Le Chartrousin Jules Lapierre fait partie des athlètes à suivre ce week-end lors de l'étape de Coupe du monde de ski de fond aux Rousses, dans le Jura. Sacré champion de France longue distance il y a quelques jours, il confirme sa bonne forme, trois semaines après son premier podium individuel sur la Coupe du monde.
Ils ont l'habitude d'évoluer dans l'ombre. Dans l'ombre des Norvégiens qui dominent sans partage le monde du ski nordique. Dans l'ombre de leurs coéquipiers français du ski alpin qui ont choisi de dévaler les pentes et qui brillent dans les médias. Dans l'ombre des biathlètes qui enchainent les podiums à la télévision.
Eux, ce sont les laborieux, les héritiers de la plus vieille discipline de ski, les endurants, les persévérants. Alors quand l'effort paye, quand les marches du podium s'ouvrent devant eux, la joie est débordante, elle emporte tout. C'est ce qu'a vécu l'Isérois Jules Lapierre, il y a près de trois semaines, en devenant le 13e athlète de l'histoire du ski de fond français à monter sur un podium de Coupe du monde.
C'était en Italie, dans le Val di Fiemme, lors de la dernière épreuve du tour de ski qui offrait aux fondeurs, en dessert, une mass start dans la montée de l'Alpe Cermis. Après une mise en jambes de 7 km, imaginez-vous remonter une piste de ski alpin en skis de fond : 450 mètres de dénivelé positif sur 3,65 km avec une pente moyenne de 13% et des murs à 28%.
L'un des rares fondeurs Français à monter sur un podium de Coupe du monde
Une demi-heure plus tard, les cuisses en feu, la bouche grande ouverte, mais le poing rageur, le Chartrousin de 27 ans a obtenu le premier graal de sa carrière sur une course individuelle : une troisième place en Coupe du monde.
"C’était un rêve de faire un podium et de le réaliser c’est incroyable", nous explique-t-il. "Emotionnellement, j’étais tellement content, qu’après, j’ai eu un petit contrecoup, j’étais un peu plus fatigué, mais c’est pour ça que je fais du ski de fond", nous confie-t-il.
Troisième, derrière deux Norvégiens, les rois ancestraux de la discipline. Chez eux, le ski de fond n’est pas qu’une tradition, c’est une institution. Et ils règnent en maîtres sur le circuit mondial, à l’instar de Johannes Hosflot Klaebo.
Seuls les sprinters français (comme le Haut-Alpin Richard Jouve ou le Savoyard Renaud Jay) réussissent à tirer leur épingle du jeu. Mais sur les épreuves de distance, les Norvégiens raflent presque tout. Les autres nations doivent se partager les miettes.
Tenter d'exister face à l'hégémonie norvégienne
"Sur le début de la Coupe du monde cette année, c’était un petit peu écœurant pour nous de voir ça, parce que on a l’impression de s’entraîner, d’être à 100% et, eux, ils nous écrasent".
Une hégémonie qui n’aide pas les Français à faire connaître leur sport à la maison.
"Cela nous rend un peu triste d’entendre que le ski de fond, c’est dominé par les Norvégiens et que du coup ce n’est pas intéressant. C’est difficile d’entendre ça, alors qu’on n’est déjà pas très populaires, on n’est pas très médiatisés. C’est un sport finalement peu connu ici", regrette-t-il.
"Les Norvégiens, ils ont vraiment la culture du nordique. Ils ont une plus grosse densité, ils ont beaucoup plus de jeunes, beaucoup plus d’athlètes qui continuent plus vieux aussi", poursuit-il.
Jules Lapierre a, lui, découvert les planches effilées du nordique très jeune, entre les Alpes du Sud, le Vercors et le Jura. Ses parents "ne [lui] ont pas vraiment laissé le choix". Rapidement, cependant, il adhère et pratique le ski de fond par plaisir avec un copain de Saint-Hugues-de-Chartreuse.
"Ce qui m’a attiré, c’est le côté sauvage, être dans la nature, avec la neige, ces étendues immaculées, j’adorais ça quand j’étais petit". La compétition ? Il ne s'y intéresse pas vraiment.
Repéré par un club lors de la Traversée de Chartreuse à ski
Mais autour de son entrée en collège, il participe une fois par an à la course jeune de la Traversée de Chartreuse, une course de ski de fond aujourd’hui disparue, faute de neige suffisante (voir notre reportage datant de 2014 ci-dessous dans lequel Jules Lapierre fait une apparition).
"Plusieurs années de suite, je l’ai gagnée. Et, au bout de deux ou trois ans, le club Ski Nordique Chartreuse m’a proposé de les rejoindre. J'y suis allé avec mon pote Benjamin pour voir ce que c’était. Et puis, en fait, ils nous ont payé la licence comme on faisait de bons résultats. Et c'est comme ça, que cela a lancé le truc. Tout s’est enchainé plutôt bien et c’est devenu ma passion", se souvient-il. A l’époque, Jules avait douze ans.
Le fondeur a fait toutes ses gammes en Chartreuse. Il y vit toujours, à Sarcenas, au-dessus de Grenoble. Et même s'il doit parfois aller chercher la neige dans les Hautes-Alpes pour s'entrainer, il reste attaché au massif et à son club.
"On pratiquait le ski de fond en club mais pas en mettant la compétition en avant. C'était ludique. Ce qui m’a animé toutes ces années et qui m’anime toujours maintenant, c’est que je me suis toujours retrouvé avec des gens qui sont devenus mes amis. Et depuis que j’ai commencé, je me suis toujours fait des copains dans le ski de fond et ça a toujours été un plaisir de partager des moments avec eux".
Le ski de fond aves les copains
Au-delà de l'amour du sport, l'Isérois a donc choisi la discipline du fond pour "ce partage d’émotions, de moments, de rigolades, de moments dans la neige, de moments de confrontation aussi parce qu’au fil du temps, c’est devenu la compétition. Mais c’est quasiment toujours resté très sain, dans une ambiance bon enfant".
Il n’aura pas fallu longtemps au jeune homme pour faire ses preuves à l’international. Quelques années seulement après son arrivée au Ski Nordique Chartreuse, il participe aux championnats du monde juniors en Italie, déjà dans le Val di Fiemme. Et c'est en équipe, dans cet esprit de camaraderie, qu'il monte sur un premier podium.
"Là, on a fait une performance, on a fait une médaille sur le relais. Cela n’était pas arrivé depuis vingt ans. On était deuxièmes du relais avec une super équipe : Richard Jouve, Lucas Chanavat, Valentin Chauvin, Jean Tiberghien. Et moi, sur une course individuelle, j’avais fini quatrième. C’est une course qui m’a vraiment marqué, et qui a déclenché des choses…"
"Cela m’a fait passer dans un autre niveau de professionnalisme aussi, dans l’entraînement, d’être plus impliqué, ça m’a un peu lancé sur la route du haut niveau. Les années d’après j’étais mieux entraîné, qualitativement et quantitativement, je faisais plus d’entrainements, ça m’a lancé sur la compétition internationale".
Faire sauter les barrières mentales
En 2019, l'Isérois décroche la couronne mondiale en catégorie U23 sur le 15 km en skating (pas de patineur). Deux ans plus tard, il prend la médaille de bronze en relais sur le 4x10 km avec l'équipe de France seniors lors des championnats du monde. Entre les deux, il fait ses armes sur le circuit international, fleurtant souvent avec le top 10, échouant parfois d'une grosse spatule à monter sur le podium.
Sa troisième place début janvier sur le Tour de ski peut faire office, selon lui, de déclencheur pour tout l'équipe de France, engagée sur les épreuves de distance.
"Ça ouvre une voie qui s’était un peu refermée parce que il n’y avait pas eu de podiums depuis quelques années sur les distances, hormis Maurice Manificat. Donc, il y a un peu des barrières à casser, des marches à franchir. On est un petit groupe qui a un bon niveau, avec Hugo Lapalus, Clément Parisse, Maurice et il y a des jeunes qui arrivent aussi. Il ne faut pas que l’on se mette de barrières. Il faut continuer, moi je serais enchanté que les collègues aussi comme Clément aillent chercher les podiums parce que ils ne sont pas loin, à chaque fois, ils font des 5e places, ils sont 6e, 7e, 10e, et il manque ce petit truc en plus pour aller chercher le podium. J’espère que ça va lancer la dynamique".
Champion de France 2023
D'autant que la forme semble être au rendez-vous. Le week-end dernier, Jules Lapierre est devenu champion de France longue distance à Arvieux, dans les Hautes-Alpes, lors de la mass start classique sur 30 km.
"Les sensations sont bonnes. Je suis sur une bonne lancée maintenant il faut profiter de cette dynamique qui est plutôt montante et rester là-dessus". Avec en ligne de mire les championnats du monde qui se dérouleront à partir du 21 février à Planica, en Slovénie.
Les championnats du monde de Planica dans le viseur
Le Chartrousin espère faire une médaille sur le skiathlon, l'épreuve d'ouverture. Particularité de la discipline : elle allie les deux styles. Après 15 km en classique (pas alternatif), les fondeurs changent de paire de skis pour faire 15 km supplémentaires en skating (pas de patineur).
"C’est une course qui m’a toujours bien réussi par le passé, avec le changement de skis au milieu. C’est une distance et un format de course qui me vont bien. Je suis un peu meilleur en skating parce que je suis moins puissant en alternatif, en poussée", indique le fondeur au petit gabarit (1,69m pour 63 kg). "Le fait que le skiathlon finisse par du skating, c’est pas mal. J’ai de belles ambitions là-dessus, je me prépare bien pour ça. Cette course va un peu calibrer le reste de la compétition".
Mais avant ce gros morceau de la saison, Jules Lapierre espère confirmer sur le circuit de la coupe du monde dès ce vendredi aux Rousses. La station jurassienne accueille une étape, pour la première fois de son histoire.
Briller aux Rousses, lors de la seule étape française de coupe du monde
"Le week-end de coupe du monde en France, ça fait super longtemps qu’on n’a pas eu ça. J’espère que je vais bien faire, que tous les Français vont bien faire, car c’est un honneur de courir en France", explique le fondeur isérois.
Courir en France a d'autres avantages, notamment en terme de fatigue. Pour les fondeurs, l'hiver est un long marathon de déplacements à travers l'Europe, de la Finlande à l'Estonie, en passant par la Norvège, la Suisse, l'Allemagne, l'Italie ou la Suède.
"C’est vrai que des fois, c’est un peu usant d’être tout le temps parti. Quand ça va bien et que les résultats sont là, globalement ça ne me pose pas de problème. Mais quand il y a une maladie ou un épisode de fatigue, c’est plus compliqué et ça devient plus difficile. Moi je ressens vraiment l’envie de rentrer chez moi dans ces moments-là, et ça arrive toujours à un moment dans la saison où il y a un petit ras le bol et où on a envie de rentrer".
La menuiserie pour se vider la tête
Et quand le besoin de se ressourcer se fait sentir, pour éviter la fatigue mentale, Jules Lapierre a développé la même stratégie que la biathlète Julia Simon : la menuiserie.
Après un bac S et des tentatives avortées de poursuivre des études supérieures en fac de biologie ou à l'IUT Tech de Co à Annecy, le fondeur a opté pour une formation en menuiserie.
"J’ai fait ça avec Clément Parisse. On a fait ça tous les deux à Grenoble, au Greta. C’est co-géré par le Greta et les Compagnons, et j’ai fait ça sur deux ans, au printemps, en 2018-2019", raconte-t-il.
"Pour moi, c’est important d’avoir autre chose à côté du ski, une autre passion. Trouver l’équilibre qui va bien pour être bon et ne pas être la tête baissée dans les skis parce que ça, j’ai déjà fait et ça n’a pas fonctionné. Je ne pensais qu’au ski et au bout d’un moment cela ne marchait plus".
La menuiserie fait également partie des pistes à suivre dans l'optique de sa reconversion. Pour l'instant, Jules Lapierre a rejoint "l'armée des champions", au grade de chasseur, ce qui lui permet de se concentrer uniquement sur sa carrière sportive.
"L'avenir ? J’y pense un peu. Il faudrait que je finisse mon diplôme d'état de ski... J’ai la menuiserie dans un coin de la tête, mais je ne sais pas trop, il y a pas mal de choses qui m’attirent dans l’univers de la montagne. J'ai des idées mais encore rien de précis".
L'Isérois a encore le temps d'y penser. Son coéquipier, Maurice Manificat, évolue toujours en équipe de France, à bientôt 37 ans.
En attendant, il s'alignera ce vendredi dans le Jura sur le 10 km skating de la coupe du monde et dimanche sur la mass start classique de 20 km.