Irène Frachon, la pneumologue brestoise, lanceur d'alerte sur le Mediator, a participé à l'écriture de l'ouvrage Effets secondaires : un scandale français. Il est question de la nécessaire information du public sur les effets secondaires, car les scandales ne disparaîtront pas. ENTRETIEN
France 3 Bretagne : Irène Frachon, le livre s’appelle Effets secondaires : le scandale français. Ce phénomène est-il propre à la France ?
Irène Frachon : "Oui et non. Oui, car il y a des spécificités franco-françaises importantes. Non, dans la mesure où le médicament est un bien de consommation soumis aux lois du marché et à toutes ses déviances dans le monde entier. Il serait faux de penser que le médicament est sanctuarisé dans l’intérêt supérieur de la santé des patients. Il fait l’objet de violentes convoitises de la part de grands groupes financiers (actionnaires et investisseurs des laboratoires pharmaceutiques). La violence de l’appât du gain est un élément extrêmement important".F3 B. : La France dépend beaucoup de l'étranger, notamment pour les essais cliniques... Dans le livre, il est indiqué que l'agence européenne des médicaments n'a contrôlé que 0,34 % de ces essais. Pourquoi un taux si faible ?
I.F. : "Les essais se font, pour l'essentiel, dans les pays émergents (Inde, Russie, Chine, Brésil), beaucoup plus qu’en France. Dans ces pays, les contrôles sont extrêmement dérisoires. Cela remet en question la sécurité du médicament, dès le stade de son développement.Par ailleurs, les prises de décision se font au niveau de l’OMS (Organisation mondiale de la santé), et, en ce qui concerne les autorisations de médicament, c’est en Europe.
La marge de manœuvre française est donc étroite, mais elle existe, et il est important de l’explorer et de l’élargir".
F3 B. : L’Europe intervient-elle trop ou pas assez ?
I.F. : "Il est impensable d’imaginer qu’on peut confier, sans intervenir, notre destinée à l’Europe. Mais il est tout aussi inimaginable de prendre le contrôle total en France, sans se soucier de ce qui se passe en Europe. Il faut agir en Europe pour qu’elle ne soit plus la proie des lobbies et qu’elle agisse dans l’intérêt des Européens et idem au niveau français.Cependant, une marge de manœuvre propre à chaque pays doit rester possible. En France, c’est la Sécurité sociale qui paie nos médicaments. Il est donc normal que la France garde la main. On doit avoir notre mot à dire sur la façon dont on gère l’information sur les médicaments en France, en direction du grand public, en direction des médecins, leur formation, le contrôle et la gestion de conflits d’intérêts".
F3 B. : S’agit-il aussi d’une volonté politique ?
I.R. : "Oui. Avant, 85 % du budget de pharmacovigilance était financé par les laboratoires. Depuis la loi Bertrand, en 2011, c’est une subvention publique. Cela montre qu’on peut changer les règles et changer le monde.F3 B. : On a l’impression que l’histoire se répète éternellement. Pourquoi ?
I. F. : "L’histoire se répète, et elle va continuer à se répéter, il ne faut pas se leurrer. Par définition, le médicament est dangereux et les dispositifs médicaux également. C’est un domaine qui ne sera jamais sans histoire et un long fleuve tranquille.Pour les médicaments, il y a des effets secondaires inévitables. Mais il y en a qui sont évitables, liés à des dérapages causés par des conflits d’intérêt. Il faut rester en alerte car on est sur un champ de mines et on le restera".
F3 B. : Quel est l’état d’esprit des patients vis-à-vis des effets secondaires ?
I. F. : "Une des victimes du Mediator m’a raconté qu’au début de son traitement, elle accordait toute sa confiance à ce médicament. Jusqu’au moment où le scandale a éclaté. Désormais, lorsqu’elle prend un médicament, elle questionne préalablement son médecin et son pharmacien."Elle m’a également affirmé être horrifiée de voir passer toute la journée des publicités du laboratoire Biogaran, qui n’est autre que le laboratoire Servier, et qui vous passe des images où l’on vous dit "Prenez nos médicaments les yeux fermés". C’est un immense scandale et c’est là qu’on voit qu’il y aura des scandales si on laisse des publicités aussi mensongères perdurer. C’est du lavage de cerveau qui incite les patients à avaler des médicaments qui peuvent être des poisons les yeux fermés. Il y a un gros travail à faire là-dessus".
Le livre : Béguin Antoine, Brisard Jean-Christophe, Frachon Irène (participation), Effets secondaires : le scandale français, First Éditions, 2016.