Le jeudi 12 octobre, la cour d’assises d’appel du Rhône va rejuger Mamadou Diallo pour le meurtre de Catherine Burgod. Cette mère de famille enceinte, postière à Montréal-la-Cluse, avait été poignardée à mort le 19 décembre 2008. L'accusé avait été acquitté "au bénéfice du doute" en avril 2022 devant les assises de l'Ain.
Dans le box des accusés en 2021, Mamadou Diallo était seul pour répondre du meurtre de Catherine Burgod, postière à Montréal-la-Cluse. Tout au long de son procès à Bourg-en-Bresse, il a toujours nié être le meurtrier de la mère de famille de 41 ans, tuée sur son lieu de travail.
Acquitté par les assises de l'Ain, Mamadou Diallo va être rejugé ce jeudi 12 octobre 2023, en appel à Lyon. Un nouveau procès, 15 ans après la mort de la postière de cette commune du Haut-Bugey. Mais cette fois-ci, l'accusé va comparaître libre. Il encourt à nouveau la réclusion criminelle à perpétuité. Il sera fixé sur son sort le 20 octobre.
Lardée de coups de couteaux
Le corps de Catherine Burgod, poignardée à 28 reprises, a été retrouvé au matin du 19 décembre 2008, dans l'arrière-salle de la toute petite agence postale de Montréal-la-Cluse. La victime gisait dans une mare de sang.
Un choc et une affaire criminelle exceptionnelle dans le Haut-Bugey. Cette mère de deux enfants était enceinte de cinq mois lorsqu'elle a été tuée. Ce fait divers sanglant a traumatisé la commune aindinoise située au bord du lac de Nantua.
La piste crapuleuse a rapidement été suivie par les enquêteurs, une somme évaluée à près de 2500 euros ayant été dérobée dans le bureau de poste. Mais quinze ans après le drame, la mort de la postière n'a pas encore livré tous ses secrets. L'arme du crime est ainsi restée introuvable. Cette affaire se double aussi d'une mystérieuse disparition, celle de Gérald Thomassin, jeune espoir du cinéma français au début des années 90. Un temps mis en cause et même principal suspect.
Le mystère Gérald Thomassin
Dès le départ, les soupçons se sont rapidement portés sur l'ancien acteur. L'ex-espoir du cinéma français résidait au moment du drame, juste en face de la poste de Montréal-la-Cluse. Le jeune homme, qui avait été sacré "meilleur espoir masculin" en 1991 pour son rôle dans "Le petit criminel" de Jacques Doillon, était devenu un marginal, toxicomane et alcoolique, rattrapé par la réalité.
Il vivait discrètement de l'aide sociale, "dans sa grotte". Avant la parenthèse enchantée du cinéma, Thomassin a connu une enfance difficile, passé par des foyers et des familles d'accueil. Âgé de 34 ans au moment du meurtre, son profil et son comportement dans la commune plaidaient contre lui. Tout semblait le désigner comme le coupable idéal. L'acteur césarisé est devenu rapidement le suspect numéro 1.
Deux ans et demi de détention provisoire
Gérald Thomassin a été soupçonné du meurtre de Catherine Burgod durant de nombreuses années. Jusqu'en 2016, l'instruction se concentre sur lui. Ni témoin, ni élément matériel, ni ADN, ni aveux. Aucun élément concret ne pesait contre lui. Mais pendant presque 10 ans, les enquêteurs n'ont pas lâché la piste Thomassin. La ligne téléphonique du suspect a même été mise sur écoute durant plusieurs mois. Lors de certaines de ces conversations, le jeune homme disait vouloir s'accuser. Délires éthyliques d'un homme sous pression, selon ses proches.
Le comportement du marginal avait intrigué les enquêteurs, ce qui avait conduit à sa mise en examen en 2013 pour meurtre aggravé et à son placement en détention. Cette détention provisoire a duré près de deux ans et demi. Gérald Thomassin a finalement été relâché en 2016 et placé sous contrôle judiciaire. Sa mise en examen n'a cependant pas été levée.
Gérald Thomassin s'est finalement volatilisé le 29 août 2019. Il s'est évaporé lors d'un changement de train à Nantes. Le jour de sa disparition, une confrontation avait été organisée ce jour-là avec un autre suspect : Mamadou Diallo. Le marginal avait été convoqué par le juge d'instruction à Lyon. Il n'est jamais venu au rendez-vous fixé par la justice. Au moment de sa disparition, le jeune homme vivait à Rochefort. L'ancien suspect principal de l'affaire a finalement bénéficié d'un non-lieu, mais il reste introuvable à ce jour. Gérald Thomassin a toujours clamé son innocence.
Cette affaire très médiatisée a fait l'objet d'un livre-enquête intitulé "L'inconnu de la Poste", signé par Florence Aubenas en 2021. La journaliste est restée en contact avec Gérald Thomassin jusqu'à la veille de sa disparition. Une proximité sur laquelle elle est revenue dans un podcast de France Culture.
ADN : l'enquête rebondit en 2017
Mamadou Diallo, c'est l'autre nom qui apparaît dans ce dossier, plusieurs années après la mort de Catherine Burgod. L'homme est ambulancier. Mais il était lycéen au moment des faits en 2008. Alors âgé de 19 ans, il effectuait un stage près de Montréal-la-Cluse.
C'est en 2017, soit presque 10 ans après les faits, qu'il a été confondu par son ADN. Sa présence dans l'agence postale le jour du drame a été confirmée. Des centaines de comparaisons d'ADN ont été réalisées dans cette affaire. Le fichier national des empreintes génétiques (FNAEG) a finalement parlé : les traces prélevées sur un sac près du corps de la victime et sur un monayeur correspondent à l'ADN de Mamadou Diallo. Le lycéen avait déjà mis en cause dans un vol de carte bancaire, à l'époque classé sans suite.
Aux enquêteurs, le suspect a affirmé avoir pris la fuite après avoir découvert le corps de Catherine Burgod ce 19 décembre 2008. Non sans avoir au préalable avoir ramassé une liasse de billets qui trainait au sol, a-t-il ajouté. Ce qui justifiait, selon lui, la présence de son ADN sur les lieux du crime.
Procès d'assises en 2022 ...
Mis en examen et incarcéré, Mamadou Diallo n'a cessé de clamer son innocence et nié avoir tué la guichetière. Son procès, repoussé par la crise Covid, a débuté fin mars 2022, devant les assises de l'Ain, à Bourg-en-Bresse. Il a duré six jours. À l'audience, l'accusé a réaffirmé avoir pris la fuite après avoir découvert le corps de la victime.
Si ce dernier a toujours clamé son innocence pendant le procès, lors de l'enquête, Mamadou Diallo a donné de multiples versions. Pourquoi avoir varié dans ses déclarations au cours de l'instruction ? Au procès, l'accusé a évoqué des trous de mémoire et des faits lui revenant "par flashs". "J'ai paniqué, je n'ai pas réfléchi, en sortant, j'ai pris une liasse de billets, je suis sorti en courant", a-t-il déclaré à la barre lors de son procès.
... l'ombre de Thomassin
Lors du procès, une journée a été consacrée à Gérald Thomassin, pourtant absent au procès et bénéficiant d'un non-lieu. C'est l'avocate de la défense qui a insisté pour replacer Thomassin au centre des débats. "Il est normal pour la défense de faire en sorte que toutes les personnes suspectées soient présentes au dossier, dont celui qui était le suspect numéro 1, suspecté par le parquet", avait alors expliqué l'avocate de Mamadou Diallo, Me Noachovitch.
Pour les proches de Thomassin, le marginal avait été très perturbé psychologiquement par cette affaire, épuisé par les soupçons, allant jusqu'à vouloir s'accuser. Selon eux, l'ancien comédien aurait été incapable de faire du mal à quelqu'un. Par ailleurs, aucune preuve scientifique n'est venue l'accabler, aucune preuve ADN sur la scène de crime, contrairement à Mamadou Diallo. Quant aux proches de la victime, ils semblaient, eux aussi, avoir écarté la piste Thomassin au procès.
Acquitté "au bénéfice du doute"
Dans sa plaidoirie, l'avocate de la défense avait regretté une enquête à charge contre son client. Le grand absent de ce procès a bel et bien été Gérald Thomassin, selon elle. Me Sylvie Noachovitch avait également mis en avant la piste d’une anesthésie traumatique, pointée par les experts : "un choc émotionnel peut expliquer une conduite robotisée. Ce réflexe de voler, on peut l’avoir avec cette conduite robotisée", avait-elle plaidé. Enfin, l'avocate avait alerté la cour et la presse sur le risque d'une "erreur judiciaire" dans cette affaire. "Le doute doit bénéficier à l’accusé", avait rappelé l'avocate de la défense.
Le 5 avril 2022, au terme de cinq heures de délibérations, les jurés ont acquitté le trentenaire "au bénéfice du doute". Les jurés n'ont pas suivi les réquisitions de l'avocat général Eric Mazaud qui avait réclamé une peine de 30 années de réclusion criminelle à l'encontre de l'accusé. L'avocat général avait d'emblée rejeté la piste de Gérald Thomassin, indiquant qu'aucun élément matériel ne l'incriminait.
Les jurés ont choisi de croire celui que ses proches ont décrit comme un être "serviable", "droit", "incapable d'une once de violence" et de rejeter les arguments de l'accusation qui décrivait l'accusé comme un habile menteur.
L'ambulancier a en revanche été condamné à deux ans de prison --peine couverte par sa détention provisoire-- pour le vol de la liasse de billets. Ce qu'il avait reconnu avoir commis lorsqu'il s'est rendu sur les lieux du crime, avant --selon lui-- de prendre la fuite après avoir découvert le cadavre de la victime. La fin du procès avait signé sa remise en liberté.
Procès en appel : quels enjeux ?
"Il faut tout recommencer alors qu'il est innocent. C'est de l'acharnement judiciaire. Mais la justice a horreur du vide et il faut un coupable", a souligné l'avocate de l'accusé, Me Sylvie Noachovitch. Le parquet général a fait appel après l'acquittement de son client. C'est pourquoi Mamadou Diallo se retrouve une nouvelle fois devant la justice. Pour la défense, d'autres pistes, dont celle de Gérald Thomassin, ont été négligées.
Ce nouveau procès sera l'occasion de mettre en lumière les "vérités techniques" sur le crime et les contradictions du meurtrier présumé, selon Me Jean-François Barre, l'avocat des parties civiles et notamment représentant des enfants de Catherine Burgod. Selon lui, la version de Mamadou Diallo "est assez courte vis-à-vis de ce que l'on a et de ce à quoi il est confronté". "Quel type d'homme, avec les valeurs qui sont soi-disant les siennes, qui voit une scène aussi morbide avec une femme qui a du sang partout, va prendre l'argent sans appeler les secours ? Sans se soucier de quoi que ce soit ?", s'interroge-t-il.
Choc émotionnel
Reprenant l'argument du choc émotionnel, pour l'avocate de la défense, Mamadou Diallo "n'arrive pas à faire ressurgir tout ce qu'il a pu voir". "Tout ce qu'il sait, c'est qu'il a paniqué. Tout retombe sur lui alors que tous les éléments du dossier vont dans le sens de la version de mon client".
Le 5 avril 2022, après son acquittement, Mamadou Diallo avait exprimé son soulagement à sa sortie de la prison de Bourg-en-Bresse. L'accusé avait regagné sa cellule, dans l'attente du verdict. Ses premiers mots à la presse ont été destinés à la famille de la victime : "C’est un soulagement. J’ai quand même de la peine pour la famille de la victime. Il ne faut pas oublier qu’il y a une femme qui est morte". Et il avait ajouté : "Depuis le début, je clamais mon innocence. Aujourd’hui, la justice m’a entendu. Je vais essayer de me reconstruire petit à petit, merci du soutien." Avec ce nouveau procès, Mamadou Diallo encourt à nouveau la réclusion criminelle à perpétuité.