Mercredi 4 décembre 2013 : ce deuxième jour du procès est consacré à l'examen de l'aspect technique des faits, avec notamment l'audition des experts. C'est la réglementation qui est au banc des accusés aujourd'hui.
9h10 : l'audience débute
Mme Guironnet est expert en incendie et explosion au laboratoire de la police scientifique de Lyon. Elle explique la conjonction des événements qui a fait qu'un simple feu de poubelle a pu embraser une façade et provoquer un tel drame. La configuration des lieux, le vent et la présence de nombreux éléments en plastique facilement inflammables et aux émanations toxiques sont autant de raisons qui ont conduit à cet incendie meurtrier.
L'appentis à poubelles se trouvait à 1,40 m de la façade seulement.
La police scientifique a pu déterminer précisément quel container a été incendié. Ce feu s'est ensuite propagé aux 15 autres containers, puis au claustras en PVC et enfin au polystyrène expansé qui isolait la façade sous l'enduit. Elle n'a relevé la présence d'aucun produit inflammable.
"Une poubelle prend feu facilement et rapidement grâce aux cartons, papiers et plastiques qu'elle renferme", conclut Mme Guironnet.
Ensuite, il y a eu une charge calorifique énorme en raison des containers en plastique en feu, aux claustras PVC qui se sont ensuite embrasés et au polystyrène expansé en façade. Ce produit fond à partir de 100°C, brûle à 360°C et s'auto-embrase à 480°C. Le foyer a atteint un intensité énorme puisque les baguettes de fixation du polystyrène ont fondu. Or, elles étaient en aluminium et l'aluminium fond à 660°C.
La configuration des lieux et le vent qui rabattait les flammes vers le renforcement ont joué également un rôle.
L'appentis était à 1,40 m de la façade. La pente du toit de l'appentis à poubelles rabattait les flammes vers la façade tout comme le vent qui a pu atteindre ce soir-là des pointes à 55 km/h. Enfin, le renfoncement de la façade a provoqué un effet cheminée. Sous la chaleur, les fenêtres en PVC ont explosé et les fumées toxiques ont pu pénétrer dans les couloirs de l'immeuble.
10h40 : deux experts de l'Ineris ont testé des échantillons de la façade
L’institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) a pour objet de contribuer à la prévention des risques que les activités économiques font peser sur la santé, la sécurité des personnes et des biens, et sur l’environnement. Deux de ses agents, un technicien et un ingénieur, ont été missionnés pour faire des essais de combustion et de propagation sur les éléments de la façade: crépis, profilé plastique et mousse de polystyrène expansé. Après leurs tests en laboratoire, ces experts concluent que ce dernier produit, qui isolait la façade, a permis au feu de se développer rapidement.
Sur notre échantillon de 40 cm, le polystyrène était en flammes en moins d'une minute une fois que le feu avait passé le crépis.
Dernière conclusion, ils ont retrouvé trois effluents gazeux différents : de l'acide chlorhydrique dégagé par le plastique en feu, du monoxyde de carbone et des suies en grande quantité.
11h15 ; les accusés sont pour la première fois longuement interrogés
Le président de la cour interroge les accusés sur le fait qu'ils se trouvaient au foyer Adoma. Nicolas Dos Reis explique qu'il vit sur Dijon car il est en apprentissage dans un restaurant. Il est d'abord logé chez sa soeur. Mais cette dernière ne veut plus de lui. Il trouve une place dans un foyer de jeunes travailleurs mais " ils m'ont viré car je rentrais tard et bourré. Je buvais à l'époque.". Des éducateurs proches du foyer Adoma l'aiguille vers cette résidence sociale. Il affirme qu'il s'y trouvait bien, que c'était calme, qu'il a discuté avec d'autres résidents dans la cuisine commune.
Rémi Kukulinski vivait chez sa tante, la mère de Nicolas Dos Reis, près de Semur-en-Auxois. C'est là que ce sont retrouvés les deux cousins à l'été quand Nicolas Dos Reis a profité de vacances pour rendre visite à sa mère. Ils ont renoué le contact à cette occasion. Quand sa tante le met dehors, Rémi Kukulinski se retrouve à la rue. Il demande à son cousin de l'héberger sur Dijon pour pouvoir se rapprocher de sa copine qui y vit et qu'il ne connaît que sur internet. Nicolas Dos Reis accepte pour lui rendre service.
Je savais que je prenais un risque en l'accueillant chez moi parce que je n'avais pas le droit, déclare Nicolas Dos Reis.
La cohabitation au foyer Adoma dure quelques jours avant que le drame survienne. Nicolas dos Reis affirme qu'elle a été émaillée de deux ou trois disputes. Il reprochait à son cousin de ne pas chercher de travail ou de logement. "Il passait son temps en ville, avec sa copine". Rémi Kukulinski dément tout différend. "J'étais sur Dijon pour voir ma copine, pas pour chercher du travail."
14h00 : l'audience reprend avec l'audition d'experts du ministère de l'Intérieur
Claude Bauer est appelé à la barre. Il est aujourd'hui à la retraite. Mais à l'époque des faits, il était un spécialiste de la réglementation des bâtiments en matière d'incendie. Il revient sur le rapport qu'il a écrit à propos du foyer Adoma.
Dans cette résidence, le niveau de sécurité était bien supérieur à la réglementation en vigueur.
Il existait un système de détection d'incendie couplée à une alarme général. Des extincteurs étaient présents dans les escaliers alors qu'aucune réglementation ne l'imposait. Le nombre d'ascenseurs, le nombre de sorties et la largeur de circulation des couloirs permettaient l'évacuation de 300 personnes sans problème.
Le foyer n'était pas considéré comme un établissement recevant du public mais comme un bâtiment de logement. En conséquence, il n'y a aucune réglementation pour le local poubelle et encore moins de visite obligatoire d'une commission de sécurité. Si une commission de sécurité était passée, elle aurait analysé les risques et fait des préconisations. Pour sa part, Claude Bauer aurait prescrit l'éloignement du local poubelle de 5 m de la façade ou la construction d'un mur isolant le local de la façade. Ces deux mesures auraient pu permettre d'éviter la catastrophe.
L'expert s'interroge toujours sur le système de désenfumage.
Selon ce spécialiste, le scénario qui aurait fait le moins de victimes aurait consisté, dune part, à ce que l'alarme générale retentisse pour prévenir tous les résidents et que, d'autre part, les ouvrants de désenfumage ne se déclenchent que dans l'étage envahi par les fumées. Cela aurait permis aux locataires des autres niveaux de quitter leurs chambres pour gagner l'escalier qui est le sanctuaire en cas d'évacuation lors d'un incendie.
Dans le cas précis de l'incendie du foyer dijonnais, l'alarme générale a bien fonctionné. Mais Claude Bauer ne sait pas comment la mise en sécurité était programmée. Il s'agit d'un système télécommandé d'une trentaine d'années. Il ne sait pas si le désenfumage a été compartimenté ou général.
15h15: Hervé Tephany, spécialiste des matériaux au bureau de la réglementation incendie du ministère de l'Intérieur
Cet expert est revenu sur le matériau controversé qu'est le polystyrène expansé. Cet isolant est utilisé couramment car il est économique. Sous la pression des lobbys, il a réussi à avoir des classements plutôt bons en matière de comportement au feu en France comme d'autres pays européens. Or, l'isolation de la façade du foyer Adoma date de 1987. Cette technique était conforme aux normes de l'époque. Elle l'est toujours aujourd'hui. La seule différence est que le polystyrène expansé est désormais ignifugé.
Or, dans les années 2000, avec l'harmonisation des essais et de la réglementation en Europe, la capacité à résister au feu du polystyrène expansé a été revue à la baisse.
16h15: déposition de Philippe Blech, directeur régional adjoint d'Adoma en charge des constructions et des rénovations à l'époque des faits
A l'instar des experts qui l'ont précédé à la barre, Philppe Blech a rappelé qu'Adoma était en conformité avec les normes. La réglementation n'imposait aucune visite de commission de sécurité. Le local poubelle n'était encadré par aucune règle de sécurité.
"Placer un local poubelle n'est pas simple", explique Philippe Blech
Philippe Blech ne travaillait pas pour Adoma en 2003 au moment du choix de l'emplacement du local poubelle. Cela n'aurait de toute façon pas relevé de ses fonctions. Mais il reconnaît que ce n'est jamais facile de situer ce genre d'appentis. Il faut prendre en compte la facilité d'accès, la topographie des lieux pour que des containers ne soient pas trop lourds à traîner, l'emprise foncière dont dispose le foyer... Les avocats interrogent le témoin sur l'aspect risqué de situer un local poubelle aussi près de la façade. Rien ne l'interdisait, répond ce dernier.
Adoma dépensait, chaque année, 8 à 9 millions d'euros pour la sécurité de ses foyers et pour aller au-delà de ce que préconisait la réglementation. La résidence de la Fontaine-d'Ouche en a bénéficié.
17h20: les accusés sont interrogés sur les précédents de feux de poubelles dont ils sont auteurs
Nicolas Dos Reis et Rémi Kukulinski ont déjà été impliqués dans deux feux de poubelles: en août 2009 sur un site de tri sélectif à Précy-sous-Thil et 48h avant l'incendie du foyer, devant le cinéma de Semur-en-Auxois."C'était pour passer le temps, pour faire comme les autres à la télé!", expliquent les accusés interrogés sur leurs motivations.
Les avocats des parties civiles les questionnent : pourquoi cette propension à mettre le feu? Ont-ils conscience de la dangerosité d'un feu de poubelle qui peut dégager jusqu'à 5 mégawatts de chaleur? Pourquoi prennent-ils une photo et une vidéo de leur méfait à Semur-en-Auxois? Les deux accusés réfutent toute fascination pour le feu mais disent incendier des poubelles "pour passer le temps, pour faire comme à la télé".
18h: l'audience est suspendue. Elle reprendra demain à 9 heures.