Mardi 18 juin, une information judiciaire pour blessures involontaires a été ouverte à l'encontre du chirurgien grenoblois. Déjà suspendu par le conseil de l'ordre des médecins, il est soupçonné d'avoir réalisé des opérations abusives sur des dizaines de personnes.
Dans l'affaire du chirurgien orthopédiste grenoblois suspendu, une information judiciaire pour "blessures involontaires ayant entraîné une ITT (incapacité totale de travail, NDLR) supérieure à trois mois, à l'encontre de 27 plaignants" a été ouverte mardi 18 juin à l'encontre du docteur V., selon le procureur de la République de Grenoble Eric Vaillant. L'enquête est donc confiée à un juge. "Les victimes ne peuvent que se réjouir de cette nouvelle étape judiciaire même si elle s'annonce longue et compliquée", indique Maître Hervé Gerbi, avocat de plusieurs victimes dont celle du patient décédé.
Suspendu pour trois ans
Le docteur a déjà été suspendu par le conseil national de l'ordre des médecins (CNOM) pour 3 ans dont 18 mois avec sursis, sur la base d'une soixantaine de dossiers. Après enquête, la CPAM de l'Isère avait a en effet recensé 54 dossiers concernés en 2013 et 2014. La CPAM lui reprochait d'avoir parfois opéré sans disposer de tous les éléments
nécessaires, de ne pas avoir toujours bien informé ses patients, de n'avoir pas fait de suivi opératoire de qualité, et surtout de ne pas fournir d'explications convaincantes dans une trentaine de dossiers liés à des complications postopératoires.
Une nouvelle étape commence maintenant que l'enquête a été confiée à un juge. "Ca veut dire que tous les dossiers postérieurs à 2014, et ils sont nombreux ce sont aujourd'hui ceux qui occupent la majorité de nos cabinets, vont pour une grande part avoir une suite, probablement pénale, explique Maître Hervé Gerbi, avocat de victimes présumées. Par ailleurs, nous attendons la suite sur le signalement d'un patient décédé dans le cadre de la prise en charge du docteur V.".
Révélant une demi-douzaine de plaintes début avril, l'avocat de ces personnes, Me Edouard Bourgin, avait reçu ensuite les témoignages de dizaines de personnes s'estimant victimes de ce chirurgien. Il avait organisé une réunion d'information, au début de laquelle la presse avait assisté, et avait constaté un nombre important de personnes avec des prothèses, des minerves ou en fauteuil roulant, qui pour beaucoup décrivaient un homme pressé d'opérer, et leur affirmant qu'elles risquaient de rester infirmes si elles n'obtempéraient pas rapidement.
"Il s'agira de débats techniques entre experts dans lesquels il ne faudra jamais oublier qu'il y a, au centre, des victimes, des personnes qui ont souffert", reprend Maître Hervé Gerbi. Le procureur de Grenoble, qui n'a pas souhaité s'exprimer, n'exclut pas que d'autres cas apparaissent dans les semaines qui viennent mais rappelle que le docteur V. bénéficie toujours de la présomption d'innocence.
Une série de plaintes pour diffamation
Car fait rare : l'avocat du chirurgien, Me Bernard Boulloud, avait lancé début mai une série de plaintes en diffamation ou pour dénonciation calomnieuse. Trois organes de presse (Le Parisien, Le Dauphiné Libéré et 20 Minutes) étaient visés ainsi que quatre victimes présumées. Me Boulloud a salué l'ouverture d'information judiciaire "qui permettra d'avoir accès au dossier", "plutôt que de subir une information à charge sur la place publique par médias interposés".Ce dernier a souligné ironiquement que, "deux mois seulement après le lynchage médiatique" de son client, le parquet de Grenoble "est enfin parvenu à clore son enquête ouverte depuis déjà trois années à la demande de la CPAM". Il a noté que "depuis le 10 avril, la police judiciaire a semble-t-il réussi à contacter les 54 assurés leur précisant qu'en cas de douleurs ils avaient alors la possibilité de porter plainte contre le chirurgien", et a noté que la moitié seulement l'avaient fait à ce stade.
Pour sa part, Me Bourgin a souligné que l'ouverture de cette instruction était "largement due au courage de quatre victimes qui ont osé parlé à la presse avec leurs mots", et subissent des poursuites en diffamation "scandaleuses".
Me Bourgin a estimé en outre qu'il y avait dans cette affaire "un corporatisme dévoyé conduisant à diffuser de bien contestables informations au public". En visant notamment, sans le nommer, le Pr Philippe Merloz, un ancien supérieur du Dr V. au CHU de Grenoble, qui avait fait part publiquement de "son étonnement et de son incompréhension totale" devant les poursuites visant le chirurgien. "Nous aimerions remonter le fil de ce qui s'est réellement passé depuis douze ans, depuis que l'un de mes clients a été amputé à la suite d'une opération imputable à ce chirurgien et que la dangerosité de celui-ci est venue en débat", a-t-il conclu.