Témoignage. "Je suis partie de rien, je me suis battue" : paroles de femmes chefs d'entreprises issues de quartiers prioritaires

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Denise Carter, chef d'entreprise issue du quartier de la Villeneuve à Grenoble, a dû se battre pour réussir à créer son atelier de confection.
Encourager l'entreprenariat des femmes dans les quartiers difficiles : l'exemple de Denise et de Maryame ©France 3 Alpes / V. Cooke - C. Delcroix
Publié le Écrit par Cécile Mathy et Virginie Cooke

Maryame et Denise sont issues du quartier prioritaire de la Villeneuve à Grenoble. Elles ont crée leur emploi et donné du travail à d'autres, mais ont dû lever beaucoup de barrières. Fières de leur parcours, elles espèrent inciter d'autres femmes à entreprendre et à bénéficier des programmes d'accompagnement pour se lancer.

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Elles ont, plus que d'autres, dû faire preuve d'abnégation, de confiance et de persévérance. Croire en leur idée, façonner leur projet, sans se préoccuper des préjugés sociétaux et des barrières mentales dressés sur leur parcours d'entrepreneurs. Denise Carter et Maryame Maddahi sont toutes deux issues du quartier de la Villeneuve, à Grenoble.

Il y a une dizaine d'années, elles ont créé leur emploi et leur entreprise. Denise Carter s'est lancée dans le monde de la mode. 

"Je voulais créer mon entreprise depuis mes 15 ans. Ça a commencé tôt parce que je n'avais pas la possibilité de rentrer dans une grande école, pas la possibilité d'aller vivre à Paris donc autant créer mon emploi par moi-même", explique-t-elle.

A 23 ans, la jeune femme tente l'aventure mais se heurte rapidement à des réticences.

"On n'est pas pris au sérieux"

"C'était compliqué. Je ne sais pas si c'était parce que j'étais originaire de la Villeneuve ou si c'est parce que j'étais jeune, je n'arrive pas à situer le curseur. Quand on arrive d'un quartier prioritaire et qu'on va voir un banquier, on n'est pas pris au sérieux et on a des réponses plutôt négatives en face. Ce n'est jamais dit explicitement mais on ressent une certaine méfiance", poursuit-elle.

C'est finalement un organisme de micro-crédit qui l'aidera à démarrer son activité. Denise passe outre les remarques condescendantes.

"En tant que femme dans l'entreprenariat, il y a déjà des a-priori. Et, quand on vient d'un quartier, il y en a encore plus parce qu'il y a des clichés qui nous collent à la peau. Moi, par exemple, j'ai eu comme réflexion : 'pour une personne qui vient d'un quartier, elle parle bien...'", s'étonne la jeune femme. 

Dans les quartiers prioritaires, un tiers des créateurs d'entreprises sont des femmes

Adolescente, ses amies aussi érigent des barrières, l'encourageant plutôt "à trouver un mari", qu'à créer sa boîte. 

"C'est plus difficile de créer son entreprise quand on vient d'un quartier prioritaire parce que, déjà, il y a la famille, l'entourage qui peut empêcher ou ne pas encourager. Et après quand on arrive quelque part, il y a déjà des préjugés et donc on doit faire plus que les autres pour y faire face et pour les faire tomber", ajoute Denise Carter. 

Et les statistiques sont là pour le confirmer. D'après un rapport du Sénat sur la politique de la ville, "les femmes demeurent tout particulièrement sous-représentées au sein de la dynamique entrepreneuriale des QPV (ndlr : Quartiers Prioritaires de la Ville). En effet d'après ce rapport, les femmes ne représentent qu'un tiers des créateurs d'entreprise dans ces quartiers, "contre 48% à l'échelle nationale". 

Maryame Maddahi a créé son institut de beauté il y a quinze ans, avant de le vendre récemment pour lancer sa marque de cosmétiques. 

"J'avais vraiment l'impression qu'être chef d'entreprise, c'était réservé à une catégorie, qu'il fallait avoir un certain âge, avoir réussi financièrement. L'image que j'avais d'un chef d'entreprise, c'était une image très masculine", indique-t-elle.

Du reste, il lui a fallu apprivoiser son nouveau statut. 

Ça a été très difficile pour moi de me présenter comme "chef d'entreprise"

Maryame Maddahi

fondatrice d'une marque de cosmétique à Grenoble

"On a tendance, en tant que femme, à s'excuser d'être là, à toquer tout doucement aux portes et puis en fait ce qui paye vraiment, c'est d'essayer. J'ai demandé, on m'a fermé des portes à certains moments mais ce n'est pas grave. J'ai appris mes limites aussi et donc je dirais que c'est cela la posture entreprenariale, c'est se mettre dans la position de chef d'entreprise. Ça a été très difficile pour moi de dire "chef d'entreprise". Quand je me présente je disais 'je crée un produit' ou alors 'j'ai un institut de beauté' mais dire 'bonjour, je suis chef d'entreprise', ça a mis du temps".

Pour Maryame, venir d'un quartier prioritaire est une chance, au final.

Profiter des programmes d'accompagnement

"Je me suis rendue compte qu'on avait beaucoup d'avantages à être issu des quartiers puisqu'il existe des aides, des dispositifs, des accompagnements qu'on ne va pas retrouver dans d'autres écosystèmes. C'est important de le savoir, que les femmes sachent qu'elles peuvent en profiter et qu'elles sachent qu'en terme d'entreprenariat, tout est possible. Il n'y a aucune porte qui nous est fermée", affirme la trentenaire.

A Grenoble, plusieurs programmes existent pour aider les créateurs d'entreprises à l'instar d'Entrepreneurs dans la Ville -qui propose six mois d'accompagnement gratuits sans conditions de diplômes- mais aussi de "Les Premières Auvergne-Rhône-Alpes" qui s'adresse particulièrement aux femmes.

"Des femmes très fortes qui n'ont pas peur"

Depuis 2016, la fondation de l'école de commerce Grenoble Ecole de Management héberge même une chaire baptisée "Femmes et renouveau économique", dirigée par Séverine Le Loarne.

Un dispositif de "recherche-action" qui étudie les femmes dans l'entrepreneuriat autant qu'elle les aide à avancer dans leur projet. Les entrepreneuses sont donc à la fois des élèves et des sujets d'études.

"On va essayer de contribuer à la création d'emplois et de richesses économiques en partant de la recherche, en proposant de bons accompagnements basés sur la recherche, et en proposant des outils pédagogiques qui découlent de l'observation", décrypte la chercheuse.

"A la Villeneuve, vous trouvez des femmes qui ont des caractères très très forts, qui n'ont pas peur, qui ne se freinent pas, qui ont des rêves très très grands et qui ont un atout génialissime la plupart du temps, c'est les bienfaits d'être pluriculturelles. On les aide à voir beaucoup plus grand que la Villeneuve, à penser à plein d'autres lieux qui vont leur permettre de faire éclore le projet. On va travailler sur la canalisation pour qu'elles choisissent la direction dans laquelle elles veulent aller", analyse Séverine Le Loarne.

"Nous, ce que l'on essaye de faire, c'est une maïeutique. On n'apprend rien, en revanche on prend toute leur force et on essaye de canaliser cette force vers un objectif : être elles, créer de l'emploi pour elles, et créer de l'emploi pour les autres", conclut la chercheuse. 

Denise Carter se dit "fière" de son parcours, pour elle-même et pour l'exemple qu'elle donne à d'autres femmes. "Je suis partie de rien, je me suis battue à chaque étape pour en arriver là et je suis contente parce que j'ai aussi ouvert la porte à d'autres. En voyant que j'avance, ça leur donne envie d'entreprendre". 

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