Mathieu voulait étoffer sa barbe, il s'est fait faire une greffe à Istanbul. Mais l'opération esthétique a échoué et le jeune homme de 24 ans s'est suicidé. Son père témoigne.
Il avait mal en permanence, il disait "vous m'avez tué la tête". Après son opération de chirurgie esthétique, l'étudiant ne se reconnaît plus. Il tombe très vite dans un trouble dysmorphique, un mal qui le poussera à mettre fin à ses jours quatre mois après l'opération. À Aubagne, Jacques Vigier-Latour, son père, raconte cette histoire pour qu'elle ne se reproduise pas.
Le chirurgien était en fait un agent immobilier
Le tourisme médical à moindre coût bat son plein en Turquie. Les prix appâtent des clients. 1300 euros la greffe, c'est en moyenne cinq fois moins cher qu’en France. Une manne qui a rapporté au pays plus de deux milliards d’euros, l'an dernier. Mathieu avait choisi une clinique agréée par le ministère de la Santé. Mais quand il se réveille, il ne se reconnaît pas. Après l'opération, Mathieu fait des recherches sur le chirurgien, "c'était en fait un agent immobilier".
La famille va chercher pendant deux mois un médecin qui peut réparer cette intervention loupée, mais n'en trouve pas en France. On propose des tatouages à Mathieu pour camoufler les dégâts. Le père de Mathieu raconte qu'il se grattait énormément "il disait, regardez, vous m'avez enlevé trop de cheveux, vous avez détruit ma vie. Mon fils avait mal, ça le brûlait sous la barbe, derrière la tête, jour et nuit".
Il ressemblait à un hérisson
En Belgique, Jean Devroye est médecin spécialiste en greffe capillaire depuis 25 ans. Il prend en charge le jeune homme. Une partie de son cuir chevelu ne se remet pas de la greffe de barbe, car 900 bulbes arrachés ne repousseront jamais.
La barbe de Mathieu est mal dessinée, trop régulière, elle ne paraît pas naturelle. Et puis les poils sont mal implantés, au lieu d'être en biais, ils poussent tout droit, comme un hérisson. Mais l'étudiant en école de commerce ne se voit pas tel qu'il est. Il souffre d'abord d'un choc post-traumatique puis de dysmorphisme, un décalage pathologique qui déforme la réalité et la manière dont on perçoit son corps.
Le docteur Jean Devroye témoigne : "J'ai vu bien pire. J'ai vu des choses horribles. C'était chez lui relativement facilement corrigeable. On était en train de le corriger." Le médecin pense que la raison principale de son tourment est d'avoir eu le sentiment d'avoir été trompé par une clinique du marché noir et de ne pas avoir été respecté par des gens sans scrupules. Son état psychologique lui donne la sensation qu'il n'est pas écouté, qu'il se plaint pour des choses qui ne sont pas réelles.
Ces deux hommes veulent faire tomber la Mecque de la greffe
Le père de Mathieu contacte les médias pour que ça ne se produise plus, "si ce témoignage pouvait éviter que ça se reproduise, alerter tout le monde, je pense que ce serait rendre hommage à Mathieu".
Le docteur Devroye affiche la même volonté "C'est étonnant que les Français qui sont quand même informés et intelligents, se laissent berner par cet appel de l'argent. Ce qui est très fort, c'est qu'ils (les praticiens turcs, NDLR) ont réussi à faire croire que c'était la Mecque de la greffe de cheveux. Au début, c'était assez incroyable, ils prenaient les résultats de spécialistes de très haut niveau, au Canada par exemple, ils pompaient toutes leurs photos, et n'avaient aucune hésitation à montrer des photos qui ne sont pas les leurs."
Opéré le 2 mars 2024 à Istanbul, Mathieu a mis fin à ses jours le 9 juin dernier, dans sa chambre d'étudiant à Paris.
Article rédigé avec Virginie Danger et Romain Perich.