Une audience mercredi 15 décembre devant la cour d'appel de Paris sur le non-lieu rendu par les juges d'instruction dans le dossier de l'amiante de l'entreprise Eternit, est "la seule chance" d'aboutir à un procès sur l'utilisation de ce matériau en France, a estimé l'association nationale de défense des victimes de l'amiante (Andeva)
La chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris a examiné mercredi 15 décembre l'appel de l'association Andeva contre le non-lieu rendu dans ce dossier en juillet 2019 par des juges d'instruction du pôle santé publique du tribunal judiciaire de Paris. Un espoir pour toutes les victimes de l'amiante en Bourgogne.
"C'est peut-être la seule chance pour qu'on ait un jour un procès de l'amiante en France (...) un quart de siècle après les premières plaintes"
Cette "seule chance", cela concerne les premières plaintes déposées en 1996, selon François Desriaux, dirigeant de l'Andeva (Association nationale de défense des victimes de l'amiante), lors d'une conférence de presse en ligne.
La décision sera mise en délibéré : les magistrats peuvent soit confirmer le non-lieu, soit renvoyer le dossier à l'instruction, soit décider "un renvoi direct des personnes mises en examen devant le tribunal correctionnel", a résumé l'un des avocats de l'Andeva, Me François Lafforgue.
Dans le dossier Eternit, premier producteur français d'amiante-ciment jusqu'à l'interdiction de la fibre en 1997, trois anciens responsables ou dirigeants ainsi que la société ont été mis en examen pour homicides et blessures involontaires.
Après plus de deux décennies d'investigations, la vingtaine de dossiers de l'amiante instruits à Paris se concluent depuis deux ans par des non-lieux.
Depuis la création du CAPER (Comité Amiante Prévenir Et Réparer) Bourgogne en 1996, ce sont plus de 1000 dossiers de personnes atteintes par des maladies liées aux poussières d'amiante.
Impossible de déduire avec précision le moment de l'exposition des salariés à la fibre cancérogène
Ces décisions s'appuient sur une expertise judiciaire de février 2017, selon laquelle il serait impossible de déduire avec précision le moment de l'exposition des salariés à cette fibre cancérogène et celui de leur contamination, et par conséquent d'établir les responsabilités pénales de tel ou tel dirigeant.
En janvier dernier, la cour d'appel de Paris a pris le contrepied de cette analyse, contestée par l'Andeva, en ordonnant la reprise des investigations dans le dossier de l'entreprise Everite de Dammarie-les-Lys (Seine-et-Marne), ravivant l'espoir des parties civiles d'obtenir un procès.
La contamination à l'amiante "n'est pas un événement ponctuel, mais un processus se déroulant sur une longue période qui va entraîner la maladie et éventuellement le décès", a rappelé l'un des avocats de l'association, Me Jean-Paul Teissonnière.
"L'amiante est un cancérogène sans seuil, donc la période d'exposition démarre quand les salariés sont embauchés et qu'ils absorbent des fibres d'amiante", a développé François Desriaux.
La position de la Cour d'Appel dans le dossier Everite "nous permet d'espérer un résultat favorable, un espoir que nous étions sur le point de perdre", a ajouté Me Teissonnière.
En Bourgogne, le dossier de l'amiante est connu à travers les sites industriels d'Eternit à Vitry-en-Charolais, Saint-Gobain et Kodak à Chalon-sur-Saône.
Joël Mekhantar est professeur de droit public à l'Université de Bourgogne, son père a travaillé à l'usine Eternit de Vitry-en-Charolais et est décédé d'un mésothéliome en 2001. Selon lui, un renvoi du dossier serait "une revanche sur tous les non-lieux prononcés lors des différents procès sur l'amiante en France". Mais le professeur de droit rappelle combien la dangerosité de l'amiante a été placée sous silence : "il y a eu un premier rapport de l'inspection du travail qui date de 1911, qui expliquait ça. C'est un fait qui est connu et ancien. Pendant des années il y a eu une omerta. On était à 100 lieues de penser aux dangers que mon père courait. Je me rappelle des petits bouquins faits par l'usine sur les mesures de sécurité, toujours un souci de préserver la santé des travailleurs, alors que dans la réalité, on leur faisait respirer et manipuler de l'amiante à fond ! Je me rappelle, l'usine recevait l'amiante dans des sacs en toile de jute. Une fois que les sacs étaient vidés, ils y mettaient des pommes de terre qu'on distribuait aux familles d'ouvriers !"
Eternit avait été l'un des premiers producteurs d'amiante visés par des plaintes d'anciens salariés. Plusieurs centaines de maladies professionnelles liées à ce matériau cancérogène ont été reconnues sur les six sites de la société.