Ancienne figure de la droite républicaine passé au RN, le candidat Thierry Mariani a su lisser son image pour les régionales, sans renier ses idées à l'extrême droite. Une stratégie d'équilibriste à la conquête des voix du RN, mais aussi de la frange droite des Républicains en Paca.
Les habitants de la région Paca qui ont reçu la profession de foi du candidat Mariani dans leur boîte aux lettres ont parfois remarqué une petite proposition, glissée tout en bas du dépliant : "rétablir la sécurité partout et éradiquer l'islamisme".
Tant pis si la sécurité ne fait pas partie des prérogatives attribuées aux régions : c'est l'argument qu'a choisi le candidat frontiste de 62 ans pour mener sa campagne, insistant sur la sécurité dans les trains et les lycées qui eux relèvent bien du conseil régional.
Peu connu du grand public, Thierry Mariani a été choisi pour offrir au Rassemblement national ce qui pourrait être sa première région. Et pas n'importe laquelle : une région convoitée depuis plusieurs années par Marine Le Pen, qu'elle voudrait transformer en tremplin pour sa candidature à la présidentielle 2022.
Suite à l'échec cuisant de 2015, où sa nièce Marion Maréchal Le Pen s'était heurtée au barrage du front républicain, le transfuge de l'UMP faisait figure de candidat idéal : des idées déjà à la droite de son ancien parti, un ancrage local - parfois contesté -, et une longue carrière au sein des arcanes politiques.
Il affrontera dimanche son ancien allié Renaud Muselier, avec qui il a eu un parcours en parallèle à l'UMP et dans la région Paca, avant que Mariani ne bascule en 2019. Arrivé en tête du premier tour avec 36,38% des voix, il pourrait toutefois s'échouer à son tour sur le front républicain, suite au retrait du candidat de l'union de la gauche et des écologistes Jean-Laurent Félizia.
De l'aile dure de l'UMP au Front national
Au début des années 2010, l'ex-député LR se fait un nom en étant nommé secrétaire d'Etat chargé des Transports dans le gouvernement Fillon III. À cette époque, il incarne déjà l'aile dure des Républicains, après s'être fait remarquer pour des positions radicales sur l'immigration et la sécurité.
En 2007, le député Mariani avait suscité un tollé en présentant des amendements pour interdire l'hébergement d'urgence aux personnes en situation irrégulière, ou pour autoriser les tests ADN pour les candidats au regroupement familial. Il ne reçoit pas le soutien espéré par Nicolas Sarkozy, et se retrouve de plus en plus isolé au sein de l'UMP.
Malgré ses idées, il se distancie encore du FN à l'époque, qu'il affirme "combattre" à plusieurs reprises. Il ferraille aux législatives contre le maire d'Orange, Jacques Bompard, qu'il bat à plusieurs reprises.
Dans les années qui suivent, il assume aussi ses positions internationales pour le moins sulfureuses. Député de la 11e circonscription des Français de l'étranger, qui englobe la Russie, Thierry Mariani devient un promoteur zélé de Vladimir Poutine en France. En 2014, il défend notamment l'annexion de la Crimée, au grand dam de la diplomatie française.
S'alignant sur les positions russes, il est aussi un ardent soutien du président syrien, Bachar-al-Assad. Il lui rend visite à plusieurs reprises à Damas, tandis qu'une guerre civile se joue à quelques kilomètres, et niera toujours l'usage des armes chimiques contre la population.
Ses tweets et déclarations provocatrices font monter la polémique. En 2019, accompagné de Nicolas Bay, Thierry Mariani s'affiche avec une bouteille de Côtes du Rhône à Sednaya, à quelques kilomètres d'une prison où plus de 13.000 opposants au régime ont été torturés et pendus.
Outre la Russie, Mariani entretient aussi des liens privilégiés avec des régimes peu regardants sur les droits humains, comme l’Azerbaïdjan, l'Inde et le Kazakhstan.
Déçu à plusieurs reprises par l'UMP, ses idées étant de plus en plus difficiles à assumer en interne, il est courtisé par le RN et finit par y passer en 2019.
Aujourd'hui encore, "il assume totalement ses positions", estime Vincent Geisser, politologue et chercheur au CNRS. "C'est un atout pour séduire la frange dure de la droite, ce qui ne l'empêche pas d'essayer de récupérer les voix de la droite modérée".
Car c'est dans cet équilibre fragile que repose toute la stratégie de Thierry Mariani pour les régionales 2021 en Paca : il se doit de séduire les électeurs frontistes, mais aussi convaincre la "droite de la droite", celle qui pourrait être tentée de voter RN plutôt que le candidat "macron-compatible" Renaud Muselier.
De la dédiabolisation du RN en Paca
Pour avancer dans ce jeu périlleux, le transfuge des Républicains a gardé son positionnement politique tout en lissant son image et en polissant son discours. "Avec cette stratégie, il pourrait bien remporter la région", analyse le politologue Vincent Geisser.
Après l'échec de 2015, il se veut incarner une personnalité plus "rassurante", moins connotée politiquement que Marion Maréchal-Le Pen. Né à Orange puis élu pour plusieurs mandats locaux (maire de Valréas, conseiller départemental et régional) il joue aussi de son ancrage local - que l'affaire de sa domiciliation dans le Vaucluse a toutefois écorné.
L'ancien républicain martèle d'ailleurs qu'il est "la seule alternative gaulliste", invoquant son passé au RPR et sa figure de notable de l'ex-parti UMP.
La stratégie s'avère payante : quand Sophie Cluzel, secrétaire d'État LREM chargée des personnes handicapées se rallie au président de région sortant LR, Renaud Muselier, Mariani prend dix points dans les sondages. Tandis que LR se déchire, le candidat frontiste crie à "l'alliance contre nature", et passe de 29 à 39% d'intentions dans les sondages.
Quoi de mieux pour Marine Le Pen, qui espère utiliser cette élection comme un marchepied vers la présidentielle ? "Il y a une très forte présidentialisation dans la stratégie de communication du RN pendant cette campagne", estime en effet Frédéric Potier, codirecteur de l'Observatoire des radicalités politiques à l'institut Jean-Jaurès.
"En investissant un notable, comme c'est le cas de Jean-Paul Garraud en Occitanie, qui est aussi un ancien député LR, le RN veut se donner l'image d'un parti "comme les autres"", ajoute-t-il. L'objectif, aussi, est de "présenter le RN comme la vraie droite, par opposition aux Républicains et bien sûr à l'UDI".
De plus, comme l'explique la politologue Christèle Lagier, la Provence-Alpes-Côte d'Azur est une terre de conquête pour l'extrême droite, et ce depuis des années. La frontière avec la droite est parfois "poreuse", d'où la surenchère d'arguments sécuritaires et identitaires tout au long de la campagne.
Son opposant, Renaud Muselier, ne s'est d'ailleurs pas privé de présenter Thierry Mariani comme le "cheval de Troie" de Marine Le Pen, ne manquant pas de rappeler le passé sulfureux de ses deux directeurs de campagne et qualifiant son équipe "d'alliance des crânes rasés et des sous-doués".
L'argument n'a pas réellement imprimé dans les débats, mais ses co-directeurs Philippe Vardon et Frédéric Boccaletti peuvent difficilement nier un passé à l'ultra-droite, marqué par des condamnations pénales.
L'un est conseiller municipal à Nice, l'autre président du groupe RN en région Paca. Les deux sont adeptes des théories de la "remigration" ou du "Grand remplacement" - et ils ne sont pas les seuls parmi les candidats du RN, comme l'explique cet article pour la Fondation Jean-Jaurès.
Deux directeurs de campagne au passé sulfureux
Dans un documentaire Arte de 1998, le jeune Philippe Vardon, 15 ans à l'époque indique-t-il, apparaît ainsi dans une vidéo d'un concert, micro à la main, alors que des skinheads font le salut nazi. Il milite ensuite au sein du groupuscule nationaliste "Unité radicale", le même qui projette en 2002 la tentative d'assassinat du président de l'époque, Jacques Chirac.
Il co-fonde le Bloc identitaire, et poursuit son ascension dans cette mouvance, avec des actions médiatiques comme les distributions de soupe au porc pour exclure les musulmans. Six ans plus tard, Vardon est condamné pour incitation à la haine raciale, après avoir ressuscité les Jeunesses identitaires.
Ces dernières années, Philippe Vardon est revenu sur son passé en parlant "d'erreur de jeunesse" ou de "connerie de gamin", expliquant auprès qu'il n'est "plus du tout le même homme à 39 ans, père de famille, chef d'entreprise, élu".
Mariani, lui, assume. Interrogé sur France Bleu, il estime que l'engagement de Vardon dans sa jeunesse n'est "pas du tout embarrassant", voire même "plus sympathique que des gens qui s'abrutissent sur leur tablette sans intérêt".
Contacté lundi, le service de presse de Thierry Mariani n'a pas répondu à nos sollicitations à ce sujet.
Frédéric Boccaletti, de son côté, est l'une des têtes pensantes de Marine Le Pen dans le sud-est. Secrétaire départemental adjoint du MNR de Bruno Mégret en 2000, il est condamné à un an de prison dont six mois ferme pour "violence en réunion avec arme" par le tribunal correctionnel de Toulon, rappelle un article de Charlie Hebdo.
La stratégie de ce duo pour la campagne : une surenchère sécuritaire et la diffusion d'"idées maurassiennes", du nom du nationaliste fondateur de l'Action française, avec des projets qui vont de la rénovation du patrimoine traditionnel aux subventions à une culture "enracinée".
À l'arrivée, la méthode Mariani "peut générer des doutes sur sa sincérité et sa volonté d'appliquer un programme régional", estime Frédéric Potier. Le parti frontiste a d'ailleurs perdu 300.000 voix par rapport au premier tour de 2015.
"Il n'a pas réussi à draguer autant que voulu du côté de la droite", ajoute-t-il, évoquant une dédiabolisation du Rassemblement national "en trompe-l'oeil". Pour autant, rien n'est joué dimanche : le RN dispose d'une réserve de voix notable dans la région Paca. Et les sondages ne le donnent que légèrement en retard sur Renaud Muselier : 51% contre 49%... soit à peu près la marge d'erreur.
Reste à voir si la stratégie de ce candidat, taillée pour séduire les électeurs de droite sans être dénuée de contradictions, offrira au RN sa première région.