Témoignages. Colère des agriculteurs : "Il n'y a pas plus écolo que nous", estime un producteur laitier

Publié le Écrit par Mélanie Philips

La colère des agriculteurs n'a de cesse de gonfler. Leurs revendications sont simples : moins de bâtons dans les roues, plus de reconnaissance et de la valorisation. Quentin Jaffuel est agriculteur dans le Puy-de-Dôme et partage le ras-le-bol de ses collègues.

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Voilà quelques semaines que des manifestations d’une grande ampleur secouent l’Europe. En effet, les agriculteurs se révoltent contre l’importance des charges financières et des normes environnementales jugées trop lourdes. Et la France n’échappe pas à ce mouvement de contestation, puisque l’autoroute A64, près de Toulouse, a été bloquée plusieurs jours. Pour tenter de répondre à cette colère, le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, a annoncé, dimanche 21 janvier au micro de RTL, le report d’un projet de loi.

Le secteur de l'agriculture doit évoluer avec la société

Cette colère, Quentin Jaffuel, 31 ans, agriculteur installé à Manglieu (Puy-de-Dôme), la partage avec ses collègues. Après ses études, il décide de prendre la suite de son grand-père sur l’exploitation. "C’est un métier passion. J’ai baigné dedans en passant mes vacances chez mes grands-parents et j’ai chopé le virus, se remémore le producteur de lait AOP bleu d’Auvergne et fourme d’Ambert. Ce qui m’a attiré, c’est le contact avec les animaux, c’est quelque chose qui ne s’explique pas. Le travail de la terre, la continuité de la structure familiale… Il y a aussi le fait de se sentir utile, de produire de l’alimentation pour la population française et d’entretenir un territoire."

Son métier, il l’aime, et pour rien au monde, il ne l’échangerait. Même s’il connaissait certaines contraintes, comme l’amplitude horaire, d’autres viennent se rajouter.

C’est un métier qu’on aime et on ne peut pas le faire sans avoir le goût de ce métier. Parce que ce qui nous fait gronder aujourd’hui, c’est toutes les contraintes qu’on se retrouve à supporter.

Quentin Jaffuel, agriculteur à Manglieu

Pour la contrainte horaire, il la connaissait. Pour autant, selon lui, cela doit changer. "On a une société qui évolue, et le monde agricole ne doit pas rester en retrait de cette société. Aujourd’hui, ma génération ne voudra plus accepter ces conditions." La solution ? L’association à deux qui permet de laisser aux agriculteurs une certaine souplesse dans les horaires et se garder du temps pour la famille. "Mais pour être deux, il faut sortir deux revenus, et avoir du travail pour trois", souligne Quentin.

Inflation et baisse du pouvoir d'achat

Le revenu. Voilà l’une des principales causes de la colère des agriculteurs. "J’ouvre le portail à 5h00 du matin, je rentre autour de 19h00, même si j’ai encore du travail, pour voir ma fille 1h00. Quel salaire on mériterait de toucher ? Moi, je me prélève 1 000 euros par mois. On compte tout, c’est très dur", raconte le jeune agriculteur, très touché par cette situation.

Par rapport à ma femme, c’est compliqué de justifier qu’on rapporte si peu, en consacrant autant de temps au travail. C’est dur de mettre sa fille toute la journée à la nourrice et de la voir juste un peu le dimanche.

Quentin Jaffuel, agriculteur à Manglieu

Pour lui, il y a un manque de considération et de valorisation des produits qu’ils produisent. Quentin Jaffuel a vu son pouvoir d'achat baisser en dix ans. Et selon l’Insee, l’indicateur qui se rapproche le plus du revenu agricole devrait reculer de 9 % en 2023.

Aujourd’hui, ce qui me révolte, c’est que pour que les gens puissent avoir du pouvoir d’achat, il faut faire baisser le prix des produits agricoles.

Quentin Jaffuel, agriculteur à Manglieu

Si cet indicateur, qui avait augmenté de 13,1 % en 2022 puis de 9,6 % en 2022, avait mis du baume au cœur des agriculteurs, aujourd’hui, la vie est dure, notamment avec le coût de l’énergie qui a explosé – et qui va subir une nouvelle augmentation au 1ᵉʳ février –, les coûts des intrants (engrais, produits phytosanitaires) et du gazole qui ont augmenté. Aujourd’hui, les prix ne cessent d’augmenter puis de redescendre "Avant, c'était dur, mais c’était stable. Aujourd’hui, c’est très aléatoire, c’est du poker. C’est pesant tout ça. On joue à la roulette russe, on fait des choix sans savoir si ce sont les bons."

Plus blanc que blanc

Une revalorisation serait donc la bienvenue pour ces agriculteurs. "Ça se joue à quelques centimes par litre ou au kilo. On ne demande pas plus. On ne veut pas s’en mettre plein les poches, juste vivre dignement", insiste Quentin Jaffuel avant d’ajouter : "Je n’échangerais pas ma vie dehors avec mes vaches, mais quoique… Pour une considération et un revenu digne de ce nom, peut-être. Parce qu’aujourd’hui, ça devient étranglant et c’est malheureux."

Autre point pour lequel les agriculteurs expriment leur colère : les normes environnementales. "Il y a sûrement besoin de contrôle, ça prouve la qualité de notre travail. Mais il faut arrêter de nous demander d'être plus blanc que blanc et arrêter l’écologie punitive, martèle l’agriculteur. Il faut nous laisser faire ce qu’on sait faire, arrêter de nous demander toujours plus."

Pour lui, on demande aux agriculteurs de produire mieux, pour un coût bas, en ajoutant toujours plus de contraintes. "Peut-être qu’il y a eu des abus par les générations d’avant, mais l’agriculteur est toujours dirigé. Et on suit assez sagement les choses. Mais ce sont des gens qui n’ont jamais enfilé une paire de bottes, qui ne connaissent rien et qui sont dans des bureaux et qui nous imposent des normes", s’insurge Quentin.

"On arrive à un moment où il faut que la roue bascule"

Pourtant, Quentin l’assure, "il n’y a pas plus écolo qu’un agriculteur, car la vie de la nature, c’est notre outil de travail". En revanche, ce qui le met en colère, c’est que l’on soit autant regardant sur les produits locaux, alors "qu’on importe des produits de l’autre bout du monde, venant de pays tiers qui ne respectent pas les mêmes normes que l’Europe, qui viennent en bateau ou en avion. Les gens sont déconnectés".

Moins de bâtons dans les roues, plus de reconnaissance et de la valorisation, c’est ce que demande Quentin et ses collègues. "On arrive à un moment où il faut que la roue bascule. Je suis sûr que les prochaines générations n’accepteront pas ce qu’on subit aujourd’hui. D’ailleurs, beaucoup de jeunes abandonnent ou vont abandonner", alerte-t-il à l’heure où le ministère estime qu’"un tiers des agriculteurs, soit 166 000 exploitants ou co-exploitants agricoles", seront partis à la retraite dans la décennie qui vient. 

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