Le manque criant de sages-femmes et les conditions d'accueil dans les maternités préoccupent les futures mamans. Pour autant, est-il possible d'accoucher à domicile ?
Maternités lointaines, suivi prénatal dégradé, changement des mentalités...
Et si cette situation sanitaire critique conduisait à une augmentation des accouchements à domicile, par choix ou en urgence ?
L'accouchement accompagné à domicile
Depuis une dizaine d'années, on constate qu'une partie des femmes françaises souhaitent accoucher chez elle, de manière naturelle. 1% des naissances se dérouleraient ainsi avec l'assistance médicale d'une sage-femme.
En Bourgogne, une seule sage-femme proposait d'accompagner les femmes dans cette aventure personnelle jusqu'à ce qu'elle décide de jeter l'éponge la semaine dernière. "J'ai accompagné des accouchements à domicile pendant 14 ans explique Chantal, installée en Saône-et-Loire, mais cela suppose d'être joignable en permanence pendant les cinq dernières semaines. Dans les faits, j'étais de garde 24h sur 24 et je devais malgré tout refuser des patientes."
C'est vraiment une autre manière de pratiquer notre métier. Il s'agit d'être à l'écoute de tous les besoins des femmes que l'on suit car elles sont chez elles.
Chantal, sage-femme bourguignonne qui pratiquait des accouchements à domicile
Exercer à domicile est une prise de risques pour les professionnelles : "Il faut très bien connaître ses patientes et savoir évaluer leur santé car il est impossible de suivre des grossesses à risques. En cas de complications, nous serions responsables et se faire assurer est impossible." La prise en charge d'un accouchement à domicile répond à une charte très précise.
Surmenée, Chantal va recentrer son activité sur le libéral et arrêter ses interventions sur le plateau technique de l'hôpital de Lons-le-Saunier où elle proposait d'accoucher physiologiquement, sans péridurale : "La crise est profonde. Les sages-femmes qui pratiquent ce type d'accouchement ne sont pas du tout soutenues. En Bourgogne Franche-Comté, il n'y a même pas une seule maison de naissance."
Des obligations légales
Certaines femmes vont plus loin et optent pour l'accouchement non accompagné. Le freebirth (“accouchement libre”) est en vogue aux Etats-Unis mais il ne représente que 0,1 % des naissances en France. Dans les faits, chaque femme a le droit d’accoucher où et comme elle l’entend selon le code civil de 1804, dit aussi le code “Napoléon”3.
Mais en pratique, c’est un peu plus compliqué.
Si vous êtes enceinte et que vous avez la connaissance d’avoir une grossesse à risque l’État peut se retourner contre vous en cas de problème. Chantal explique : "Normalement, une attestation sur l'honneur de toute personne ayant assisté à l'accouchement suffit pour déclarer l'enfant même si aucun professionnel de santé n'était présent mais, de plus en plus de mairies la refuse."
Dans tous les cas, que l'accouchement non accompagné soit volontaire ou réalisé en urgences, "il faut absolument faire examiner le bébé par un médecin le plus vite possible et le déclarer à l'état civil sous 5 jours comme dans les autres cas" explique Chantal.
Une affaire secoue d'ailleurs la commune de Vitré et les réseaux sociaux en ce moment. Deux petites filles âgées de 10 jours et deux ans ont été retirées à leurs parents suite à un accouchement à domicile non accompagné.
Après sa déclaration à l'Etat civil, la famille s'est vu reprocher de ne pas avoir fait examiner le bébé. Suite à la visite à un pédiatre de la PMI, un rapport de signalement est adressé au procureur de la République de Rennes. Il ordonne le placement de ces deux jeunes enfants auprès des services de l'Aide sociale à l'enfance (ASE). L'appel à l'aide de la famille fait réagir sur les réseaux sociaux où la méthode choque y compris les professionnels du premier âge.
Des alternatives à l'hôpital ?
Les sages-femmes sont de moins en moins nombreuses à vouloir travailler à l'hôpital. Cette pénurie et le mal-être qui l'accompagne se sont traduits par la fermeture pendant plusieurs jours de la maternité de Nevers en avril 2022.
Mais aucune alternative réelle n'existe pour l'instant. Nadine Bosson, la présidente du conseil de l'ordre des sages-femmes de Côte d'or, explique : "Le système français est construit autour de la maternité. C'est très différent au Pays-Bas où 30% des femmes accouchent à domicile et sont ensuite accompagnées par un auxiliaire de vie. Accoucher à domicile n'est pas sans risque et il faut pouvoir être à proximité d'un hôpital en cas de complications."
En 2021, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale prévoit d'implanter des maisons de naissance, à proximité des hôpitaux. Les sages-femmes libérales y prendraient en charge les femmes enceintes et pratiqueraient des accouchements physiologiques. L'une d'entre elles pourrait voir le jour en Côte d'or.
Accoucher en maison de naissance nécessite une vraie préparation en amont avec la mère et d'être sûr qu'elle n'a aucune pathologie.
Nicole Bosson, présidente du Conseil de l'ordre des sages-femmes de Côte-d'or
Par ailleurs, la gestion de ces maisons de naissance suppose de réaliser des gardes, et, sans augmentation du nombre de sages-femmes, le problème paraît insoluble. "Cette année, 28 jeunes diplômés sortiront certainement de l'école de Dijon mais combien resteront dans la région ? Même si nous sommes soumises à un zonage qui nous empêche de nous installer dans une région où il y a beaucoup de professionnels, il n'y a pas d'obligation de service donc les départements comme la Nièvre restent peu attractifs. Augmenter le numerus clausus portera ses fruits dans 5 ou 6 ans" ajoute Nicole Bosson.
A Nevers, le plan d'urgence, mis en place suite à la fermeture de la maternité le 11 avril 2022, ne règle en rien la question du recrutement des sages-femmes.
Selon le délégué syndical CFDT, David Boucher, "il en faudrait entre cinq et six de plus". Le plan prévoit en fait de déléguer certaines tâches médicales à des infirmières : "Six infirmières ont été recrutées. Elles prendront en charge les pansements, les prises de sang, même l'éducation à la parentalité éventuellement afin que les sages-femmes puissent se consacrer à leur cœur de métier. Avant, il n'y avait aucune infirmière dans ce service donc c'est un changement important et nous espérons que cela améliorera la prise en charge."
C'est un pis-aller selon Nicole Bosson, la présidente du conseil de l'ordre de Côte d'or : "C'est difficile pour ce type de territoire de redevenir attractif mais c'est sûrement possible avec un projet d'établissement innovant. Nous avons quelques pistes comme des logements mis à disposition des étudiants, une rémunération à la vacation ou un exercice mixte salarié-libéral mais cela suppose un investissement financier."