Des membres de la mouvance anarcho-libertaire sont suspectés dans plusieurs enquêtes pour incendies volontaires survenus ces dernières années dans la région de Grenoble. On vous explique ce que l'on sait de cette nébuleuse refusant l'autorité, notamment celle de l'Etat.
On compte désormais une douzaine d'incendies criminels dans la métropole de Grenoble. La gendarmerie de Meylan, la Casemate, France Bleu Isère et plus récemment le local Enedis à Seyssinet-Pariset... Cette succession d'actes a donné lieu à l'ouverture de plusieurs enquêtes depuis 2017. Le procureur de la République de Grenoble a pour sa part estimé qu'il s'agissait d'un "attentat terroriste" et demandé la saisine du parquet national anti-terroriste, qui a refusé.
Alors les investigations se poursuivent localement avec une mouvance dans le viseur des autorités : les anarcho-libertaires. Plusieurs de ces actes volontaires ont été revendiqués sur un blog de la mouvance et ces textes sont "pris au sérieux" par les enquêteurs. Des perquisitions ont eu lieu dans des squats de la métropole grenobloise et à la ZAD de Roybon il y a quelques mois. Pour l'heure, personne n'a été officiellement mis en cause dans ces affaires.
D'où vient cette mouvance ? Quelle vision de la société prône-t-elle ? Qui sont ses membres ? France 3 Alpes vous en dit plus sur cette mouvance.
Qui sont-ils ?
Les sympathisants sont généralement des jeunes, plutôt éduqués, selon plusieurs études sociologiques citées par Simon Varaine, spécialiste grenoblois des mouvements anarcho-libertaires. "Pour eux, la révolution n'est pas un grand soir mais un acte de tous les jours. C'est notamment dans l'insurrection au quotidien qu'on fait advenir son idéal", explique le chercheur.
De manière globale, les différentes mouvances anarchistes se rejoignent dans une défiance vis-à-vis de l'autorité. "Pour (eux), l'Etat a toujours été l’incarnation du pouvoir illégitime", détaillait Normand Baillargeon, professeur à l'Université du Québec à Montréal (UQAM), à TV5Monde. Et en ce qui concerne la mouvance grenobloise mise en cause dans la série d'incendies, elle s'apparente à l'idéologie "appeliste", au sein même des anarchistes.
Ce mouvement est né suite à la publication d'un texte nommé "L'appel" en 2003. "Il défend plusieurs idées, notamment le fait que le pouvoir politique et la domination ne seraient plus centralisés mais auraient gagné la vie quotidienne et même la manière de penser des individus au travers différents canaux comme la police, l'éducation et la technologie. Leur idée, c'est qu'il faut se soulever contre cette aliénation", ajoute Simon Varaine.
Avant d'intégrer la mouvance, ces personnes ont eu "une forte expérience de l'activisme politique" et parfois été "témoins ou victimes de violences policières". C'est pourquoi elles ont souhaité "poursuivre la lutte par d'autres moyens" et devenir "activistes à plein temps en s'organisant autour de réseaux de savoirs, de connaissances, de pratiques", précise le chercheur.
Quelles sont leurs cibles ?
Leurs cibles classiques sont des lieux représentatifs du pouvoir de l'Etat, tels que des gendarmeries pour viser directement "la violence policière et la répression", cite encore l'universitaire grenoblois. Mais dans la capitale des Alpes, les incendiaires se sont attaqués à d'autres lieux plus "inhabituels" comme la Casemate, "le symbole pour eux de la diffusion d'une culture numérique qui serait une distraction des individus vis-à-vis des vrais problèmes et de la misère".
Il y a également eu France Bleu Isère, un acte par lequel ils ont souhaité faire une "critique des médias qui créeraient une forme d'hypnose". La nouveauté dans cet acte est le fait de cibler un média local plutôt qu'un grand groupe, ce qui rentre toutefois dans la logique d'une "insurrection locale et imprévisible".
Pourquoi Grenoble ?
Les activistes ont revendiqué une dizaine d'incendies sur un blog affilié à leur idéologie : Indymédia. Un site créé "au moment de la mobilisation contre des grands sommets" dont l'idée est de dire aux sympathisants : "Ne haïssez pas les médias, devenez vous-même un média", poursuit Simon Varaine. Il existerait une centaine de plateformes identiques dans le monde, d'après le chercheur, dont le but est d'offrir un canal où les sympathisants peuvent publier librement.
Grenoble n'est pas la seule ville en France concernée par la présence de cette mouvance. A Toulouse, Nantes ou encore Paris, ces noyaux se mobilisent également pour mener des actions contre le pouvoir en place. Mais la métropole grenobloise est un terrain fertile pour le mouvement, selon Simon Varaine, étant notamment une ville étudiante dont la population est en grande partie jeune. "Par son cadre naturel, c'est aussi un lieu d'expérimentation pour des personnes qui recherchent des modes de vie alternatifs, plus proches de la nature", explique-t-il.