Au tournant des années 2010, des milliers de Français ont investi dans l'immobilier en achetant des chambres d'Ehpad, espérant obtenir des revenus complémentaires pour leur retraite. Pour beaucoup, l'affaire a viré au cauchemar.
Il en a gros sur le cœur, Jean-Michel Agnoux. Beaucoup moins dans le portefeuille. Il suffit de le suivre à Marseille, dans la chambre d'Ehpad laissée à l'abandon dont il est propriétaire, pour comprendre son désarroi : "Voici mon investissement, souffle-t-il d'un ton las, désignant l'espace contigu où les meubles s'empilent dans un coin, faute de résident pour occuper les lieux. Au total, 235 000 euros, pour 22 mètres carrés."
Cette somme, Jean-Michel Agnoux s'est engagé à la rembourser en 2007, au moment de signer l'achat de cette chambre d'Ehpad, en présence d'un notaire. À l'époque, ce salarié de l'audiovisuel flaire le bon coup. Ce devait être "un investissement archi-sûr", se souvient-il auprès de Jean-François Giorgetti pour France 3 Provence-Alpes. Pouquoi n'aurait-il pas foncé les yeux fermés ?
Déjà, l'établissement présente bien : la mer est là, bleu azur, en contrebas. Et puis, dans ces années-là, ce type d'investissement est à la mode. Les publicités sont agressives, les conseillers financiers très bien commissionnés. Leurs arguments semblent imparables : achetez votre chambre d'Ehpad, vous pourrez défiscaliser, avoir la certitude de percevoir vos loyers, et laisser l'organisme gestionnaire de l'établissement s'occuper de tout.
Le début du cauchemar
Quinze ans plus tard, Jean-Michel Agnoux se mord les doigts. Pour cet achat, il continue de débourser 1 200 euros par mois, s'aquitte des charges de copropriété, des impôts. Mais sa chambre ne vaut plus rien. Une coquille vide.
Elle est officiellement inoccupée depuis le 31 décembre 2019, date à laquelle DomusVi, gestionnaire de l'Ehpad, décide de plier bagage, préférant laisser l'établissement à l'abandon et transférer les résidents vers d'autres sites.
"Notre priorité absolue est le bien-être et le confort au quotidien des personnes âgées qui nous sont confiées, de leurs familles et de nos collaborateurs, réagit DomusVi dans un communiqué, au sujet de ce déménagement. Cette priorité s’exprime entre autres par nos locaux pour lesquels nous avons des hauts standards de qualité, d’où le besoin de déménager quand ceux-ci ne correspondent plus à nos engagements et au bien-être des personnes âgées. Les déménagements se font uniquement dans l’intérêt des résidents, des familles et de nos collaborateurs qui, par ailleurs, plébiscitent ces déménagements à plus de 98% (...). De plus, un projet de déménagement ne se décide pas du jour au lendemain : il est pris après plusieurs études et est communiqué aux copropriétaires, validé par l’ARS et le Département."
Dans cet Ehpad aujourd'hui abandonné, quarante copropriétaires possédant quatre-vingt chambres s'estiment lésés, prisonniers d'un improbable statu-quo juridique. En France, ils sont un millier dans le même cas, sur les quelque 30 000 épargnants ayant investi dans ce modèle économique.
"Il y a eu 40 à 50 Ehpad abandonnés depuis dix ans, se désole Didier Riebel, président de l'Ascop-Ehpad, une association nationale s'étant créée suite à la multiplication de ce genre d'affaires. Tous les gestionnaires privés sont concernés."
Environ 250 millions d'euros investis partis en fumée
Pour les propriétaires, l'impasse est totale : ils n'ont pas la possibilité de louer les chambres disponibles à des particuliers. La solution ? Qu'un groupe privé réinvestisse l'Ehpad abandonné. À Marseille, plusieurs ont été sollicités/ Tous ont reculé, face à l'importance des travaux qu'il faudrait mettre en œuvre pour remettre l'établissement à niveau.
L'Ascop-Ehpad, qui en appelle aux pouvoirs publics afin de trouver une solution, estime que 250 millions d'euros investis par de petits propriétaires sont ainsi partis en fumée.
"Au moment où la demande d'hébergement en Ehpad va fortement augmenter avec le vieillissement de la population, il est urgent d'assainir et de sécuriser ce marché pour les épargnants qui souhaitent continuer à soutenir ce secteur d'intérêt général", conclut l'association dans un communiqué.