La tenue à Paris et non à Toulouse d'un troisième procès de l'explosion de l'usine AZF, qui avait fait 31 morts en 2001, ulcère les victimes et les empêche de cautériser une plaie encore béante, 15 ans après.
"C'est notre procès mais nous avons l'impression qu'on ne veut pas de nous":
Pauline Miranda ne décolère pas depuis la décision de juger à Paris les responsables de la plus grande catastrophe industrielle de l'après-guerre. "C'est la triple peine: premièrement, nous n'avons pas demandé à être victimes. Deuxièmement, Total se pourvoit contre la condamnation. Troisièmement, il y a cassation suite à une erreur de la magistrature", enrage la présidente de l'association des Sinistrés du 21 septembre 2001 (date de la catastrophe), qui revendique 150 adhérents.
En janvier 2015, la Cour de cassation a annulé la condamnation en appel du directeur de l'usine et de Grande-Paroisse, propriétaire du site et filiale de Total. La plus haute juridiction avait estimé qu'une des magistrates de la cour d'appel n'était pas impartiale car elle était également vice-présidente d'une association proche de victimes. Or cette dernière avait averti la justice de cette fonction et des risques pour le procès avant même les audiences.
Les milliers de victimes ont ainsi le sentiment que, en plus de leur avoir volé "leur" justice (la condamnation cassée), on les prive de "leur" procès. "La salle de la cour d'appel à Paris n'a que 300 places alors qu'au procès à Toulouse, il y avait 2.000 personnes", rappelle Pauline Miranda.
"Nous allons nous trouver déracinés tandis que Total est chez lui", ajoute Gérard Ratier, président de l'Association des familles endeuillées (une soixantaine d'adhérents).
2.700 parties civiles
Les quelque 2.700 parties civiles pourront se faire rembourser leurs frais et auront une indemnité compensatrice d'emploi. Mais les victimes se demandent qui pourra se libérer pendant les quatre mois du procès (du 24 janvier au 24 mai), d'autant plus que les plaignants sont souvent vieillissants et malades.
Quant à ceux qui ne sont pas parties civiles, les quelque 8 à 9.000 euros que coûte le séjour à Paris ne sont pas remboursés par la justice. Les Sinistrés du
21 septembre ont obtenu 21.000 euros de subventions locales, ce qui devrait permettre à seulement "une à deux personnes" d'être en permanence à Paris, selon Pauline Miranda.
"On va être en minorité par rapport à Total", en conclut Sophie Vittecoq, porte-parole de l'association "Plus jamais ça" (150 adhérents), qui enverra sept parties civiles à Paris.
Au total, quelques dizaines de Toulousains seulement devraient donc faire le déplacement. Certes, le procès sera retransmis à Toulouse, dans une salle de 700 places, mais il s'agira d'une retransmission à sens unique, le public ne pouvant intervenir ni donc réellement peser.
Seule l'association "Mémoire et solidarité" (380 adhérents, majoritairement des anciens salariés de Total) estime que "l'éloignement de Toulouse pourrait être favorable à la connaissance de la vérité", explique son président, Jacques Mignard. L'ancien délégué CGT réfute la thèse officielle de l'accident dû à un mélange de produits chimiques mais dit ne pas être en mesure d'avancer une autre théorie.
Au moment de l'explosion, nombreux sont ceux qui avaient cru à un acte terroriste, faisant craindre un "11 septembre français", après les attentats aux Etats-Unis dix jours auparavant.
Plus de 30.000 logements ont été détruits ou endommagés, selon le bilan de la préfecture de septembre 2002, qui dénombrait 80.000 déclarations aux assurances. 15 ans après, la plaie reste béante, à l'image de l'immense espace vide laissé par l'usine, qui a encore du mal à trouver un nouvel essor. Un bâtiment flambant neuf y a été édifié pour accueillir un centre ultra-moderne de lutte contre le cancer mais une partie reste en friche. Sur la clôture mangée
par les herbes folles qui entoure le vaste terrain vague vierge de toute construction, un grand panneau évoque un "permis d'aménager" datant du ... 17 juillet 2012.