Le poète alsacien Claude Vigée est décédé à l'âge de 99 ans. Né en 1921 à Bischwiller dans une famille juive, il a marqué le monde de la littérature et de la poésie. Claude Vigée a partagé sa vie entre les Etats-Unis, Israël et la France sans jamais oublié ses racines alsaciennes.
Le centre culturel de Bischwiller porte aujourd'hui son nom, preuve s'il en était besoin, que Claude Vigée a marqué sa région natale comme les deux siècles qu'il a traversés. Grand poète alsacien, il est décédé à l'âge de 99 ans à son domicile parisien ce 2 octobre. Claude Strauss, c'est son nom de naissance, voit le jour en 1921, à Bischwiller donc, dans une famille juive installée dans la région depuis près de trois siècles, une famille contrainte de quitter l'Alsace à la veille de la seconde guerre mondiale.
Alors installé à Toulouse, l'étudiant en médecine rentre dans la résistance et publie ses premiers poèmes dans la revue "Poésie 1942" de Pierre Seghers sous le pseudonyme de Claude Vigée, nom qu'il adoptera après la guerre. Il part alors avec sa maman aux Etats-Unis et obtient un doctorat en langue et littérature romane. Il s'installe à Chicago où il devient enseignant. Il quitte ensuite le pays pour s'installer en Israël et travaille à l’université hébraïque de Jérusalem où il enseigne jusqu’à sa retraite en 1984 avant de s'installer à Paris au début des années 2000. Titulaire de nombreux prix, il obtient notamment le Goncourt de la poésie en 2008 pour "Mon heure sur la terre", qui reprend l'intégralité de ses poèmes publiés.
Claude Vigée n'a jamais oublié son Alsace natale, lui qui était parfaitement dialectophone, l'alsacien est d'ailleurs sa langue maternelle, la seule qu'il parle jusqu'à son entrée en cours préparatoire, où il apprend le Français. Il est nommé citoyen d'honneur de Seebach en 2009 en remerciement pour la notoriété acquise par le village suite à la publication d'un poème de mémoires intitulé "un panier de houblon". Sa femme et cousine germaine, Evy Meyer, qu'il a épousée en 1947, est née à Seebach, village voisin de Bischwiller. Présent lors du dévoilement de la plaque mémorielle sur la maison de ses grands-parents, Sarah et Léopold, il a prononcé quelques mots : "Nous appartenons tous à la vie; c’est elle qu’il nous faut défendre. Notre propre vie, celle de nos proches, celle qui a été léguée par nos pères et nos mères, -mes aïeux de Bischwiller aussi bien que ceux de Seebach. Avant toute autre obligation, nous avons la charge de promouvoir la vie, de la donner, de la transmettre, de l’éduquer, de la cultiver autour de nous, de la célébrer enfin. Je vous souhaite et je fais pour moi-même le vœu de poursuivre encore ensemble un bout de chemin. Sachons rester fidèles à cette double injonction. Jurons de tenir notre promesse à l’égard du souvenir et de la mélancolie, tout en servant avec joie ce qui nous attache à cette vie si fragile. Plus importante que les autres vertus me semble être la fidélité si problématique au monde qui vient, notre difficile espérance du temps futur. Demeurons loyaux au germe de vie qui est en train de bourgeonner dans chaque créature terrestre."
De nombreuses réactions
Depuis l'annonce de son décès, les réactions ne manquent pas. Sylvie Reff, née à Bischwiller, écrivaine, poète et chanteuse l'a bien connu, Claude Vigée était un ami de ses parents. "Je ne l'ai connu qu'à 19 ans par hasard, parce que je le fuyais, on racontait tellement de choses sur lui qu'il m'effrayait. Et un jour que je rentrais chez moi, il était là, à faire le clown avec ma mère et ils riaient aux éclats, je me suis alors dit qu'il était humain finalement, raconte Sylvie Reff, la voix emplie d'émotions. Sur l'homme, elle dit qu'il "faisait partie de ces grands hommes simples, humbles et bienvaillants. Il faisait l'unanimité, ce qui est rare, il n'avait que des amis". Sur le poète, elle ajoute "qu'il avait une grande reconnaissance internationale, il a obtenu le grand prix national de poésie à Paris, ce qui n'est pas rien. Et de conclure, Claude Vigée est une oeuvre d'humanité, il fait partie de ces juifs qui sont devenus universels comme Simone Veil ou Stéphane Hessel, les hommes comme lui sont des cadeaux pour l'humanité".Andrée Buchmann, femme politique alsacienne, conseillère municipale de Schiltigheim parle, elle, d'un "immense écrivain d'Alsace".
Jean-Luc Netzer, le maire de Bischwiller ne cache pas sa peine. "Aujourd’hui Bischwiller est meurtrie et pleure la disparition de Claude Vigée. A la veille de ses 100 ans, il est et restera un ami, un confident, un exemple, un guide, écrit le premier édile de la ville, lors de chaque échange avec lui, il me rappelait son affection pour cette ville où il est né et où désormais il va revenir pour reposer en paix. L’exil a fait de lui un citoyen du monde, toujours à l’écoute de l’autre, partageant ses convictions humanistes. La dignité de ce grand homme se trouvait dans le partage, l’amour de la vie et la fraternité. La paix et le bien vivre ensemble se nourrit de la fraternité. En ces temps troubles, tachés par la négation de notre prochain où l’antisémitisme se répand et se renforce, le message d’espoir de Claude Vigée nous accompagne et guide notre esprit pour construire un monde meilleur." Claude Vigée sera donc inhumé au cimetière juif de Bischwiller.
François Wolfermann, fondateur du festival des bibliothèques idéales et responsable de la librairie Kléber à Strasbourg témoigne lui aussi de son admiration pour le poète alsacien décédé. Il l'assure, les bibliothèques idéales 2021 rendront hommage à Claude Vigée. "Il a fait de l’Alsace, «sa verte enfance du monde» et a écrit comme personne sur cette communauté juive alsacienne de l'entre deux guerres, si riche de ses particularismes, de ses traditions et de ses croyances qui n'existe plus, écrit François Wolfermann, Il est l'auteur d'une oeuvre considérable, qui l'a établi comme l'un des plus grands écrivains de l'après-guerre."