Andréas souffre d'une forme d'oligodontie sévère extrêmement rare. Cette affection génétique dentaire nécessite un traitement lourd et complexe de greffes et d'implants pour remplacer 14 dents définitives manquantes à la naissance. Ces soins, très coûteux, sont très peu remboursés par la sécurité sociale.
Andréas a 17 ans et il voudrait croquer la vie à pleines dents. Depuis qu'il a huit ans, il se sait différent. Quand il rentrait de l'école, il questionnait sa mère : "Pourquoi tous mes copains ont perdu leurs dents et pas moi ?". Pour être comme eux, Andréas a même commencé à les arracher luà l'occasion de la 17ᵉ journée mondiale des maladies rares le 29 février.
"Andréas a une mâchoire de bébé, il va falloir lui faire une greffe pour élargir sa mâchoire et lui mettre des prothèses", a expliqué le dentiste de ville à la maman d'Andréas à l'annonce du diagnostic. Le petit garçon a alors été orienté vers le centre de référence des maladies rares dentaires, à l'hôpital de la Timone, à Marseille.
Une forme rare qui touche 50 personnes sur 100 000
Cette maladie génétique rare touche 0,14% de la population. "La particularité d'Andréas, c'est qu'il lui manque beaucoup de dents, et certaines qui sont très rarement absentes, certaines incisives, ce qui représente moins de 0,05% de la prévalence", détaille le professeur Corinne Tardieu référente du centre de la Timone. Soit moins de 50 cas pour 100 000 habitants.
Dans la bouche d'Andréas se côtoient de petites dents de laits, semblables à des grains de riz, quelques grosses dents définitives, et des trous à la place de celles qu'il a arrachées. "Je trouve que je n'ai pas un beau sourire, mais je vis avec, je ne peux pas me plaindre, parce que je ne sais pas ce que ça fait de vivre avec une mâchoire normale", confie l'adolescent.
Je souris la bouche fermée, parce que j'ai un peu honte de ce qu'il y a en-dessous".
Andréas, 17 ans, atteint d'oligodontie sévèreFrance 3 Provence-Alpes
"Je ne l'ai jamais vu sourire la bouche ouverte, confie Marjorie Magro, sa maman. Quand il sourit, depuis qu'il est tout petit, il pince toujours ses lèvres, j'appelle ça 'le sourire d'Amazon'". Tous les enfants qui souffrent de cette maladie ont ce même sourire réservé. Andréas n'a jamais été aussi à l'aise que pendant la crise du Covid, un masque sur la bouche pour se cacher et se sentir enfin "comme tout le monde".
Un handicap qui ne se voit pas
"Ces enfants apprennent à ne pas sourire dès la maternelle, quand il manque des dents devant, ça fait un sourire moche à leurs yeux, même s'ils sont beaux autour, eux ne voient que ça, renchérit le professeur Tardieu, ils apprennent à vivre avec ça, mais à l'adolescence, ils en ont marre".
Dans un univers gouverné par les réseaux sociaux où chacun s'affiche à coups de selfies, il n'est pas facile pour ses jeunes de se sentir à leur place. "Il faut être fort pour tenir, c'est un handicap qui semble caché, mais dès qu'ils ouvrent la bouche, ça se voit, et les jeunes sont très violents entre eux".
"Des astuces transitoires "pendant sa croissance
Depuis l'ouverture du centre de la Timone, il y a 25 ans, 400 enfants souffrant d'oligondontie ont été pris en charge. Le professeur Tardieu coordonne les parcours de soin. Dès l'âge de six ans et tout au long de la croissance, il faut "trouver des astuces transitoires", avec des prothèses amovibles, "des dentiers", en haut et en bas, pour permettre à ces enfants de vivre normalement.
Les petites dents de bébé d'Andréas ont été masquées avec des composites. "Pour les poser, ça a été très douloureux, ce sont des opérations de quatre heures, toutes les semaines, pendant plusieurs mois", raconte-t-il. La pose de prothèses temporaires est renouvelée au fur et à mesure que l'enfant grandit, et nécessite aussi un traitement d'orthodontie pour que les dents prennent la bonne place. "Au début, j'avais pas l'habitude qu'elles soient de cette taille-là, quand je fermais la bouche, se souvient Andréas. "Parfois, j'ai des douleurs aux dents, quand je me les lave, par exemple", ajoute-t-il.
Une greffe osseuse pour permettre les implants
Maintenant qu'Andréas achève sa croissance, il va pouvoir recevoir des implants. "Mais ça se met dans de l'os, et souvent ces jeunes n'ont pas assez d'os, donc on attaque par de la chirurgie pour rajouter de l'os, il faut que la greffe osseuse prenne, après, on va mettre l'implant, ensuite, on va mettre une couronne", détaille le professeur Tardieu.
"Ça fait énormément de séances, ce sont des traitements longs et répétitifs", précise-t-elle. Pour ses dents manquantes, Andréas va devoir faire 14 implants.
Ils en ont tellement de leurs appareils jusqu'à 18 ans, qu'ils attendent que ça qu'on leur mette des implants.
Professeur Corinne Tardieu, référente centre des maladies rares dentaires, la TimoneFrance 3 Provence-Alpes
"Le plus dur pour Andréas, ça va être la greffe osseuse, et que l'os l'accepte pour qu'on mette l'implant", estime le professeur Tardieu. L'ensemble de l'intervention va s'étaler sur plus de deux ans, car il faut compter les phases de cicatrisation. Trois mois sont nécessaires entre la greffe et la pose de l'implant, et autant avant de pouvoir mettre une couronne provisoire. Tout ça, multiplié par 14 pour le jeune Andréas. Le traitement "imploantoprothétique" est si complexe qu'il implique une approche pluridisciplinaire, qui inclut notamment de l'orthophonie pour "réapprendre sa bouche", insiste encore le professeur Tardieu.
"Ça handicape toute la vie"
"C'est une maladie qui ne fait pas mourir, mais ça handicape toute la vie", résume le professeur Tardieu. Cette affection a des répercussions lourdes pour Andréas. En premier lieu sur sa façon de s'alimenter. Il n'a pas de force dans la mâchoire et les composites sont fragiles, il en a déjà cassé plusieurs.
Très jeune, il a appris à s'adapter. Il sait ce qu'il a le droit de manger, ou pas. Les sandwichs par exemple lui sont interdits. "C'est difficile de mastiquer. Je ne peux pas manger comme je le voudrais, quand il y a de la viande, c'est trop dur, moi, je dois manger du riz", note-t-il. Andréas ne peut avaler "que du mou, comme un bébé", ajoute sa maman. Cela explique que les enfants qui souffrent de cette affection sont plus maigres que les autres.
"Maman, qui va vouloir de moi ?"
La Haute Autorité de Santé reconnaît que cette maladie héréditaire rare a de lourdes "répercussions fonctionnelles, esthétiques et psychologiques" pour les patients. Elle impacte la confiance en soi et l'estime de soi.
Andréas aura 18 ans le 8 août prochain. C'est "un enfant très solaire", se réjouit Marjorie. "Il a la chance d'avoir des copains géniaux, qui sont très proches de lui, mais il me dit : 'Mais Maman, qui va vouloir de moi ?'". Andréas n'a pas encore de copine, il n'imagine pas vraiment en avoir. Partager cette intimité, pour lui, c'est très compliqué. "Ça me gêne de montrer ce que j'ai, j'ai du mal à en parler".
Des "petites souris" pour lui donner un nouveau sourire
Le traitement d'Andréas par un chirurgien implantologue va coûter 39 820 euros, 1 428 euros seront remboursés par la sécurité sociale. A l'annonce du devis, Andréas a lâché : "c'est mort, comment tu vas faire, Maman ?". "Je lui ai fait la promesse, 'tu l'auras ton opération, je vais me saigner, mais tu l'auras'", assure Marjorie Magro.
Le professeur Tardieu sait à quel point ces enfants culpabilisent d'imposer cette charge financière à leur parent. "Des fois, je leur dis, c'est vrai que tu vas devoir choisir entre le permis et la voiture ou un sourire, mais ce n'est pas normal, à 18 ans, d'avoir à choisir ça". "Ça précarise la famille et ce n'est pas assez considéré par la sécurité sociale, souligne-t-elle, ces familles ont besoin d'être entendues".
Si elle s'avoue "terrifiée" en pensant à l'avenir, Marjorie s'interdit de le montrer. "Vous l'imaginez dans le monde du travail, avec une bouche de Dracula, il n'y a personne qui en voudra". Employée de banque et maman solo, elle n'a pas les moyens de payer le reste à charge du traitement. "Un jour, la dame de la Sécu m'a dit : 'il aurait mieux valu que votre fils ait un cancer pour sa prise en charge', ce jour-là, je me suis dit que je ferai tout pour le soigner". Elle a lancé une cagnotte et organise le 9 mars un événement festif avec l'association "Salsa de Corazon" à Gémenos, où elle réside. Elle espère qu'une armée de petites souris va l'aider à remporter cette bataille.
La maman combattante ne veut pas envisager la vie d'adulte d'Andréas sans des implants. "Je ne peux pas laisser mon fils sans avoir une vie normale. Si je n'y crois pas, ça veut dire que je renonce, et c'est hors de question". Andréas y croit aussi fort : "Je ne réfléchis pas à une deuxième option : c'est soit je suis opéré, soit je suis opéré".