Ours des Pyrénées : joie et sidération après le coup d'arrêt au programme de conservation

Quelques jours avant le feu vert de Bruxelles, la demande de financement du projet Life Ours a été retirée par le préfet d'Occitanie. Les associations de protection de l'environnement dénoncent la pression des anti-ours. Eux se félicitent de la décision.

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Les tensions entre pro et anti-ours se sont cristallisées cette semaine du 20 septembre 2021 autour du remaniement du programme Life Ours Pyrénées. 

C'est Etienne Guyot, préfet de la région Occitanie, qui l'a annoncé au détour de son discours d'inauguration des Pyrénéennes. Alors en déplacement samedi 18 septembre à Saint-Gaudens, en Haute-Garonne, il a indiqué vouloir retravailler le programme "sur des bases nouvelles, en concertation avec l’ensemble des acteurs concernés du territoire".

Ce projet de protection de l’ours des Pyrénées devait être lancé en septembre, et durer six ans. L'objectif : "la conservation de l’ours brun en lien avec les activités anthropogéniques dans le massif des Pyrénées".

En 2020, ils étaient une soixantaine d'ursidés à arpenter les Pyrénées centrales et orientales, selon le Réseau ours brun.Une population "à la croissance satisfaisante, mais qui reste petite", note Patrick Leyrissoux, vice-président de l'association de protection et de conservation de l'ours, du loup et du lynx en France, Ferus. 

Huit millions d'euros de financement

Pour réaliser ce plan de conservation de la population d'ours, une demande de financement de près de huit millions d'euros avait été déposée par la DREAL Occitanie auprès de la Commission européenne. Elle était en passe d'être acceptée par Bruxelles, selon les associations de défense de l'environnement.

Mais, "au dernier moment", le préfet de région Etienne Guyot a demandé à ce que ce dossier soit tout simplement retiré. 

Ce dont se félicitent Philippe Lacube, président de la Chambre d'agriculture de l'Ariège, Alain Servat, président de la Fédération pastorale de l'Ariège, et Christine Téqui, président du Conseil départemental de l'Ariège. Dans un communiqué commun publié lundi 20 septembre, ces opposants au programme saluent la décision du préfet, parlant d'un "coup d’arrêt"

Communiqué de presse. Dossier Life Ours-Pyr : l’Etat renonce face aux acteurs locaux. by Marion Fontaine on Scribd

C'est "une véritable satisfaction pour tous les acteurs de terrain, déterminés à faire entendre la voix des femmes et des hommes qui vivent et construisent au quotidien l’économie de nos montagnes, la beauté de nos paysages, et la richesse de notre environnement", poursuivent-ils.

Absence de communication

Chez les pro-ours, c'est la sidération. Et pour cause : les associations de défense de l'environnement Ferus Ours, Loup, Lynx, et Pays de l'ours-Adet ont appris la nouvelle dans la presse, par un article de La Dépêche publié mercredi 22 septembre.

Elles faisaient pourtant partie du consortium du projet Life Ours-Pyr, aux côtés notamment de l'Office français de la biodiversité, de l'Office national des forêts ou encore le CNRS.

"C'est une décision radicale, problématique et incompréhensible", soutient Alain Reynes, directeur de l'association Pays de l'ours-Adet. À quelques mois de l'élection présidentielle, "je ne vois pas d'explication : l'État a cherché à faire plaisir aux lobbies des opposants à l'ours", poursuit-il.  

Dans son discours, samedi 18 septembre, Etienne Guyot justifie cette décision du remaniement du programme Life Ours-Pyr par le manque de concertation entre tous les acteurs concernés, qu'ils soient anti ou pro-ours. 

"J'ai entendu les messages de demande d’explications et parfois les messages d’incompréhension", a-t-il affirmé, avant d'ajouter : "la concertation et l’adhésion sont pourtant les facteurs clés de réussite de ce programme dont l’objectif est d’obtenir des crédits européens en faveur du massif".

"Une décision quasi-féodale"

Ce que critiquaient les opposants au programme Life Ours-Pyr était avant tout le manque de concertation. "L'heure est grave", avait écrit en mai dernier l’ASPAP, l'Association pour la Sauvegarde du Patrimoine d’Ariège-Pyrénées, sur son compte Facebook.

Alors que venait d'être déposé la demande de financement de Life Ours-Pyr à la Commission européenne, l'association (d'ailleurs anciennement présidée par Philippe Lacube) dénonçait "une décision quasi-féodale prise depuis Bruxelles, des moyens stupéfiants pour que nous, pauvres Pyrénéens, acceptions sagement le triplement de la population d'ours actuelle, et avec le sourire peut-être !"

Un écueil que les associations pour la sauvegarde de l'ours dans les Pyrénées n'ont pas compris. "[Les anti-ours] sont, de toute façon, contre la présence de l'ours et la cohabitation avec lui", note Alain Reynes. "On ne demande pas à ceux qui sont contre s'ils sont d’accord"

Je ne sais pas ce que veut faire l’État, mais proposer de faire venir des gens contre les ours dans ce projet… On ne sait pas comment cela pourrait marcher.

Patrick Leyrissoux, vice-président de l'association Ferus

Une contestation "infondée"

Le directeur de Pays de l'ours-Adet continue : "Ils n'ont d'ailleurs aucune raison sérieuse d'être contre. Ils voulaient avoir la peau de ce programme de manière infondée". Il explique aussi que, dans le programme Life Ours-Pyr, aucune mesure de restauration de la population (qui passe par le lâcher de nouveaux ours) n'avait été prévue. 

Création d'un outil cartographique pour la gestion des espaces communs, analyse des mécanismes de déprédation, expérimentation de moyens de protection des troupeaux, accompagnement des bergers et éleveurs en zone à ours... Le projet Life Ours-Pyr (dont la synthèse est disponible ici) devait avant tout "assurer la compatibilité de la présence de l'ours avec les activités humaines"

"Tout était basé sur le volontariat, il n'y avait aucune contrainte", souffle Alain Reynes. 

Patrick Leyrissoux tient d'ailleurs à rappeler que la Pastorale pyrénéenne, une association d'éleveurs qui œuvre pour la mise en place de mesures de protection de troupeaux et de sélection de chiens de bergers, faisait aussi partie des concertations du projet Life Ours-Pyr. 

Protection essentielle pour les éleveurs : en 2020, sur l’ensemble du versant français, le nombre de prédations "confirmées" (où la responsabilité de l’ours ne peut pas être écartée) a été de 369 attaques pour 636 animaux tués, selon le Réseau ours brun

La mort du plan ours ? 

Lorsque l'on cherche à en savoir plus sur le remaniement du programme, on nous glisse à la préfecture d'Occitanie qu'il est trop "prématuré" pour connaître les tenants et aboutissants. Mais le temps presse, selon les associations de défense de l'ours.

En 2018, déjà, un "plan d'actions ours brun" a été décrété par Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire de l'époque. Étalé sur dix ans, ce programme est destiné à "permettre à la fois l’installation durable et la consolidation de cette population d’ours et garantir l’avenir du pastoralisme pyrénéen", et comporte "des actions qui seront évaluées et ajustées régulièrement", selon la maquette du plan.  

Quatre ans plus tard, en 2021, presque à la moitié de l'échéance, "rien de ce que comporte ce plan ours n'a été mis en œuvre", assure Alain Reynes. Pourtant, "le programme Life Ours-Pyr était la seule possibilité de mettre en place les actions de ce plan ours"

"Si on veut redéposer à la Commission européenne un nouveau programme Life Ours l'année prochaine, il faut se remettre au travail demain matin", alerte-t-il, invitant tous les acteurs à "se mettre autour d'une table, discuter de manière constructive et mettre en œuvre des solutions". 

Il finit par lâcher : "Est-ce que le plan ours est mort avant même d’être entré en application ?"

Pour moi, c'est un renoncement maquillé en remaniement.

Alain Reynes, directeur de l'association Pays de l'ours-Adet

"Ils ont voulu abattre un totem", déplore Alain Reynes, directeur de l'Association de défense de l'environnement Pays de l'ours-Adet. "À voir s'il est à terre, mort, ou s'il peut se relever"

La protection de l'ours inscrite dans la loi européenne

Quoi qu'il en soit, "la France est obligée de préserver les ours", souligne Patrick Leyrissoux, de par la directive européenne du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages. 

"Ursus arctos", nom scientifique pour ours brun, figure dans les annexes II et IV de cette directive, dans la catégorie "espèces animales et végétales d'intérêt communautaire dont la conservation nécessite la désignation de zones spéciales de conservation" et "qui nécessitent une protection stricte". Accolé à son nom, un astérisque qui précise que l'espèce est "prioritaire"

Par ailleurs, l'ours brun est l'un des trois mammifères classé "en danger critique d'extinction" sur la Liste rouge des espèces menacées en France de l'IUCN de 2017

L'État a été condamné par le Tribunal administratif de Toulouse, le 6 mars 2018, pour avoir manqué "à son obligation de maintenir l’ours brun dans un état de conservation favorable". Il a dû indemniser les associations requérantes, qui n'étaient autres que Pays de l'Ours-Adet et Ferus, pour le préjudice moral subi en raison de ce manquement. 

Quelques mois après cette condamnation, deux ours slovènes avaient été réintroduits dans les Pyrénées et le plan ours avait été décrété. 

Les associations attendent de voir ce qu'il retournera de ce remaniement du programme Life Ours. En soi, "la France est libre de faire ce qu'elle veut, tant que les résultats sont là", concède Patrick Leyrissoux.

En attendant, "ce sont les ours qui font le boulot eux-mêmes et se reproduisent". Cet été, six portées ont été identifiées par le Réseau ours brun sur l'ensemble des Pyrénées. 

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