TEMOIGNAGE. "Air Cocaïne" : "Je n'en aurais pas fait un film", l'ancien pilote Bruno Odos veut retrouver sa "vie banale"

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Bruno Odos, pilote de l'affaire "Air cocaïne", invité de L'Instantané ©France 3 Alpes / Céline Aubert-Egret

Alors que Canal+ diffuse une série consacrée à l'affaire "Air Cocaïne", Bruno Odos sort de son silence, malgré lui, pour livrer sa vérité sur les huit années de combat judiciaire, passées entre la République dominicaine et la France. Depuis son acquittement en 2021, il a retrouvé "une vie banale" en Isère, dans le Vercors, à laquelle il aspire.

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Il a été l'un des protagonistes de l'affaire dite "Air Cocaïne", une affaire rocambolesque qui s'est achevée par son acquittement en 2021, au terme de huit années d'allers-retours en prison, entre la République dominicaine et la France.

Une histoire sur laquelle il a choisi, longtemps, de se taire. Bruno Odos n'est pas du genre à s'épancher, mais il ne veut pas, non plus, nourrir la machine à rumeurs. Alors, lorsqu'il a su que Canal+ allait consacrer une série à l'affaire, il a accepté -un peu à contre-cœur- de témoigner pour "donner sa vérité, plutôt que de l'entendre de la bouche d'un autre"

"Ce n'était pas nécessaire pour moi de prendre la parole", dit-il, "mais ça s'imposait, parce que si on ne la prend pas dans ce genre d'événements, elle sera prise par quelqu'un d'autre. Au moins, c'est ma vérité à moi que j'ai pu exposer"

Bruno Odos a du mal à comprendre qu'on puisse s'intéresser à son histoire. Il n'a de cesse de répéter qu'il a une vie "assez banale". Faire de lui un personnage romanesque, cela le contrarie. "J'avais une vie banale jusqu'à ce qu'il m'arrive cette méchante affaire", dit-il.

La sidération de l'arrestation

Il y a un peu plus de dix ans, il était arrêté sur le tarmac de l'aéroport de Punta Cana, en République dominicaine. L'ancien militaire, reconverti en pilote de ligne dans l'aviation d'affaires, s'apprêtait à repartir pour la France, à bord d'un Falcon 50 avec Pascal Fauret, l'autre pilote, et deux passagers : l'homme d'affaires Alain Castany et Nicolas Pisapia. L'avion était chargé de 26 valises contenant 680 kilos de cocaïne. Les quatre hommes sont placés en détention, ils passeront quinze mois dans les geôles dominicaines. Bruno Odos et Pascal Fauret clameront toujours leur innocence, niant connaître le contenu des bagages.

"L'arrestation, c'est la sidération parce qu'on ne s'attend pas en tant que pilote de ligne et commandant de bord dans l'aviation d'affaire, à être arrêtés", raconte-t-il. "La suite, cela a été une cascade d'ennuis et d'incompréhensions et puis petit à petit, je me suis aperçu que c'était une affaire qui avait de l'ampleur, qui avait débordé au-delà des limites de la République dominicaine, qui avait aussi une assise en France", dit-il.

"C'était compliqué à gérer depuis là où on était, parce que, enfermés en République dominicaine, les prisons telles qu'elles sont, c'est le Moyen Âge des prisons. Il n'y a quasiment aucun moyen de se défendre. Il y a très peu de possibilités de voir ses avocats, c'est très très compliqué. Alors comment on vit ça ? Et bien, on survit. Je suis resté alerte pour rester combatif pour me sortir de cette affaire-là, mais il fallait y aller étape par étape et cela a été long et compliqué", indique Bruno Odos. 

En République dominicaine, les prisons telles qu'elles sont, c'est le Moyen Âge.

Bruno Odos

incarcéré pendant 15 mois dans les geôles dominicaines

En République dominicaine, il découvre notamment que l'affaire a été baptisée "Air Cocaïne", par les médias, en France. Ce nom, il l'exècre. Il le voit comme une condamnation avant l'heure. "Avec un titre pareil, ça laisse peu de doutes aux gens qui voudraient avoir des explications et forcément, ce n'est pas un bon titre. Ça ne me paraissait pas très adapté à notre situation, mais c'est resté comme cela, même le procès s'est appelé Air Cocaïne, donc c'est tamponné, c'est définitif", regrette-t-il. 

Raconter cette histoire, "je ne trouvais pas ça très intéressant, d'autant que moi j'ai vécu pas mal de longueurs", souligne-t-il. La vie, sa vie, il ne l'a pas vécue comme un film à suspense. Lui se souvient des temps morts, de ces longues journées passées dans la promiscuité, avec des détenus qu'il ne comprend pas, dans des cellules de moins de dix mètres carrés.

Enfermés dehors, dans l'attente d'un procès en appel

"On était dans des cellules de six, au départ, avec des Dominicains, puis après, le temps passant, j'ai réussi à me rapprocher de Pascal, qui était dans une cellule où il y avait des Français. C'était un quartier de très haute sécurité, où il n'y a pas de lumière du jour, où on est enfermés 23h30 par jour, donc on a très peu de contacts. Ça a été compliqué de changer de cellule, puis je me suis retrouvé avec lui. Ça a aidé parce qu'on a connu des moments difficiles alternativement et on s'est soutenus, alternativement. On se disait qu'on allait s'en sortir", raconte-t-il. 

Ils finiront par sortir de prison, après quinze mois d'enfermement, mais la liberté retrouvée n'en est pas vraiment une. Condamnés à 20 ans de prison en République dominicaine en août 2015, ils attendent leur procès en appel. Livrés à eux-mêmes, ils doivent se loger comme ils peuvent, "d'abord dans un hôtel miteux", puis dans un village un peu en retrait de la mer où ils passeront plusieurs mois. "Après, on voyait que ça durait, on attendait un procès qui n'arrivait pas, on s'est rapprochés de l'aéroport de Punta Cana" pour faciliter les visites de leurs avocats ou de leurs proches. Les deux hommes puisent, une nouvelle fois, dans leurs ressources mentales pour passer le temps dans un pays qu'ils ne connaissent pas. 

"Moi, je me suis astreint à une discipline de sport, je marchais tous les jours 10 à 20 km. Et l'astreinte morale, c'est de rester en contact avec les avocats le plus possible, de garder en tête le dossier, même si là-bas, le dossier c'était 70 pages, c'était rien car on était inconnus pour eux. Il fallait se tenir accrochés au dossier à la manière dominicaine, c'est-à-dire trouver les failles dans le dossier qui nous permettraient pendant le procès de nous en tirer. Le reste du temps, on le passe à espérer, c'est tout. On était face à l'est, face à mon pays. Donc, tous les soirs, je me disais : dans pas longtemps, un jour peut-être, je traverserai, je serai de l'autre côté". 

Le retour clandestin vers la France

Et ce jour finit par arriver, en octobre 2015. Les deux hommes ont décidé de prendre leur destin en main. Une équipe d'amis des deux anciens militaires organise leur "exfiltration". "Quand on est dans ce pays-là, tout est possible, le meilleur comme le pire. Et c'est le pire qui nous est arrivé. On avait aussi dans l'idée, enfin moi surtout, de ne pas rester", explique Bruno Odos.

Les deux pilotes sont emmenés, clandestinement, en bateau vers la Martinique, d'où ils prennent un avion pour la France. Et s'il comprend que ce retour surprenant puisse alimenter l'imaginaire des scénaristes, sa réalité a été bien différente, dans la peur et la lenteur. 

"Moi je ne l'ai pas vécu comme ça, je n'en aurais pas fait un film. Cela a duré cinq jours l'exfiltration, c'est long. Un bateau, ça va à deux nœuds, donc cela n'avance pas. La République dominicaine, on a mis deux jours pour ne plus la voir", indique-t-il. Des jours à espérer ne pas être interceptés.

L'exfiltration, "je n'en aurais pas fait un film"

"Cela n'avait rien de réjouissant. Je n'en garde pas un bon souvenir, vraiment pas, sauf la fin, quand j'ai quitté l'aéroport d'Orly et que personne ne me suivait", raconte Bruno Odos. A ce moment-là, il se dit : "Déjà, je suis rentré en France, ça c'est fait"

Bruno Odos ne jouira, en France, que d'une semaine en liberté, dans son village du Vercors où il est installé depuis le début des années 1970. "On était mis en examen en France, donc on avait un statut, je n'étais pas fuyard. Je me suis présenté à la justice. Quand je suis rentré chez moi, j'ai téléphoné à la gendarmerie pour dire : 'je suis chez moi, je ne suis pas armé, je suis un mec gentil, vous pouvez venir quand vous voulez'.  Et là, on m'a arrêté comme un grand bandit. Il y avait trente gendarmes de la brigade de recherches de Grenoble. C'était une surprise, ça. Mais bon, c'est à l'image de tout le reste. Plus on fait de battage autour d'une affaire, plus on pense qu'elle est importante", déclare Bruno Odos.

Retour en prison, à son arrivée en France

Retour par la case incarcération pour le pilote et pour Pascal Fauret pendant cinq mois, jusqu'à la remise en liberté conditionnelle. En 2019, une cour d'assises spéciale, sans jury, les condamne à six ans de prison.  

"Après cela, la condamnation a été suivie de 40 jours d'enfermement, dans une prison à côté d'Aix, puis on est à nouveau sortis. On ne doit pas être nombreux en France à avoir fait trois fois des rentrées et des sorties pour la même affaire", dit-il dans un sourire. "C'est dur parce que c'est sans fin. C'est un éternel recommencement, il faut se remobiliser à chaque fois, il faut réétudier le dossier, voir ce qui n'a pas fonctionné en première instance, etc.", raconte-t-il.

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Reportage du 27 octobre 2015 à Autrans. Réactions à l'exfiltration de Bruno Odos et de Pascal Fauret de République Dominicaine ©France Télévisions

Ce n'est pas une injustice que j'ai vécue. En revanche, c'est une grosse épreuve

Bruno Odos

Acquitté en 2021

Le procès en appel, en 2021, aboutira à l'acquittement des deux hommes, au bout de huit ans d'instruction. "L'injustice, cela aurait été de ne pas être jugé, ce qui était le cas en République dominicaine puisqu'on est restés presque trois ans sans être jugés. Là, on a été jugés, on a pu se défendre, c'est mon pays, je parle la langue, je sais ce que j'ai fait, surtout ce que je n'ai pas fait. J'ai été mis en cause dans une affaire qui ne me concernait pas. Ce n'est pas une injustice que j'ai vécue, en revanche c'est une grosse épreuve", explique Bruno Odos. 

De cette histoire, il veut tirer une mise en garde sur l'emballement médiatique et l'implacable mise en route de la machine judiciaire qui fait d'un suspect, un coupable. 

"C'est atroce. Moi je suis très touché. On met facilement les gens en prison en France. J'ai vu comment cela se passe. C'est compliqué de se défendre et l'enchaînement qui vous a amené là, c'est rare qu'il s'arrête devant le juge des libertés. Je pense que c'est très compliqué d'avoir en face de vous quelqu'un qui va dire : 'vous avez été arrêtés, détenus, interrogés, il y a une juge d'instruction qui veut vous mettre en prison, mais moi, non, je m'oppose à cela'. Il y a beaucoup de gens qui sont acquittés après de longues années de procès, mais ça intéresse assez peu, donc je suis content de pouvoir dire que cela s'est bien terminé", dit-il, sans colère, sans véhémence. 

Retour à la vie normale, retour à la "la vie banale"

Aujourd'hui, Bruno Odos vit toujours à Autrans, dans le Vercors, "là où tout le monde m'a vu grandir", où le soutien est "silencieux, timide, pudique". "La grande majorité des gens que je vois, c'est comme avant, donc cela m'a permis pas mal de rester stable, de ne rien changer. Je n'ai pratiquement rien changé", dit-il. "Mon quotidien est très banal", répète-t-il à l'envi. "J'ai des enfants, je suis grand-père donc je les vois plus souvent qu'avant. Je n'ai plus de travail relatif à l'aéronautique parce que je n'ai plus l'âge. Donc l'hiver je dame les pistes de ski et l'été je fais du petit service à la personne. J'ai une petite activité qui m'occupe de temps en temps"

"Ma vie, je l'ai reprise", poursuit-il. "Cela n'a pas bouleversé ma vie. Enfin si, par certains côtés, mais pas énormément. Moi, je n'ai pas changé. Evidemment, j'aurais aimé vivre autre chose pendant ces dix années avec mes enfants, ma femme, mes amis que ce que j'ai vécu, parce que je leur ai infligé des trucs qu'on inflige à personne normalement. Même si moi j'ai souffert, ils ont pas mal souffert aussi", dit-il. 

Bruno Odos n'a pas regardé la série de Canal+, et ne le fera pas dans l'immédiat. Après des années à se taire, parce qu'il n'avait "personne à convaincre sauf les juges", il se dit qu'il doit parler de son histoire, pour restituer sa vérité, dans sa complexité, et pas à la manière réductrice d'un film d'aventures.

"La question n'est pas de savoir si je veux passer à autre chose. C'est enkysté, c'est ancré dans tout ce qu'on veut, ça ne bougera plus. Donc c'est pour cela que cela ne vaut pas la peine de m'arcbouter sur le fait que je ne dirai rien, en fait cela provoquerait peut-être même un attrait malsain alors que je n'ai rien à cacher. Faut que j'arrive à la rendre tellement banale, cette histoire, qu'on ne s'y intéresse plus. Ce qui m'arrangerait, c'est cela", conclut-il.

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