Le Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté a ouvert le débat sur la question du loup jeudi 11 avril 2024 à Dijon (Côte d'Or). Même si certaines restent encore à confirmer, on a comptabilisé pas moins de 252 attaques de troupeaux domestiques en Bourgogne-Franche-Comté en 2023.
Les élus Les Républicains et Rassemblement National demandaient avec insistance ce débat. Et Marie-Guite Dufay n'a pas renâclé ce jeudi 11 avril 2024 à Dijon (Côte d'Or). Bien au contraire, tant la question du loup "touche au cœur" partout dans la région. La prédation "atteint les éleveurs, je les ai vus effarés, tétanisés", a souligné lors de la séance plénière de l'assemblée la présidente socialiste du Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté.
"Personne dans cette enceinte n'est pour l'éradication du loup, a prévenu Marie-Guite Dufay en intoduisant ce débat. Tout le monde sait que le loup est protégé. Néanmoins, il fait des dégâts, alors, comment on s'y prend ?". Mais attention, sans "singer" les grandes régions des Alpes et des Pyrénées "qui ont accueilli le loup il y a 30 ans et qui ont mis 30 ans pour trouver des modes de protection qui leur correspondent." Même si ce n'est pas la compétence de la Région, affirme Marie-Guite Dufay,"elle a la responsabilité de pousser au dialogue, à la connaissance et à l'expérimentation de solutions concrètes."
252 attaques en 2023
Franck Robine, préfet de la région Bourgogne-Franche-Comté et préfet de la Côte-d'Or, a souligné lui aussi "la sensibilité" du sujet qui est "profondément humain". En plus des principales mesures du Plan Loup 2024-2029, il a tenu à rappeler les chiffres des attaques d'ovins et de bovins dans la région.
Et sans surprise, c'est la Saône-et-Loire qui est "la plus touchée de la région et la plus touchée en France", a-t-il précisé, avec 151 attaques attribuées au loup en 2023. Cinq cas sont toujours en cours d'instruction. Dans ce département, la première attaque de loup est pourtant assez récente et date seulement de 2019.
En Côte d'Or, où la première prédation remonte à 2013, il y a eu 28 attaques confirmées l'an passé, deux cas sont toujours en cours d'examen. C'est 27 de plus qu'en 2022. Dans le Doubs, où le loup s'en est pris aux animaux d'élevage dès 2011, il y a eu 19 attaques avérées et quatre restent à confirmer. C'est dix de moins qu'en 2022.
Dans le Jura, le loup a fait beaucoup moins parler de lui en 2023 avec des attaques divisées par deux. Seulement 13 constats sur toute l'année. C'est le département où la présence du loup est la plus ancienne puisqu'elle remonte à 2007. Dans la Nièvre, on a recensé 11 attaques et une est encore en cours d'instruction. Dans l'Yonne, on a comptabilisé 16 attaques et un cas reste à confirmer. Dans le Territoire de Belfort, le loup n'a sévi qu'une seule fois comme en 2022. En revanche, les élevages de Haute-Saône ont été épargnés toute l'année dernière. Il y avait eu trois cas certifiés en 2022. .
Au total, en comptant tous les constats, il y aurait donc eu 252 attaques l'an dernier dans la région. L'Office Français de la Biodiversité (OFB) relève par ailleurs trois zones de présence permanente avec trois meutes dans le Massif du Jura (départements du Doubs et du Jura), et celle d'un individu isolé dans l'Yonne. Pour mémoire, on parle de présence permanente du loup quand il est repéré deux années de suite dans la zone.
Le préfet a enfin indiqué une nouvelle approche de comptabilisation en 2024, "reposant sur la génétique" pour connaître plus précisément encore la population des loups et sa répartition sur le territoire. Des données qui seront bientôt accessibles à tous via un site internet dédié. Mais avec 1104 individus recensés aujourd'hui dans l'Hexagone, "la France est parvenue à un seuil qui permet de préserver l'espèce", a indiqué Franck Robine.
"Un coup de massue supplémentaire"
Pour Julien Odoul, c'est sans doute "une bonne nouvelle pour tous les amoureux de la biodiversité et de la nature" mais, selon le chef de file du Rassemblement National, "il n'y a qu’un malheur c’est que la préservation de cette espèce, de ce prédateur, conduit à l’extinction d’une autre espèce qui est celle des éleveurs."
"Si nous ne pouvons envisager l’élimination de l’intégralité des prédateurs, poursuit le conseiller d'opposition, nous ne pouvons pas envisager aussi la diminution constante du nombre d’éleveurs, des jeunes et moins jeunes, des hommes et des femmes qui s’installent comme on a pu le voir avec mes collègues la semaine dernière avec un éleveur qui s’est installé en Saône-et-Loire depuis un an, qui a déjà subi des attaques et qui est, aujourd’hui, au bout du rouleau."
La présence du loup est un coup de massue supplémentaire, un coup de massue d’autant plus injuste que bon nombre d’éleveurs ont l’impression qu’on a envie de les sortir de l’Histoire.
Julien Odoul , conseiller régional RN.
Julien Odoul, partisan farouche de la régulation, assure que "la cohabitation avec le loup est impossible" et demande que l'Etat envoie des signaux forts aux éleveurs.
Médiation et expérimentations
Stéphane Woynaroski (PS), lui, a surtout salué la mission "Elevage-Grands prédateurs" menée par l'Agence Régionale de la Biodiversité (ARB). "Cette mission, c’est d’abord un accompagnement sur le terrain des éleveurs et des éleveuses, a indiqué celui qui est aussi président de l'ARB. Cette médiation est assurée par un ancien éleveur venu de la Meuse et qui connaît donc parfaitement le problème. Pour sa première année d’intervention, il est allé sur près de 30 exploitations pour accompagner après des actes de prédation, pour réaliser des diagnostics de vulnérabilité et pour mettre en place différents moyens de protection."
Un deuxième poste de médiateur va d'ailleurs être créé, financé par le "Fonds vert", pour renforcer la présence et les actions sur le terrain, en particulier en Saône-et-Loire. Il s'agit aussi d'expérimenter plusieurs moyens de protection et d'effarouchement. "L’an dernier, il y a eu une trentaine de colliers qui ont été prêtés et cette année, c'est 150 colliers qui vont être mis à disposition gratuitement", a ajouté l’élu socialiste.
"Je sais bien que pour certains d’entre vous, le simple fait d’animer cette mission et d’avoir la volonté qu’elle aboutisse me classe, nous classe d’emblée dans la catégorie de celles et ceux qui n’entendent pas la souffrance, qui ne comprennent pas le stress des éleveurs ou qui sont pour la fin du pastoralisme, a regretté Stéphane Woynaroski.
C'est comme si dans ce débat tellement complexe, il ne pouvait y avoir que, d'un côté, les pro-loup, les "bobos" urbains, qui ne comprennent rien au monde rural et à l'élevage, et de l'autre, les anti-loup, heureux défenseurs de la ruralité. Cette posture est excessive !
Stéphane Woynaroski, conseiller régional PS, président de l'Agence Régionale de la Biodiversité.
"Un animal à part"
"N’oublions jamais une chose, prévient Gilles Platret, au nom des Républicains. Nous ne parlons pas d’un animal quelconque. Beaucoup d’animaux sont protégés au titre de la Convention de Berne mais il est le seul animal qui soit au-dessus de l’échelle de prédation".
Et le maire de Chalon-sur-Saône d'évoquer plutôt le nombre de bêtes tuées par le prédateur. "En 2023, ce sont 356 animaux qui ont été dévorés dans notre région dont 265 en Saône-et-Loire qui reste hélas, le champion toutes catégories". Le conseiller régional d'opposition s'interroge sur les comptages de l'OFB qui déterminent "le seuil où l'on passe d'une logique défensive à une logique offensive."
Là où les Italiens estiment que la population peut grandir jusqu’à 30 % par an, nous sommes en France sur des ratios d'à peu près 19 %. C’est assez étonnant d’ailleurs parce que c’est à peu près le pourcentage de prélèvement qu'on estime devoir faire et pourtant, la population de loups continue d’augmenter.
Gilles Platret, président du groupe LR.
Pour Gilles Platret, il y aurait ainsi déjà deux meutes "installées" dans son département de Saône-et-Loire et non pas des individus isolés. "Le loup mange en moyenne 4 kg de viande par jour, 75 % sur la faune sauvage, 25% sur la faune domestique. Or en Saône-et-Loire, ce sont 80 à 90 % des exploitations qui ne sont pas 'protégeables', ce qui signifie que la situation va continuer d’empirer !" L'élu souhaite donc le déclassement du loup comme espèce strictement protégée et "la sacralisation d’un certain nombre de zones d’élevage où l’on pourrait passer d’un tir aujourd’hui défensif à un tir offensif."
Jacques Grosperrin (LR) insiste à son tour pour "reconnaître aux éleveurs le droit de se défendre contre des loups qui ne craignent plus l'homme" et a évoqué les dangers qui pèsent notamment sur la filière Comté dans le Doubs et le Jura. Les Républicains qui proposent enfin la création d'une brigade Grands Prédateurs en Bourgogne-Franche-Comté comme celles de Gap et de Rodez.
Risques de "dispersion"
"Que de retard pris après des années d’inaction, regrette Claire Mallard (EELV). Les prédateurs sont bel et bien installés, la question n’est donc pas de savoir s’il faut vivre ou pas avec les prédateurs, ce débat est vain et dépassé." Mais l'élue écologiste avance des chiffres encourageants.
Dans les Alpes où les loups sont présents depuis longtemps et où, très tôt, des mesures de prévention protection ont été mises en œuvre. Les dommages sont en baisse, -22 % depuis 2018, malgré une augmentation des effectifs de loups , +110 %. C’est pourquoi il me semble hasardeux d’affirmer que les mesures de protection sont inutiles dans notre région.
Claire Mallard, conseillère régionale EELV.
Selon Claire Mallard, "on est loin d’avoir innové, expérimenté des mesures robustes à grande échelle, en tenant compte, bien sûr de la spécificité des zones de plaines." Elle pointe les risques de "dispersion" des meutes si on applique des mesures de régulation trop fortes.
Avant de conclure :"si nous pouvions sortir de ce débat en nous posant socialement la question de savoir si nous sommes capables ou non de partager notre territoire avec la nature, alors peut-être que ce débat aura servi à quelque chose !"
L'intégralité du débat est disponible sur la chaîne YouTube du Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté