Créée en 2018 par l'association Astrée, la Journée des Solitudes a lieu tous les ans, le 23 janvier, pour sensibiliser le public à un fléau souvent invisible, qui touche pourtant un Français sur trois.
Chaque semaine, Patrick Bouchard prend une heure et demie de son temps pour rencontrer Laurent*. Ils se retrouvent au jardin du parc Longchamp à Marseille. Ils pourraient passer pour deux amis qui papotent sur un banc. "Je lui demande comment s'est passée la semaine, explique-t-il, la base de l'aide qu'on apporte, c'est une écoute". Patrick Bouchard a 60 ans, il est ingénieur territorial à la mairie de Marseille. Depuis un an et demi, il est aussi bénévole à l'association Astrée, qui organise, ce mardi 23 janvier, la journée des solitudes.
Un accompagnement individualisé sur la durée
"Aujourd'hui, la société est anxiogène, elle est source d'isolement, et c'est dur de trouver les moyens de recréer du lien". Pour lui, qui a déjà œuvré au sein de SOS Amitié, l'originalité de cette association, c'est l'accompagnement individualisé, toujours en face à face et sur une longue période, qui peut aller de douze à dix-huit mois. "Ça crée une relation forte", souligne-t-il.
"Les gens qui nous appellent sont des gens qui se trouvent très seuls et souffrent beaucoup, ils ont besoin de pouvoir en parler à quelqu'un qui prendra le temps de les écouter ", indique Jean-Pierre Bratanoff, le référent Astrée à Marseille. "D'avoir quelqu'un, à qui vous pouvez vraiment exprimer tout ce que vous avez à dire, et savoir que cette personne sera sans jugement et empathique, pour eux c'est vraiment important". Et c'est parfois plus facile de s'ouvrir à quelqu'un qui ne soit ni de la famille, ni un ami, ni un psy.
"Garder la bonne distance"
Depuis décembre 2022, Patrick accompagne Laurent, 55 ans, qui n'a plus de contact avec sa fille et se sent très isolé depuis la mort de ses propres parents. Le bénévole, qui n'est ni un parent, ni un ami, encore moins un thérapeute, doit trouver sa juste place pour accompagner la personne en souffrance "avec empathie", lui permettre de "prendre appui pour cheminer", sans pour autant s'immiscer dans sa vie et ses décisions. Le bénévole doit aussi se protéger pour ne pas être "une éponge" des émotions de la personne qu'il accompagne. Pour Patrick, le maître-mot, c'est "garder la bonne distance". Les bénévoles sont spécialement formés pour cela. Une fois par mois, ils se réunissent pour échanger sur leurs expériences. "Les groupes de partage sont essentiels, surtout que l'accompagnement se fait sur du long terme avec la même personne, note Patrick Bouchard, si on est en souffrance, on en parle aux collègues, sinon on se met en danger".
L'autre risque, c'est "de tomber dans une relation amicale classique où on va être trop dans l'affectif, ça n'a plus l'effet de l'accompagnement, basé une écoute empathique qui permet à l'autre de trouver ses propres solutions", estime Patrick. L'accompagnement pour lui doit être "un moteur", comme "une locomotive qui entraîne les wagons". "Si on est stable et à la bonne distance, ça peut avoir un effet stabilisateur pour la personne en souffrance, elle peut prendre appui dans la force qui est dans l'autre".
La solitude par manque d'autonomie
Quand la confiance s'est instaurée, le bénévole peut être amené à recevoir des confidences très intimes. Toute la difficulté est de créer une vraie relation, sans tomber dans l'attachement ou la dépendance affective. Et pour cela, il faut savoir y mettre fin. C'est ce qu'a vécu Patrick en ce début d'année. Il a dû "construire la séparation sur trois ou quatre mois" avec Laurent, déjouer ses "résistances" pour tenter de prolonger l'aide de quelques mois. C'est "indispensable de construire la séparation" pour qu'elle ne soit pas déstabilisante. "Ça permet de rendre l'autonomie à l'autre". Pour Laurent, c'est par exemple de pouvoir "se rendre seul au cimetière sur la tombe de sa mère, alors qu'il ne pouvait pas y aller avant".
Selon Patrick, la solitude n'est pas seulement un isolement social, c'est souvent une souffrance liée au manque d'autonomie. "Quelqu'un d'autonome peut être seul, bien le vivre et donc être heureux".
Patrick Bouchard va bientôt démarrer un nouvel accompagnement. Sur Marseille, l'association Astrée compte 17 bénévoles qui accompagne 22 personnes en souffrance. "Les chiffres ne sont pas impressionnants, ce qui l'est, c'est qu'on les voit toutes les semaines pendant des mois", insiste Jean-Pierre Bratanoff, le référent local. L'association, qui ne peut pas répondre à toutes les demandes d'aide, recherche des bénévoles.
*Le prénom a été modifié