Manifestations, blocages de chantiers, recours en justice, dans les Alpes, des citoyens multiplient les actions contre des projets qu'ils jugent "nocifs". On les accuse souvent d'être des "ayatollahs". Eux, se définissent comme des "lanceurs d'alerte" en faveur de l'environnement. Rencontre.
Le parking Gustave Ravet en centre-ville à Chambéry, le Club Med à Valloires, ou encore la ligne TGV Lyon-Turin en cours de chantier, autant de projets (parmi beaucoup d'autres) qui cristallisent depuis des mois, voire des années, l'opposition de nombreux citoyens.Des militants écologistes pour la plupart, qui donnent à leurs actions des visages protéiformes : manifestions symboliques ou spectaculaires, barrages de chantiers, chaînes humaines, mais aussi manifestations plus "corsées". Ils manient tout aussi bien les mobilisations sur les réseaux sociaux pour des pétitions, que la multiplication des recours en justice.
Quelles sont les motivations de ces femmes et de ces hommes qui s'engagent ? Des convictions écologistes profondément ancrées ? Une culture politique ? Pas forcément, c'est aussi "l'amour de son coin de terre, de son village" qui les pousse à se mettre en travers de grands travaux d'aménagements. Beaucoup ont tout simplement décidé de "défendre l'environnement mais aussi leur patrimoine et leur cadre de vie".
Militants écologistes : "ayatollahs" ou lanceurs d'alerte?
Les militants écologistes sont-ils des "ayatollahs" comme les accusent certains, ou des lanceurs d'alerte, comme ils disent l'être ? Ce qui est sûr, c'est qu'ils n'hésitent pas à partir en guerre contre les grands groupes, les constructeurs et les élus locaux.
Dans la vallée de la Maurienne en Savoie, c'est la création d'un nouveau Club Med à Valloire qui provoque une levée de boucliers. L'enseigne prévoit de créer un nouvel établissement par an dans les stations des Alpes. Celui de Valloire, d'une capacité de 1500 lits, se situerait au bord de la route menant au fameux col du Galibier.
Pour les membres de l'association écologiste locale, ce projet est "d'un autre temps". "C'est une image de marque d'il y a 20 ans, c'est un truc qui se faisait il y a longtemps, le club Med de nos jours, on sait que plus ça va, plus il va faire chaud, plus on va avoir envie d'avoir de la nature qui ressemble à de la nature, de préserver tout ce qui est un peu sauvage, et là ce qu'on veut, c'est augmenter l'emprise bétonnée à un endroit où le sol est plus ou moins stable, explique Eric Digonnet, retraité et résident.
Dans les rangs des opposants, des écologistes mais de nombreux citoyens "lambda", des retraités amoureux de la montagne, des propriétaires de résidences secondaires, mais aussi des actifs en télétravail, comme Mathieu Penverne, consultant pour l'industrie : "moi je ne suis pas du tout militant écologiste, mais je ne vois pas les avancées économiques, seulement l'impact environnemental. Il y a des vallées où ils ont dit NON. C'est la raison pour laquelle moi aussi je suis là".
La pétition de l'association qu'ils ont lancée sur Internet a recueilli plus de 12.000 signatures. Le chiffre n'impressionne pas le moins du monde le maire (SE) de Valloire qui rejette en bloc les arguments du camp d'en face : "ce sont des principes dogmatiques déjà au départ, un peu du caractère légèrement 'Ayatollah', je me permets ce terme", rétorque Jean-Pierre Rougeaux : "On nous critique : pourquoi vous faites un Club Med alors qu'il n'y aura plus de neige, mais je ne vois pas du tout pourquoi on nous dit ça, et même si un jour nous n'avons plus de neige, nous aurons encore des vacanciers, et même en nombre plus important qu'on en a aujourd'hui."
L'enquête publique sur la révision du plan local d'urbanisme (PLU) de Valloire, elle, est toujours en cours.
Une bataille entre pot de terre et pot de fer?
Autre pomme de discorde, de longue date, le projet de TGV Lyon-Turin. Lancé en 2013, il promet de réduire le nombre de camions entre la France et l'Italie et de mettre Paris à quatre heures de Milan. Mais il faut pour cela creuser trois tunnels sous les massifs alpins, de l'Epine à la Vanoise.
Le tunnel principal fera 57 km de long. A ce jour, 10 km du tube sud de ce tunnel ont déjà été excavés;. Des galeries de reconnaissance avaient été creusées en Maurienne. L'une d'elle se situe à 60 mètres sous le village de Villarodin-Bourget. Dans le petit village, la fronde est née il y a... 20 ans et est loin de s'éteindre.
Aurélie, 37 ans, est infirmière. Elle est présidente de l'Association de la sauvegarde du site du moulin. C'est une enfant de la vallée et elle n'a jamais oublié : "J'avais 17 ans à la base, j'étais toute jeune, on entendait juste parler d'un gros projet qui allait peut être impacter le village. J'habitais pas encore ici, j'étais étudiante, on s'est rendu compte que les gens allaient être expropriés sans compensation, ils allaient passer sous le village et c'est au fil de l'avancement des travaux qu'on s'est aperçu qu'il y avait un énorme impact".
Philippe Delhome, membre de l'association Vivre et Agir en Maurienne, professeur d'histoire-géo de 56 ans et ancien élu municipal n'a jamais désarmé : "voir des dépôts de remblais dans le lit de l'Arc, en zone inondable, des maisons fissurées par les tirs de mine, des zones forestières classées déboisées, et des sources d'eau tarries par le creusement du tunnel, c'est un crève-coeur".
Mais devant l'avancée inexorable du chantier, il a l'impression "d'être le pot de terre contre le pot de fer". "Cela fait des années que je me bats, contre ce phénomène, j'ai quelques échos, mais il y a quelque chose qui se passe qui est assez étrange avec ce projet, c'est que ça s'éteint. Personne ne se préoccupe de ce genre de situation. Et pour moi, c'est dramatique parce que c'est la vie de la vallée qui va être dérangée, bouleversée."
Au total, 30 km des 162 km d'ouvrages souterrains prévus ( tunnel bitube et descenderies qui serviront de galeries de maintenance et de sécurié ) ont été creusés, soit 20% de ce chantier titanesque à réaliser.