Première région laitière française, la Bretagne ambitionne d'accroître de 20% sa production sur cinq ans. Avec la fin des quotas laitiers, elle va miser sur l'exportation, mais la dérégulation du marché européen inquiète les producteurs.
"On prévoit en Bretagne un milliard de litres de lait supplémentaires dans les cinq ans à venir car il y a des marchés à prendre. Un litre de lait supplémentaire, ça fait un euro de plus de chiffre d'affaires pour le territoire", expose Marcel Denieul, secrétaire général adjoint de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL), installé en Ille-et-Vilaine.
Avec 34% de la production nationale et 5 milliards de litres de lait/an, la Bretagne assure à elle seule 4% de la collecte européenne, un niveau proche de l'Irlande. Et les plans sociaux dans l'agroalimentaire breton ces dernières années, en particulier dans la filière porcine, ont démontré que les emplois industriels dépendaient directement des volumes produits par les agriculteurs.
Du lait destiné à l'export
"Ce milliard supplémentaire sera quasi exclusivement destiné à l'export", confirme Jean-Marc Thomas, secrétaire général Bretagne de la Confédération Paysanne. "De 10% à l'export actuellement, on passerait à 20%". "Tous les bassins laitiers mondiaux vont augmenter leur production et seront soumis à la volatilité des prix (...) S'en sortiront le mieux ceux qui ont des coûts de production bas, comme l'Irlande ou la Nouvelle-Zélande", où les bêtes sont nourries à l'herbe, sans nécessité d'acheter de l'aliment, lui-même soumis aux cours mondiaux, constate-t-il.
La Bretagne pourra-t-elle produire tant de lait?
Mais M. Thomas doute de la capacité de la Bretagne à produire ce milliard supplémentaire. "Dans les 10 ans, la moitié des producteurs bretons vont passer la main. Et c'est déjà impressionnant de voir les taux d'endettement et la charge de travail" des exploitants, relève-t-il. "On a vécu une restructuration dans la filière oeuf, on vit ça en ce moment dans le porc et tout le monde craint la même chose dans le lait. C'est un réel motif d'inquiétude", considère ce producteur bio. Et à quel prix?
Plus que tout, les producteurs craignent de se retrouver en situation de faiblesse face aux industriels qui fixent le prix du lait. "La volatilité des prix est un poison structurel pour l'économie laitière", analyse Marcel Denieul. "On est mal organisés (...) il faut redonner du pouvoir aux producteurs", considère Jean-Marc Thomas, dont le syndicat s'efforce d'oeuvrer pour "une massification de l'offre" par bassin géographique, afin de permettre aux producteurs "d'avoir plus de poids" dans les négociations avec les industriels. Il cite l'exemple de son voisin, en bio comme lui, mais dont le lait est payé 35 euros de plus la tonne. Pourtant, "c'est le même lait et on fait le même métier", dit-il.Et bien qu'appartenant à deux syndicats concurrents, Marcel Denieul (FNSEA, majoritaire) comme Jean-Marc Thomas regardent vers les Etats-Unis, où certains Etats ont mis en place des caisses de péréquations afin de lisser les variations de prix. La fin des quotas, "c'est autant d'opportunités que de menaces", relève le responsable de la FNPL. "On est concurrentiels en termes de coûts de production. Ce qu'il nous faut, c'est davantage de fluidité, de cohérence dans la filière, à l'image de ce que font nos concurrents d'Europe du nord (...) Sachant que nous avons d'énormes atouts, ne serait-ce qu'en matière de biosécurité, de traçabilité, de sérieux".La fin des quotas, c'est autant d'opportunités que de menaces
"Qu'il s'agisse du lait, de la poudre de lait ou de lait infantile, il faut y aller, nos concurrents européens vont y aller. Ayons l'ambition, n'ayons pas peur", conclut Marcel Denieul. L'après-quotas est déjà en marche: en janvier 2016, sera inaugurée l'usine de lait en poudre du groupe chinois Synutra, à Carhaix (Finistère), 300 millions de litres de lait/an, fournis par un millier de producteurs. Et il se murmure que les Chinois souhaiteraient déjà doubler la mise.