Les occupants de la ZAD ("zone à défendre") de Sivens se préparent à des mois de résistance, "jusqu'à l'abandon" du projet de barrage-réservoir. Des "zadistes", qui refusent les étiquettes.
"Lisle-sur-Tarn, son vignoble, sa forêt, sa bastide", annoncent des panneaux municipaux, à une dizaine de kilomètres de Gaillac. Puis, au milieu de la campagne vallonnée parsemée de vaches, le mot "ZAD" apparaît sur le goudron, guidant les visiteurs jusqu'au site de Sivens.
Ici, à l'endroit même où doit être construit un barrage-réservoir destiné à l'irrigation des cultures, un immense campement autogéré abrite les opposants. L'occupation des lieux, commencée en octobre 2013, s'organise chaque jour un peu plus, avec "espace camping", "espace santé", "jardin collectif d'autosuffisance" ou encore "pépinière"... Car l'ambition est de faire revivre la "zone humide", détruite par deux mois de déboisement.
Dimanche, une marche silencieuse en hommage à Rémi Fraisse, 21 ans, y a réuni environ 2 à 3.000 soutiens, jusqu'au lieu de la mort du jeune Toulousain, qui aurait été causée par l'explosion d'une grenade offensive lancée par un gendarme. Des restes de flashball et de grenades des forces de l'ordre ont d'ailleurs été disposés parmi les fleurs et bougies entourant un faux cercueil. Sur le grillage, des slogans s'accrochent: "Triple homicide : Rémi, écologie, démocratie". "Combien de morts faut-il?" et "La ZAD vaincra"...
Notre dossier complet sur la mort de Rémi Fraisse et le barrage de Sivens
"Vous voyez comme ça se passe bien quand les forces de l'ordre sont loin ?", lance un manifestant, tandis que des mères allaitent leurs enfants, que des occupants construisent des cabanes en bois et qu'un Ariégeois de 59 ans, généticien à la retraite, distribue "200 kilos de glands de chênes" à planter alentour.
Autonome? Naturiste? Glam block?
Dominant les hectares défrichés, une tente a été dressée sur un poste de vigie haut de plusieurs mètres. Et sur le bâtiment de la ferme abandonnée, rebaptisée "villa antifasciste", est accroché un "modèle de plainte" en cas de "violences policières". Avant d'aller s'entretenir en secret en lisière de forêt, deux "zadistes" prennent la précaution de se défaire de leur téléphone portable.Comme d'autres, il refuse d'être "enfermé dans des étiquettes", quand les médias disent "anars", "antifa", "anticapitalistes". Et une manifestante masquée s'est affublée d'affichettes interrogatives: "Autonome? Naturiste? Glam block? Jihadiste verte? Black plouc? Minorité incontrôlable?".
Avec son petit garçon, son chien, et un masque blanc des Anonymous, un couple de travailleurs sociaux de 35 ans est venu "en voisins". "C'est un lieu sympathique, très accueillant, pour discuter avec toutes sortes de gens", dit la jeune mère, évoquant "des agriculteurs version écolo, contre l'agrobusiness" et "des jeunes qui ne bossent pas et qui cherchent un sens à leur vie et le trouvent dans l'écologie : pas une jeunesse branchée sur son I-Pad ou la consommation".
Et parmi les manifestants, apparaît la tignasse blanche d'Alain Desjardin, 79 ans, l'un des organisateurs de la lutte des paysans du Larzac contre l'extension d'un camp militaire, il y a plus de 40 ans. "Nous on avait mis dix ans à gagner, de 1971 à 1981", explique-t-il aux zadistes. "Ici, ce n'est pas encore gagné".