existent aussi à Bordeaux ou Lille. Leur utilité fait cependant toujours débat, autant que les nuisances redoutées par les riverains. Une partie de la communauté scientifique estime leurs effets positifs en termes de santé publique pour réduire les pratiques à risque et la transmission de maladies graves alors que d'autres spécialistes s'y montrent toujours farouchement opposés. Selon eux, ces lieux entretiendraient, voire augmenteraient la consommation de drogues, en offrant une facilité de consommation et incitant au rassemblement de toxicomanes.

Alors que deux réunions publiques se tiennent lundi 11 décembre et mercredi 13 décembre à sur le projet à Marseille, France 3 Provence-Alpes vous résument les arguments des deux camps.

Les arguments scientifiques "pour" 

Réduire les pratiques à risque. Les salles de consommation limitent les pratiques à risques, c’est le principal effet positif mis en avant les scientifiques de l'étude de l’Inserm, du CNRS, de l’EHESS et des universités d’Aix-Marseille, Strasbourg et Bordeaux, qui ont évalué premières SCMR déployées en France en 2016, à Paris et Strasbourg. Pour eux, il ne s'agit pas de légaliser la consommation de drogues "dures" comme l’héroïne, les opiacés, le crack et ses dérivés, mais de sécuriser leur usage par la fourniture de matériel stérile dans un espace surveillé et encadré par un personnel soignant formé. 

Ces travaux montrent une diminution importante du risque de transmission de maladies dans ces structures parmi les usagers qui consomment des substances par injection. "Il y a une diminution des pratiques à risque d'infection par le virus du sida et par le virus de l'hépatite C : moins d'échanges et d'utilisation de matériel usagé. Il y a également une diminution des overdoses non fatales, des abcès, des passages aux urgences, des délits et des injections dans l'espace public. Donc l'effet est globalement positif", a indiqué à franceinfo, un des auteurs, le Pr Laurence Lalanne, addictologue au CHU de Strasbourg.   

Limiter la transmission des maladies. En proposant un accès facilité à du matériel d’injection stérile à usage unique, sous la supervision d’un personnel formé, les salles de consommation limitent le partage d’aiguilles ou de seringues, un des principaux facteurs de risque de transmission des virus du VIH et de l’hépatite C en France.

"Alors que plus de 25 % des participants déclaraient être infectés par l’hépatite C, les résultats de cette étude montrent que 1 % des participants ayant accès aux salles de consommation déclaraient être susceptibles de partager leur équipement d’injection contre 11 % de ceux n’ayant pas accès à ces lieux. Cela représente une diminution de 90 % du risque de partage de matériel par les SCMR, souligne Marie Jauffret-Roustide, chercheuse à l’Inserm et co-autrice de l'étude. Ce qui montre que, dans le contexte de soin français, ces lieux auraient un impact positif sur les pratiques à risque infectieux de VIH et d’hépatite C."

"On espère réduire le nombre et la survenue de ces pathologies gravissimes en encadrant la consommation de drogue, en mettant à disposition des locaux qui ne sont pas sordides, du matériel stérile, et une équipe médicale apte à conseiller et prête à intervenir en cas d’urgence", argumente la psychiatre et addictologue, et ex-élue socialiste, Sylvie Geismar-Wieviorka, favorable, elle aussi, aux salles de consommation. 

Réduire les overdoses et les décès. D’après l’Inserm, entre 200 000 et 250 000 individus consomment régulièrement des drogues injectables. On estime que les overdoses font entre 300 et 400 morts par an en France. 

Selon les chercheurs de l'Inserm, la probabilité de faire une overdose est réduite de 2 % en SMCR, et le risque de finir aux urgences de 24%. "On sait qu’il y a des personnes qui décèdent en attendant, c’est une urgence", alerte Marc Auriacombe, chef du service d’addictologie de l’hôpital Charles Perrens à Bordeaux, qui a piloté l’une des équipes de recherche dans le cadre de l’étude, interrogé par 20 minutes

Les arguments scientifiques "contre" 

Une incitation à consommer. Le principal argument avancé par les opposants aux SCMR est qu’elles encourageraient selon eux la consommation de drogues en l'accompagnant. Pour certains, cela reviendrait même à cautionner, légitimer, voir inciter institutionnellement l’usage de substances illicites, et d’entretenir l’addiction et de faciliter les usages de drogues dures. Les Académies nationales de médecine et de pharmacie ont fait savoir leur opposition aux salles de consommation aux rapporteurs de la mission Flash de l'Assemblée nationale en juillet 2021. Antoine Coquerel, professeur honoraire de Pharmacologie, professeur des Universités et praticien hospitalier du CHU et de l'Université de Caen-Normandie, expliquent que ces salles "n'ajoutent pas d'intérêt au dispositif de prévention du risque infectieux", et ne présentent "pas d'amélioration au traitement des toxicomanies." "Nous sommes inquiets sur le risque d’une prochaine multiplication des SCMR qui, dans leur gestion actuelle, pérennisent les toxicomanies", déclare l'Académie nationale de pharmacie. 

Un frein à la sortie de la drogue. Avis partagé par le thérapeute François Diot, ancien chef de service d’un Centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (CAARUD), qui a exprimé son opposition aux SCMR à plusieurs reprises dans Le Figaro. Il estime que "la réduction des risques reste nécessaire", mais pour lui "le discours de ses promoteurs sont un frein au soin et à la sortie de l'usage de drogues" "La politique actuelle d'ouverture d'autres salles de consommation enferme le toxicomane dans son environnement", ajoute-t-il.

Ne pas être caution de pratiques illicites. En 2013, sans s'opposer à l'expérimentation prévue en France, le conseil national de l'ordre des médecins avait émis des réserves sur ces structures, estimant que, avec de tel lieu de consommation encadré, "on cautionne l’injection de produits illicites" et "on véhicule un message fort permissif pour les jeunes". Le CNOM posait par ailleurs la question de la responsabilité juridique du personnel médical sur place, notamment en cas de complication d'une overdose ainsi que les implications légales qui pourraient en résulter.

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