Le centre Tivoli, spécialisé dans l'accompagnement, le soin et la prévention des conduites addictives, a ouvert à Dijon, une consultation réservée à la prise en charge des femmes enceintes dépendantes.
Dans une salle d'attente à Dijon, des mères comparent le temps de sommeil de leurs bébés autour d'un biberon. Rien que de très banal, sauf qu'elles prennent un traitement de substitution à l'héroïne pendant que les soignants s'emploient à tisser un "cocon" autour d'elles. Ces jeunes femmes font partie des huit mères suivies dans le cadre d'une consultation pour femmes enceintes mise en place à l'été 2012, dans un centre d'addictologie de Dijon (CSAPA Tivoli), financé par l'Agence régionale de santé (ARS).
"Le jeudi après-midi, nous n'accueillons dans cette salle d'attente que les gros ventres et les bébés", annonce, souriante, Valérie Hamelin, le médecin qui a mis en place cette consultation. Les futures et nouvelles mères sont toutes accueillies à la même heure. Pendant que l'une va renouveler son traitement dans le bureau du médecin, les autres parlent lait de croissance et nuits écourtées.
"Ce qu'elles se disent entre elles a plus de poids que ce que les professionnels peuvent dire", souligne Marie-Pierre Parent, l'infirmière. Il faut apaiser leurs craintes sur le syndrome de sevrage du nouveau-né, mais aussi les "conforter dans leur capacité à être une bonne mère. Nous travaillons beaucoup à l'extérieur, avec les maternités, contre les représentations négatives", souligne-t-elle.
Reportage: Anne Berger, Jean-Louis Saintain, Pascal Rondi
Avec : Dr. Valérie Hamelin, médecin coordinatrice
Emmanuel Benoit, directeur de la Société d'Endraide et d'Action Psychologique (SEDAP)
Selon les recherches menées notamment par le professeur Claude Lejeune, président du Groupe d'études grossesse et addictions, "le changement global de regard envers les femmes toxicomanes améliore très sensiblement le pronostic périnatal" (prématurité, lien mère-enfant...). Or, le regard des professionnels peut encore être "très critique, presque répressif". Le risque est alors que la mère se détourne des réseaux de soins au péril de sa santé et de celle de l'enfant.
"Depuis une dizaine d'années, il y a de plus en plus de formation des professionnels et de travail en réseau", se félicite la sociologue et démographe Laurence Simmat-Durand, qui participe avec le professeur Lejeune à un diplôme universitaire Périnatalité et addictions. "C'est moins tabou mais très dépendant des représentations des professionnels". Elle pointe l'absence de données sur ces femmes enceintes toxicomanes, qui mènent une grossesse à terme.
Selon l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), il y avait environ 280 000 usagers d'opiacés, cocaïne et amphétamines en France en 2011, dont 20% de femmes. Pour ces femmes, "le temps de la grossesse va être un moment propice à l'entrée dans le soin, ce sont quelques mois qu'il faut saisir", rappelle l'infirmière Marie-Pierre Parent. Mais, afin que le "cocon" ne se détricote pas une fois passé le seuil de la consultation, les équipes réfléchissent à un moyen d'accueillir également les pères. "C'est souvent le papa qui ramène le produit à la maison", dit pudiquement Valérie Hamelin.