Une équipe de scientifiques dirigée par le professeur Hervé Glotin de l'université de Toulon a profité du confinement pour réaliser une expérience exceptionnelle. Au cours de la mission Sphyrna Odyssey Quiet-Sea, ils ont enregistré les "conversations" des animaux qui peuplent la Méditerranée.
Le "monde du silence" a donné de la voix comme jamais, pendant le confinement. Alors que les activités humaines étaient interdites en mer, exception faite de quelques patrouilles chargées de veiller au respect du confinement et les embarcations de quelques pêcheurs professionnels, la vie sous-marine qui peuple la Méditerranée de Marseille à Monaco s'en est donnée à coeur joie.
Expédition partie de Toulon
"Quiet sea" - mer silencieuse - avait l'objectif de "mesurer la densité et le comportement de plusieurs espèces de cétacés (cachalot, grand dauphin, baleine à bec, dauphin bleu-blanc, dauphin Risso) dans le sanctuaire Pelagos.> Le sanctuaire est un espace maritime de 87 500 km² faisant l’objet d’un accord entre l’Italie, Monaco et la France pour la protection des mammifères marins qui le fréquentent : Partie de Toulon le 23 avril, cette mission dirigée par le professeur Hervé Glotin (CNRS LIS DYNI) a été initiée par l'université de Toulon, la société Sea Proven (start-up conceptrice de drones marins) et la revue Marine Océans, et soutenue par la Fondation Prince Albert II de Monaco.
Elle a exploré dix-sept jours durant, une mer exceptionnellement vierge de pollution sonore, des calanques de Marseille jusqu'à la principauté de Monaco, en passant pour Toulon et Nice.
Le concert des crevettes de la Baie des anges
Grâce à deux navires laboratoires autonomes, propulsés par des moteurs électriques alimentés par les énergies solaire, éolienne et hydrolienne, équipés de micros sous-marins, les scientifiques ont pu écouter "tout ce qui évolue sous l’eau jusqu’à 2.000 mètres de profondeur". Du chant du cachalot, plus grand prédateur de la planète, jusqu'aux signaux émis par les minuscules crevettes qui peuplent la baie des anges à Nice.Ses premiers résultats sont enthousiasmants. "Dès le premier jour de la mission, deux groupes de grands dauphins, composés de 12 à 15 individus ont pu être observés dans le nord de Port-Cros. Les animaux, apaisés, ont évolué pendant près de 30 minutes autour des navires de la mission.""La pollution sonore due à l’activité humaine a poussé les animaux à fuir les zones littorales : le contexte historique du confinement nous a en effet permis de constater leur retour dans des zones habituellement perturbées par un fort trafic maritime, indique le communiqué de la Mission "Quiet-Sea".
Au retour des activités anthropiques, les animaux seront de nouveau chassés de ces zones propices à leur développement.
La pollution sonore perturbe la reproduction
Deuxième enseignement : la pollution sonore perturbe la communication des animaux. "Le contexte historique du confinement nous a permis de constater l’abondance de vie et de communication dans des zones habituellement saturées de bruits anthropiques."Le bruit généré par les activités humaines sur l'eau, qu'elles soient commerciales ou de plaisance, perturbe la chasse, le lien social et même la reproduction des animaux !
L'arrêt quasi-complet de ces activités à permis aux scientifiques d'enregistrer "durant de longues heures des cachalots, des globicéphales et des rorquals, une espèce de cétacé particulièrement difficile à écouter car émettant des sons très basse fréquence couverts par le bruit du trafic maritime, et de ce fait encore très méconnue."
"Des enregistrements exceptionnels"
"Ces enregistrements exceptionnels vont nous permettre de mieux comprendre les interactions entre des groupes qui ont pu profiter du calme ambiant pour communiquer à plus grande distance, jusqu’à deux fois plus qu’en temps normal, favorisant, outre la chasse par le repérage des proies, le lien social et la reproduction."Les sons vont maintenant passer à la moulinette des algorithmes l'intelligence artificielle. Leur analyse doit notamment permettre "d’identifier la santé des sites", "de restituer en 3D les trajectoires de cétacés grands plongeurs", ou encore "de quantifier les facteurs anthropiques (pollutions) pour mieux comprendre l’exploration et l’évolution des cétacés dans leur environnement et l’impact des rayonnements acoustiques des navires".