C'est la question posée dans une affaire de trafic de drogue qui revient devant le tribunal correctionnel de Dijon mercredi 19 décembre 2012.
L'un des prévenus, qui a déjà condamné pour des faits similaires, a été dénoncé à la police. Son avocat souhaite connaître l'identité de l'informateur qui a dénoncé son client, car il estime que l'anonymat comporte des risques de manipulations, avec des dépositions mensongères ou incomplètes. Mais, la police refuse de donner le nom de son indicateur, alors même que la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Dijon a demandé en mai dernier que l'identité de la source soit révélée.
La bataille juridique qui se joue est particulièrement importante. En effet, les renseignements anonymes sont essentiels à certaines enquêtes. Le problème est que "le droit n'apprécie pas l'anonymat", résume sur son blog Georges Moréas, ancien commissaire spécialisé dans la lutte contre le grand banditisme. Il rappelle que la défense doit, en principe, "pouvoir faire interroger les témoins à charge". Le recueil d'informations anonymes est pourtant, de longue date, couramment employé dans les affaires de drogue, de braquages, et dans tous les cas où les témoins encourent des risques importants. "Environ 80% de nos enquêtes d'initiative, en matière de stupéfiants, impliquent au moins un indic", explique un responsable policier.
Mais, il n'y a pas que le grand banditisme. L'anonymat est aussi utilisé quand les témoins redoutent des pressions : c'est le cas dans les affaires de violences urbaines, comme par exemple dans le procès des tirs visant des policiers à Villiers-le-Bel en 2007.
L'utilisation de l'anonymat a été codifiée par la loi dans les années 2000. La législation distingue deux cas de figure : la situation des témoins et celle des indics.
- En 2001 et 2002, d'abord, le recueil de "témoignages sous X" a été admis pour les crimes et délits où la peine encourue est d'au moins trois ans de prison, "avec l'objectif avoué de délier les langues des résidents des banlieues chaudes", souligne Georges Moréas. Ces témoins peuvent même déposer à l'audience par visioconférence, la voix déguisée, ce qui permet à la défense de les interroger.
- En 2004, la loi Perben-II a officialisé le statut des indics policiers, désormais enregistrés au "Bureau central des sources" et rémunérés, avec leur anonymat garanti. Le but était de mettre fin aux arrangements de certains policiers avec leurs informateurs, illustrés par l'affaire Neyret.
Dans les deux cas, cependant, ces informations conservent une valeur limitée devant la justice. "Elles ne constituent pas des preuves et ne peuvent fonder à elles seules une condamnation", rappelle le pénaliste lyonnais Jean-Félix Luciani.
L'affaire a été examinée par le tribunal correctionnel de Dijon jeudi 25 octobre dernier. Il avait été beaucoup question de procédure. L'audience sur le fond a été reportée au 19 décembre.
Reportage de Natahlie Baffert et Christian Mirabaud avec :
- Me Thomas Bidnic, avocat de Mokhtar Matallah
- Me Samuel Estève, avocat de l'un des prévenus