Le metteur en scène Yohan Manca présente et joue dans le festival off du Festival d’Avignon une pièce inspirée des dernières heures de la vie du terroriste Mohamed Merah. Un triste souvenir et une adaptation malvenue pour certaines familles de victimes.
Parmi les 1 480 spectacles proposés jusqu’au 26 juillet par le Festival d'Avignon dans son off, le pari osé du jeune metteur en scène Yohan Manca. Il joue "Moi, la mort, je l'aime comme vous aimez la vie", le récit des dernières heures de Mohamed Merah, le terroriste islamiste qui a tué sept personnes à Toulouse et Montauban en mars 2012.Une pièce tirée du verbatim des négociations entre le terroriste et la police
Entre le 21 et le 22 mars 2012, pendant trente-deux heures, la police fait le siège de l'appartement de Mohamed Merah à Toulouse et tente de la convaincre de se rendre. En vain. L'assaut est donné et Merah meurt. L'écrivain Mohamed Kacini a écrit ce texte à partir du verbatim des négociations entre le terroriste et la police publié en juillet 2012 par le journal Libération, Yohan Manca le met en scène et le joue. C'est lui qui interprète Mohamed Merah.Sur la scène, une cloison. D'un côté, Mohamed Merah, de l’autre, le policier. Selon Thierry Fiorile, de France Info, "la banalité du mal frappe le spectateur : la pièce met cette horreur glaciale sur scène, elle montre pour essayer de comprendre et pas pour excuser."
"J'ai pris mon scooter, je suis rentré chez moi et j'ai commandé une pizza aux quatre fromages", lance le Merah joué par Manca après la fusillade devant l'école primaire. "Mais tu pensais à quoi quand tu tirais à bout portant sur la gamine de trois ans ?", lui demande le policier, de l'autre côté de la cloison. "Je pensais à Youtube", répond le jeune homme. Selon le metteur en scène, interrogé par Thierry Fiorile, Mohamed Merah était "un fanatique des armes à feu plus que du Coran". Un jeune terroriste élevé dans un antisémitisme prégnant. "C'est ancré en lui, il a l'impression que c'est normal. C'est ce qui est terrible et terrifiant."
Il dit avoir ressenti le besoin de comprendre et de faire ce travail nécessaire, même si "on est conscient que tout ça est bouillant et que c'est clivant. Évidemment, il y a des gens qui n'ont pas envie de voir ça, qui n'ont pas envie d'entendre ça, qui n'ont pas envie de se replonger dans ces affaires-là"
Un choc et un danger pour certains
Pour Latifa Ibn Ziaten, la mère de la première victime de Merah à Toulouse, cette pièce est un choc. "Cela me choque parce que mettre Mohamed Merah dans une pièce de théâtre, montrer ça, parler de lui, de ses conversations, c'est faire de lui un héros et je ne trouve pas ça intelligent. Merah, c'est pas un héros, c'est un assassin".On le place comme un héros mais Merah, ce n'est pas un héros, c'est un assasin."
Elle craint surtout que ce texte ne donne des idées à des jeunes fragiles comme ceux qu'elle rencontre au quotidien dans son combat contre la radicalisation : "chaque fois qu'un jeune me dit "Merah, c'était un héros", c'est comme si on tuait mon fils une autre fois, Merah c'était seulement un assassin et un monstre. Cela me fait peur, cette pièce, j'ai peur que ça donne des idées à des jeunes fragiles, je me bats tous les jours pour empêcher ça.".
Son avocate, Samia Maktouf, dénonce de son côté "une dérive grave" : "je connais par coeur le verbatim des ces heures-là, ça vous donne la chair de poule. C'est de la propagande. Ce sont des textes qui pourraient pousser des jeunes à passer à l'acte. Ce n'est pas du tout comme la pièce Djihad, montée en Belgique (et jouée récemment à Toulouse, au théâtre Garonne, ndlr), qui dénonce l'endoctrinement, là, on utilise le verbatim de quelqu'un qui a essayé de justifier ses actes, c'est très grave".
Franck Touboul, le président du conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) en Midi-Pyrénées, se dit pour sa part "totalement réfractaire à tout ce qui peut participer à stariser, glorifier, encenser, rendre romanesque le parcours d'un barbare et à assurer la promotion de son nom." Bien sûr, ajoute-t-il, "la culture et la création sont libres, fort heureusement, et je comprends la démarche du metteur en scène et ce qu'il a voulu démontrer et dénoncer. Je comprends ce dialogue entre ce policier et ce barbare mais je déplore le fait qu'on parle à nouveau de ce triste personnage. De notre point de vue, c'est toujours extrêmement pénible de voir starifier ce nom".
Avant d'ajouter : "nous ne supportons plus de voir simplifier ces tristes épisodes de Toulouse et Montauban et de les voir résumés aujourd'hui au seul nom de cet assassin quand personne n'est capable de citer le nom des victimes".
Liberté de création pour d'autres
Il ne peut y avoir de sujet tabou." Simon Cohen
De son côté, Simon Cohen, l'avocat de deux familles de victimes de Mohamed Merad, défend au contraire "la liberté absolue de la création artistique". "La création artistique peut s'appliquer à n'importe quel sujet" dit-il, "pourvu qu'elle respecte les principes fondamentaux décrits par la loi. Il faut défendre résolument ce principe de liberté. Il ne peut y avoir de sujet tabou. Sinon, est-ce qu'alors la Shoah le deviendrait ? Est-ce que le massacre des Tutsis par les Hutus le deviendrait ? Ce n'est pas envisageable".
Un procès à Paris en octobre
Au terme de cinq ans d'enquête, seules deux personnes seront jugées pour les tueries perpétrées par Mohamed Merah. Son frère aîné, Abdelkader, qui n'a pas réussi à effacer son rôle de mentor, comparaîtra pour complicité d'assassinats terroristes. Et un petit délinquant, Fettah Malki, qui devra répondre de son aide logistique, comparaîtra lui pour association de malfaiteurs terroriste criminelle. Tous deux seront jugés du 2 octobre au 3 novembre 2017 devant la cour d'assises spéciale de Paris.Retrouvez ici notre dossier complet sur l'affaire Merah.