Alors que les Alpes françaises semblent désignées pour accueillir les Jeux olympiques d'hiver 2030, l'évolution des conditions d'enneigement pose question. Deux spécialistes du réchauffement climatique en montagne décryptent la tendance globale des prochaines décennies.
Pari réussi pour les Alpes. La candidature française, seule retenue par le Comité international olympique (CIO) pour entrer en "dialogue ciblé", a toutes les chances d'être sélectionnée pour accueillir les Jeux olympiques d'hiver en 2030.
Si les porteurs du projet, dont les sites sont dispersés en Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d'Azur, se félicitent d'accueillir ces olympiades, l'annonce suscite également l'opposition de militants écologistes et d'élus locaux.
Un collectif réunissant une trentaine d'organisations et des personnalités a notamment questionné, à travers une tribune publiée dans Le Monde, "la légitimité du projet dans un contexte de réchauffement climatique". Les massifs montagneux, en particulier dans les Alpes, sont en première ligne de ce phénomène qui provoque notamment une fonte accélérée des glaciers et l'accroissement de la tension autour de la ressource en eau.
Le sixième rapport du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (Giec) prévoit que le seuil de 1,5°C de réchauffement global sera franchi au début des années 2030. Les massifs alpins pourront-ils seulement accueillir les JO 2030 ? Comment l'enneigement va-t-il évoluer ? Deux chercheurs décryptent les perspectives climatiques à l'horizon des olympiades.
La variabilité comme facteur clé
"D'un point de vue climatique, 2030, c'est dans très peu de temps. Même si on est dans un climat qui se réchauffe en moyenne, il ne va pas changer fondamentalement en sept ans", explique Martin Ménégoz, climatologue à l'Institut des géosciences de l'environnement (IGE) de Grenoble. Le chercheur, spécialiste de la variabilité climatique, insiste sur l'importance de ce facteur à une échelle de temps si courte.
"Si on aborde la question d'un point de vue statistique, en 2030, la probabilité d'avoir un hiver sans neige sera un petit peu plus élevée qu'aujourd'hui, mais la probabilité d'avoir un hiver avec beaucoup de neige sera encore existante", complète-t-il.
Plus encore que la température, l'enneigement présente une très forte variabilité d'une année sur l'autre dans les Alpes. Malgré un contexte de réchauffement global, des épisodes neigeux continueront d'intervenir dans la prochaine décennie sans changement perceptible. "Il faut attendre une vingtaine d'années pour constater des différences majeures", poursuit le climatologue.
En 2030, quelles que soient les émissions mondiales de gaz à effet de serre d'ici-là, cela ne changera rien parce que c'est dans trop peu de temps. Par contre, l'enneigement dans les Alpes en 2050 dépend énormément des décisions qui sont prises au niveau international dès aujourd'hui.
Martin Ménégoz, climatologue à l'Institut des géosciences de l'environnement de Grenobleà France 3 Alpes
Reste toutefois la tendance globale à la baisse des précipitations neigeuses. Ces 50 dernières années, les Alpes ont perdu en moyenne un mois d'enneigement en hiver. Les redoux sont également plus fréquents, rendant les conditions très changeantes.
Conditions aléatoires
Les événements climatiques extrêmes deviennent de plus en plus fréquents sous l'influence du réchauffement climatique, allant d'épisodes de précipitations intenses à des variations brutales de température.
"On peut s'attendre à avoir des périodes anormalement chaudes pendant les hivers qui produisent des précipitations liquides jusque très haut en altitude, voire des périodes de fonte de neige, à l'image de ce qu'on a connu dans les Alpes ces dernières semaines", explique Ludovic Ravanel, chercheur du CNRS au laboratoire environnements, dynamiques et territoires de la montagne (Edytem).
"Ces coups de chaud pourraient faire que les conditions de ski passent de bonnes à très défavorables quasiment d'une semaine à l'autre", résume le spécialiste du réchauffement climatique en montagne. Ce caractère aléatoire va aller en s'accentuant sur les prochaines décennies. Les tendances des dernières années laissent toutefois percevoir un moindre enneigement à basse et moyenne altitude, mettant la pérennité de certaines stations en péril.
La question des sites de basse altitude
"L'épaisseur du manteau neigeux en dessous de 2 000 mètres d'altitude tend à être de moins en moins important du fait que les précipitations se faisaient sous forme de neige jusque dans les années 1990 et qu'elles se font aujourd'hui sous forme de pluie", analyse également Ludovic Ravanel, posant la question des sites implantés à ces altitudes.
C'est le cas des stations de Courchevel et Méribel (1450 m) qui accueilleront notamment les épreuves de combiné nordique ou encore du Grand-Bornand qui s'était retrouvé au cœur d'une polémique avant l'étape de Coupe du monde de biathlon en 2022.
La station haut-savoyarde, qui recourt au snowfarming, avait fait acheminer de la neige par camions, faute d'un enneigement suffisant quelques jours avant les épreuves. "Ce n'est pas impossible qu'à l'avenir, ces méthodes se généralisent pour être certain de l'enneigement, surtout pour des gros événements comme les Jeux olympiques", estime le chercheur du CNRS.
Les JO, quel impact ?
Si un point d'interrogation demeure autour des conditions des JO 2030 dans les Alpes, reste la question de leur impact. "Cet événement, tel qu'il est organisé aujourd'hui, est absolument incompatible avec les trajectoires qui limitent le réchauffement climatique", considère Martin Ménégoz, appelant à "adapter et repenser" ces olympiades.
"Si on regarde la fin du siècle, entre 1 500 et 2 000 mètres d'altitude, il n'y aura quasiment plus de neige du tout dans les Alpes", insiste le climatologue. Sans recours à la neige artificielle, 53 % des stations européennes feraient face à un risque "très élevé" de manque de neige si la hausse des températures mondiales était de 2 °C, selon une étude parue en août dans la revue Nature Climate Change.
Or, la neige artificielle est de la "mal adaptation", nous expliquait Thierry Lebel, car "pour faire face aux conséquences du changement climatique, on émet une quantité encore supplémentaire de gaz à effet de serre".
"Ce qui va se passer aux JO de 2030 dépend surtout de ce qu'on a émis comme gaz à effet de serre sur les 50 dernières années. Et ce qu'on va émettre sur les dix prochaines années ne va pas conditionner les JO, mais la société de 2050", conclut Martin Ménégoz.