#8mars : Femmes et éleveuses, elles s'engagent pour changer l'image de leur métier

Seuls 25% cheffes d’exploitations agricoles en France sont des femmes. Mais même si elles sont encore en minorité, elles s'engagent à donner un nouveau visage à l'agriculture. Elles sont porteuses d'idées nouvelles et à l'origine de mutations certaines comme c'est le cas en Bourgogne.

"Les femmes ont toujours été présentes sur les fermes et ont toujours énormément travaillé" D'emblée, Emilie Jeannin nuance le phénomène. On assiste ces dernières années à une montée en puissance des femmes dans l’agriculture. Mais les femmes ont toujours été très présentes dans le monde agricole rappelle Emilie Jeannin, cheffe d'exploitation en Côte d'Or.  La seule chose qui diffère aujourd'hui, c'est que l'on a un statut qui nous permet d’avoir une plus grande visibilité et d’être reconnue en tant que tel."

Comme Emilie, elles sont de plus en plus nombreuses à gérer ou cogérer leur exploitation agricole. Patronnes, elles le revendiquent, et font entendre leur voix. Aujourd'hui, un quart des chefs d'exploitation ou co-exploitants sont aujourd'hui des femmes contre 8 % en 1970 (source MSA). Les sociologues ont baptisé "révolution silencieuse" cette transformation du statut des femmes en agriculture depuis les années cinquante.

Des femmes porteuses d'autres valeurs

Dans les vignes, les étables ou les chèvreries, elles sont de plus en plus nombreuses à remettre en cause les pratiques conventionnelles pour travailler en cohérence avec leurs valeurs. Emilie Jeannin, 40 ans, éleveuse de vaches charolaises à Beurizot (Côte-d'Or), en fait partie. Cette jeune agricultrice a repris cet élevage de 220 vaches et taureaux avec son frère il y a 13 ans. "Éleveuse militante pour des vaches et des paysans heureux et nombreux!" C'est ainsi qu'elle aime se présenter. "Il y a cet enjeu de prendre soin de la terre, des animaux, de ce que vont manger les enfants. Tous les grands changements sont initiés par des femmes. Les femmes sont vecteurs de tous ces changements."

Au sein de la confédération paysanne, elle mène ses combats pour une agriculture plus éthique, plus respectueuse de l'homme, des animaux, des territoires et de l'environnement. Depuis 4 ans, elle se bat notamment pour monter le 1er projet d'abattoir mobile en France. Un projet inspiré de la Suède qui a pour avantage de limiter la souffrance et le stress des animaux. Son projet devrait se concrétiser cette année. "On est ravi" témoigne l'éleveuse. "On prépare le démarrage effectif et la mise en place de l'abattoir pour début juin.

Son projet d'abattoir à la ferme, ce sont plusieurs camions pour l'abattage, la découpe, un frigo...un abattoir complet sur roues qui permettrait la mise en place un modèle économique solide basé sur une filière courte entre éleveurs et consommateurs. Aujourd'hui, entre les lieux d’élevage, d'abattage et de distribution, il y a souvent plusieurs centaines de kilomètres. Là, le seul intermédiaire serait une SAS "Le boeuf éthique". 

Produits bio, vente directe, circuit court : les femmes souvent pionnières

Produits bio, vente directe, circuit court et récemment abattoir mobile, les femmes sont souvent pionnières de l'agriculture vertueuse comme Claire Juillet. Eleveuse bio de vâches Salers et de porc de plein air à Sainte-Hélène (Saône-et-Loire), elle s'est installée en hors-cadre familial en 1997,  c'est-à-dire l'installation sur une exploitation agricole indépendante de l'exploitation d'un parent. "J’ai suscité un accueil "chaleureux" de la part de mes voisins tous persuadés que cela ne tiendrait pas la route. J’ai poussé le vice à convertir l’exploitation en bio tout de suite et à amener des bovins qui n’étaient pas le coin." Elle produit depuis 20 ans de la viande bovine par croisement entre des vaches Selers et un taureau charolais. 

A l'époque, elle décide également de se lancer dans la vente directe de sa production. "J’avais une petite surface à l’époque. Ce n’était pas possible pour moi de faire autrement." Aujourd'hui, elle a été suivie par ses deux fils qui ont lancé une activité de maraîchage et un élevage de porc en bio. Et en 2020, ils ont décidé d'ouvrir leur boutique à la ferme. Pionnière à l'époque, ce modèle économique s'est de plus en plus développé et la crise sanitaire a favorisé son essor. 

Longtemps reléguées au second plan derrière leurs maris, les femmes s'affichent aujourd'hui sur le devant de la scène, donnant une image plus moderne du monde paysan. Plus diplômées que les hommes, en pointe dans les mouvements d’idées liées au développement durable et à l’innovation, elles sont porteuses de la grande mutation du monde rural de ce troisième millénaire.

Marine Sackler en est le parfait exemple. A seulement 25 ans, BTS en poche, elle a trouvé son bonheur à Blanot. Elle s'y est établie agricultrice en 2012. Déjà 9 ans qu'elle y est installée. Aujourd'hui, elle possède 125 hectares de prairie et un peu de céréales, une quarantaine de vaches allaitantes, 150 brebis et 200 poules pondeuses. "Toute la ferme est en bio et je vends quasiment la totalité de ma production en vente directe."

Comme beaucoup de femmes de sa génération, elle s'est installée en hors-cadre familial. Marine a repris une exploitation d'un agriculteur sans successeur. "Cela s'est fait très naturellement. Il m’a présenté partout et j’ai repris 100% des terrains." La paysanne a suivi son idée de départ, la vente directe. Ferme moyenne, production diversifiée, soucieuse de qualité, vente en circuit court. Quand elle s’est installée, l’agricultrice a pu inspirer de nouvelles vocations.

Un modèle qui est en tout cas de plus en plus suivie comme en témoigne Florence Marquis, première femme de Charolais France et du Herd Book Charolais, l'association qui valorise le boeuf charolais. "Ces femmes-là, elles ont une sensibilité différente des hommes. Elles ne vont pas créer pas des nouveaux métiers mais elles vont se les accaparées sur la transformation, sur la vente directe des produits, sur la vente en circuits courts. Elles apportent des choses différentes."

Les femmes, des "forces motrices" pour une nouvelle agriculture

Selon la sociologue Sabrina Dahache, auditionnée au Sénat, les femmes seraient des "forces motrices pour le développement de nouvelles activitéet pour la diversification des activités agricoles. Les exploitations féminines auraient plus souvent que les exploitations masculines recours à la vente en circuits courts. Elles proposent deux fois plus souvent que les hommes un hébergement touristique et des activités de loisirs".

Le terrain rejoint la théorie. C'est le cas de Claire Genêt. En 2018, à 30 ans, elle décide d'installer sa chèvrerie 100 % bio à Saint-Bris-le-Vineux (Yonne), avec un projet liant économie et écologie mais pas seulement. Durant l'été, tous les week-ends, elle invite le public à des balades avec ses chèvres, organise des apéritifs avec dégustation de produits du terroir. 

"J’aime bien que ce soit vivant, qu’il y ait du monde. Je ne voulais pas d’une ferme pédagogique. Je voulais juste une vraie ferme mais ouverte sur le monde extérieur" souligne la jeune agricultrice. "Il y a une traçabilité ou l’on peut voir tout ce qu’il se passe."

 

Il n'est pas facile aujourd'hui pour les femmes de prendre les postes à responsabilité."

Emilie Jeannin, éleveuse de charolaises en Côte d'Or

Si le nombre de femmes à la tête d'exploitations est en augmentation, celles qui exercent des responsabilités dans le domaine de l'agriculture restent encore relativement peu nombreuses. Le fait qu'une femme, Christiane Lambert, ait été élue pour la première fois, le 13 avril 2017, à la tête du premier syndicat de la profession, la FNSEA, a été perçu comme un véritable événement. 

En Bourgogne, Claire Juillet est aussi engagé dans la Coordination rurale. Depuis quatre ans, Emilie Jeannin milite de son côté pour la confédération paysanne. En militant, elles s'engagent à changer l'image du monde agricole même si ce n'est pas facile. Emilie reconnait "qu'il n’est pas facile aujourd'hui pour les femmes de prendre les postes à responsabilité". En cause principalement selon elle, "la mauvaise organisation des systèmes de compensations comme le remplacement ou l'indemnisation en cas d'absence sur l'exploitation. Si on nous indemnisait la journée, qu’on paie notre service de remplacement, cela serait plus facile et moins prise de tête." 

Mais pour ne pas être esclave à la fois du travail et du foyer comme l’ont été leurs aïeules, la jeune génération d'agricultrices organise les remplacements, les temps de vacances, les gardes d’enfant, les loisirs. Même si parfois ce n'est pas toujours facile à mettre en place. 

Les femmes au pouvoir

Pourtant, certains parcours démontrent que les femmes ont toute leur place en haut de l'échiquier à l'image de Florence Marquis. Depuis 7 ans, elle dirige Charolais France et le Herd book Charolais, deux associations oeuvrant pour la sélection de la race charolaise. 

Elle a su s'imposer dans ce milieu traditionnellement masculin, ce qui lui a valu en 2017 un Trophée Or des Femmes de l'économie de Bourgogne-Franche-Comté. Aujourd'hui encore, elle est la seule femme responsable d'une des 17 races bovines en France. Elle est chargée de veiller sur la race charolaise originaire de la région de Charolles en Bourgogne. "Ma première réunion je n’avais que des hommes autour de la table et je n'avais pas l'impression que l'on m'écoutait beaucoup car mon approche de la situation était différente", témoigne la dirigeante. 

Pourtant, Florence Marquis ne manque pas d'expérience. Ingénieure agronome de formation, elle a débuté sa carrière dans la recherche, puis a passé 10 ans aux côtés des éleveurs de Côte-d'Or avant d'être nommée à la tête de Charolais France, l’organisme de sélection de la race bovine charolaise. "C'est difficile d'arriver à ce poste-là si on n’a pas fait du terrain avant. Il faut être passionnée pour prendre cette responsabilité. Il faut être à l’écoute de visions qui peuvent être complètement différentes", dit-elle.

Mais au fil du temps, elle a su imposer ses idées et faire entendre sa voix notamment au sein de la Fédération nationale. La preuve en est qu'en 2016, absente pour des soucis de santé, un directeur lui envoie ce message : "'Reviens-nous vite car ton approche, tes interventions et ta façon de penser les choses, on en a besoin.' Mais même quand on est arrivé là, il faut continuer à se surpasser et continuer à prouver aux autres. Dans les conseils d'administration, on est acceptée mais il faut faire sa place."

Les futures agricultrices : plus de la moitié des élèves de l'enseignement agricole

La reconnaissance des femmes dans l’agriculture est plus forte car elles ont la volonté d’exercer cette profession. Pour preuve, 47% des élèves dans l’enseignement agricole sont des filles soit quasiment un élève sur deux dans les filières agricoles. "Il y en a de plus en plus" confirme Gaëlle Brochot.  

Etudiante en bac pro CGEA (conduite et gestion de l'exploitation agricole) au lycée agricole de Fontaines (Saône-et-Loire), Gaëlle apprend à gérer "autant les sous que les animaux", en alternance au GAEC du Grand Coppis à Chatenoy-le-Royal. "Mes maîtres de stage me montrent et me laissent faire beaucoup de choses. Ils sont très ouverts d'esprit." 

L'an dernier, la jeune lycéenne de 18 ans, a participé au concours Miss agricole junior. Une manière selon elle d'imposer une autre image de la femme dans le milieu agricole. "Je veux montrer que la femme peut faire autant voire plus qu'un homme. Dans l'agriculture, réputée pour être un métier d'hommes, les femmes elles aussi ont leur mot à dire".

Un discours relayée par Claire Juillet. L'agricultrice a bon espoir dans la génération qui vient. "Cette génération va nécessairement changer parce que dans les lycées agricoles, il y a une moitié de filles. On a des jeunes qui vont s’installer qui ne sont maintenant majoritairement pas des fils ou des filles d’agriculteurs. Ils ont des habitudes un poil moins moyenâgeuses." L'éleveuse clame haut et fort qu'il faut des agricultrices. "Les filles vont secouer le cocotier si on leur laisse plus de place pour s’exprimer."

En nette progression, la proportion des femmes parmi les nouveaux arrivants a même atteint 40 % en 2018. Outre les centaines de milliers de conjointes d'agriculteurs souvent invisibles juridiquement mais indispensables à la ferme, quelque 111 000 femmes possèdent aujourd'hui leur propre unité de production selon un rapport du Sénat publié en 2017

 

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