Dans le cadre du dispositif "Ma France 2022", nous nous sommes rendus pendant deux jours dans le Sud de Dijon, pour traiter la question de la réindustrialisation. Quelles sont les pistes pour réindustrialiser, que s'est-il passé pendant 40 ans ? On vous raconte.
La Bourgogne est une terre de patrimoine industriel. Le Sud de Dijon et son agglomération ne font pas exception à la règle et ont accueilli des grandes entreprises telles que Hoover, à Longvic, en 1964 puis Tetra Pak en 1971, ou encore les Fabriques Réunies de Lampes Electriques (FRLE puis Philips) à Ouges en 1965.
Actuellement, la création d'entreprise se porte bien en Côte-d'Or, 719 entreprises ont été crées en mars 2021, ce qui représente un accroissement de +86.7% en un an, les deux tiers étant des micro-entreprises (chiffres Insee).
Cet esprit d'innovation résonne parmi les thèmes de la campagne présidentielle. À travers la consultation en ligne Ma France 2022, sur les sites de France 3 et France Bleu en régions, de nombreuses personnes ont réagi à la proposition de HaySun qui estime qu’il faut "réindustrialiser des activités en France : soutenir les investissements locaux qui permettent aussi l'aménagement du territoire."
Pour traiter cette question, nous nous sommes rendus au Sud de Dijon (Côte-d'Or) sur les communes péri-urbaines d'Ouges et de Longvic. Elles hébergent des grandes industries et de nouvelles entreprises vont sortir de terre. Nous sommes allés à la rencontre des salariés, d'anciens habitants et des acteurs économiques, qui œuvrent pour la création d'entreprises. La désindustrialisation n'apparaît plus comme une fatalité.
Pour mieux comprendre le tissu industriel dans le Sud de Dijon, il faut se rendre sur la zone industrielle de Longvic. Le restaurant l'étaP est situé à Longvic. Il se trouve dans les anciennes emprises de la société Hoover (fermée en 1993).
Ici, de nombreux salariés de la zone d'activité prennent leur repas le midi, un rendez-vous incontournable pour les artisans, ouvriers, employés du secteur. Le patron, Pierre, 40 ans, a repris les parts de son associé depuis un an et demi. Il est heureux de voir sa clientèle revenir, après le mois de janvier 2022 où le télétravail avait fait baisser son activité. Sa position de restaurateur lui permet d'être un peu le témoin de l'activité dans le secteur. Le constat est sans appel : "Ça fait quelques années que je travaille ici, on voit bien que ça a évolué, on avait beaucoup plus de clientèle avant, ça a été pas mal délocalisé. On le ressent énormément. Les belles années, il y a une dizaine d’années, on montait jusqu’ à 300 couverts le midi. Actuellement on fait 100-150." et il conclut de façon plutôt positive: "Mais on a une clientèle fidèle, je suis optimiste pour la suite, le plus dur est derrière nous."
Au gré des tables, on rencontre des employés, des ouvriers, des chauffeurs routiers (une plateforme logistique n'est pas loin).
Eric est formateur de chauffeurs poids lourds. Son activité ne désemplit pas, et pour cause, "le turnover important chez les chauffeurs routiers". C'est pourtant un maillon essentiel de l'industrie, le secteur de la logistique. Eric, ancien chauffeur poids-lourd, ne voit pas quels seraient les leviers à actionner pour réindustrialiser. "Je suis un peu dépité [...] Quand j’étais chauffeur pour du transport régional, j’étais payé au SMIC, mon salaire net pour mes heures, c’était 1600 euros, pour 40 à 50 heures de travail. Le secteur du transport subit un turnover important. On est dans le piège de l’Europe, tous les gens de l’Est, ils gagnent beaucoup moins, ça fait des concurrences déloyales entre les entreprises de transporteurs, on est piégés dans ce truc."
A une autre table de 3 personnes, nous rencontrons Aurélien, 36 ans, technicien dans la plasturgie. Il présente une analyse assez claire de ce qui pourrait encourager la réindustrialisation dans notre pays : "Ce qui va avoir le plus d’impact sur le moyen terme, c’est les coûts de transport qui vont exploser ! Ça va permettre de rapprocher tout ce qui est industrie de niveau local, comme les sous-traitants."
Mais il nuance son propos, en pointant du doigt deux écueils : " Forcément, il y a tout ce qui est compétitivité avec les pays à proximité, les charges patronales. Quand on voit qu’un employé français va coûter 30 euros de l’heure et qu’un espagnol 15 euros de l’heure, niveau compétitivité, c’est compliqué ! Les gros freins aussi, c’est la partie maintenance, qui dit industrialisation, c’est aussi des pannes malheureusement, et donc la maintenance, et on voit qu’il y a de moins en moins de jeunes qui font des études là-dedans.
Avoir les mains dans la graisse, c’est sûr que c’est moins sexy qu’être derrière un ordinateur et faire des logiciels. Si derrière il n’y a pas une politique de formation qui est liée à ça, ça va bloquer à un moment donné."
Il s'agit donc bien de l'attractivité des métiers industriels et la compétitivité, deux thématiques qu'il faudrait améliorer selon lui. Il trouve un point positif néanmoins, et qui est "la prise en compte préoccupante de l'impact environnemental dans toutes les démarches industrielles en France : l'impact carbone pour les transports, la prise en compte de l'énergie utilisée, le recyclage des déchets..."
Une industrie auparavant prospère
L'industrie a pourtant été un vecteur économique majeur dans la Région. Il faut revenir en arrière pour comprendre pourquoi les sites industriels étaient attractifs.
Nous nous rendons à Ouges, commune voisine de Longvic, à la rencontre de Gérard Larché. Cet ancien ingénieur de fabrication et consultant nous accueille chez lui. Il occupe "la maison du gardien" du parc résidentiel de l'usine FRLE (Fabriques Réunies de Lampes Electriques) à Ouges. Cette usine est aussi connue dans le patrimoine local comme l'usine Philips, du nom de l'actionnaire principal sur la fin d'activité du site en 1993.
Gérard Larché défend une certaine vision de ce qu'est l'entreprise : "c'est un lieu de vie, de développement personnel, d'échanges sociaux, un lieu de régulation sociale et de stabilité face aux difficultés de la vie, mais aussi un lieu de production de richesse."
De 1965 à 2015, le site industriel d'Ouges a représenté 60% du marché de l'éclairage en France et expérimenté des technologies de pointe.
Durant les 30 glorieuses, les ingénieurs dirigent les entreprises car il faut produire et reconstruire, dès 1960, le général de Gaulle prône la décentralisation pour désengorger la première couronne de Paris des sites industriels.
Quand FRLE tournait plein pot, on était 500, on faisait 600 000 ampoules par jour, ça roulait quoi !
Gérard Larché, ancien cadre de fabrication à FRLE
Gérard Larché nous retrace l'historique des FRLE, en nous montrant quelques photos d'archives sur son ordinateur. L'usine était détenue au départ par les groupes Mazda et Philips. Dans le contexte de décentralisation des industries en France dans les années 60, "on nous déroulait un tapis rouge" se souvient M.Larché : "ils ont construit une usine moderne, ils ont logé les cadres, on cotisait pour le 1% logement. Il y avait des relations avec la vie autour, et l’usine s’occupait de tout. Vu d’aujourd’hui on dit ‘c’était grandiose’, à l’époque les gens se plaignaient quand même ! On a été presque jusqu'à 600 personnes employées."
A l’origine du déclin de l’industrie, on peut noter la détérioration générale de la compétitivité des entreprises françaises. Face à la concurrence mondiale, l’industrie française ne fait plus le poids dans certains secteurs. D’autre part, en 40 ans, les ménages français ont modifié leur comportement de consommateurs en privilégiant davantage l’achat de biens et services plutôt que celui de biens issus de l’industrie.
Gérard Larché a vécu ce déclin, qui était lié à une course à la rentabilité : "Dans les années 80, on a commencé à se dire 'pourquoi se battre à Dijon pour avoir une usine performante ?' Alors que de toute façon, si on fabrique en Chine, ça sera beaucoup moins cher, donc on gagnera beaucoup plus d’argent.'"
Ce que Gérard Larché déplore, lui qui était à une époque "Monsieur Qualité" dans la chaîne de fabrication, ça a été la perte de la considération des ingénieurs : "Les ingénieurs ont perdu du poids, les commerciaux aussi. Il y a eu une logique économique qui a fait que tout le monde trouvait intéressante. On a considéré aussi que cette logique s’appliquait au détriment du personnel, que ce n’était plus nécessaire de le former, que le personnel n’ait plus d’emploi."
Autre conséquence de ce déclin, l'environnement des entreprises qui s'est dégradé au fil des décennies. Autant de freins à une reprise industrielle, selon Gérard Larché, qui estime "qu'en fermant les usines, on a fermé les apprentissages, on a fermé la gestion de connaissances, on a fermé tout ce qui était social dans la gestion de personnel, et puis à la place, il n’y a rien. C’est ça le vrai problème !"
Un autre écueil que voit Gérard, c'est une forme de renoncement face à la pénibilité : "Avant, on avait un métier, on était content. C’est des contraintes qu' aujourd’hui on aurait du mal à faire accepter à des gens qui n’ont pas travaillé, et qui n’ont pas envie de se lever à 5 heures du matin. Ca va être compliqué de remettre des gens au travail."
Peut-on alors réindustrialiser maintenant, au regard de ce qui a été perdu ?
"C’est possible mais c’est nécessaire ! Car quand on va réindustrialiser, on va se rendre compte qu’on va pouvoir faire disparaître tout un tas de coûts sociaux, qu’on finance par des taxes etc… C’est possible, simplement il faut le vouloir, c’est un choix politique ! Nous on a laissé partir tout un tas de produits, de sous-traitants, de produits finis et c’est compliqué !"
Quel est le regard des investisseurs sur le retour à l'industrie ?
Les investisseurs, ceux qui soutiennent les porteurs de projets et encouragent la création d'entreprise ont un autre regard, qui n'est pas aussi pessimiste.
Pour Marc Auloge, directeur régional de BPI Bourgogne-Franche-Comté (Banque Publique d'Investissement, une filiale de la Caisse des Dépôts), la crise du Covid a été révélatrice de certains manques industriels : "Le Covid a bien aidé à cette prise de conscience de métiers qui ont disparu. On voit les délais qu’on nous impose pour des composants électroniques, ou d’autres natures de production dont on n’aurait jamais imaginé dépendre de l’extérieur. Les délais, le coût des matériaux, tout rentre en ligne de compte ! Des chefs d’entreprise n’ont pas attendu, dans le cadre d’appel à projet. Ils ont déposé des dossiers avec des machines en commande, pour étendre des lignes de production, soit pour développer des niches qui étaient sous-traitées, soit pour des questions de coût, soit pour des questions de compétences."
La conjoncture du moment met en lueur ces problèmes, mais pour Marc Auloge, il y a une course à la compétitivité et à l'attractivité qu'il faut tenir : "Aujourd’hui, il faut le moins de pénibilité possible, un mélange d’automatismes pour réduire le poids de la masse salariale pour qu’on reste compétitifs surtout pour être en capacité d’accueillir des jeunes que l’industrie ne ferait plus peur."
Partant de ce constat, Marc Auloge demeure positif quant à la réindustrialisation : "elle est en cours !", selon lui.
Le Directeur Régional de BPI BFC perçoit un vent de changement auprès à la fois des filières de formation, des entreprises, des porteurs de projet : "On voit bien que toutes les instances professionnelles apprennent à communiquer mieux qu’avant, les maillons qui manquaient sont en reconstitution. On sent que la direction est prise et qu’il y a un consensus sur le diagnostic, et qu’on n’est pas loin de l’objectif."
Et dans son constat, la Côte-d'Or n'est pas à la traîne : "On assiste à plus en plus de rapprochements d’entreprises, c’est pour être demain plus solide et pour faire face aux impétuosités des marchés. Une entreprise quand elle s’implante, elle recherche surtout le bassin d’emploi, c’est-à-dire les compétences.
La Bourgogne et la Côte-d’Or en particulier a plusieurs attraits. Les entreprises doivent analyser comment elles peuvent être attrayantes, pour faire venir ces compétences, que ce soit des filières, ou de la formation, la reprise de l’apprentissage ces derniers mois est un exemple flagrant."
BPI France n'a pas fait semblant en matière de financement en 2020, l'ensemble des organismes qui épaulent les porteurs de projets l'ont reconnu, et pour preuve : 1,8 milliard d’euros ont été mobilisés au profit de 2 409 entreprises (303 M€ pour l’innovation, 260 M€ en garantie, 1,1 Md€ en financement et 159 M€ en court terme). Et, dans le cadre des Prêts garantis par l’État (PGE) de soutien des trésoreries malmenées par la baisse ou l’absence d’activité, la BPI, missionnée pour cela par le Gouvernement, a pu octroyer 3,2 Md€ de ces PGE, ventilés entre 23 499 entreprises.
La réindustrialisation va aussi intégrer les PME locales. Le cœur des entreprises, c’est les PME et la sous-traitance.
Arnaud Gravel, directeur du réseau Entreprendre Bourgogne
Une autre voix positive s'ajoute à celle du financeur, celle de France Entreprendre. Ce réseau de chefs d'entreprises accompagne les créateurs d'entreprise dans leurs démarches et projets.
Arnaud Gravelle est directeur du réseau Entreprendre Bourgogne. Son regard se concentre surtout sur les Petites et Moyennes Entreprises, celles qui sont, selon lui, des vecteurs de la réindustrialisation : "Autour de ces grandes entreprises qui s’implantent, la réindustrialisation va aussi intégrer les PME locales. Le cœur des entreprises, c’est les PME et la sous-traitance."
Son constat se concentre sur certains métiers, qui sont en tension ou bien qui ont disparu : "On n’a pas perdu les métiers d’encadrement, mais quand on regarde les petites entreprises autour de Dijon, elles recherchent toutes par exemple des opérateurs-régleurs, des fraiseurs, des tourneurs, des métiers allant du CAP au Bac+2, et clairement ces métiers, on les a perdus !
On a supprimé certains métiers, et pour transmettre le savoir, on a des trous. Malheureusement c’est sur les métiers les plus créateurs d’emploi, c'est-à-dire dans le cas de création et reprise d’entreprise."
La Côte-d'Or possède des atouts indéniables en matière de création d'entreprises, par ses voies de communication, la disponibilité de terrains, la main d'œuvre qualifiée.
Pour preuve, la nouvelle zone industrielle de Beauregard, sur la commune de Longvic est en travaux : le groupe Urgo est en train de construire un entrepôt logistique, dédié aux produits grand public (produits vendus en pharmacie et parapharmacie), pour un investissement de 16,6 Millions d'euros.
Autre exemple, le groupe Corden Pharma Chenôve a deux projets d’investissements soutenus par le plan de relance. Ils représentent près de 25 millions d’euros pour conquérir le marché international. Corden Pharma fournit les lipides complexes pour l'élaboration des vaccins ARN messager.
En 2019, Adhex Technologies, qui est fabricant de solutions adhésives pour l’automobile, la santé et l’industrie, a lancé un investissement de 15 millions d’euros sur son site de Chenôve avec un nouveau bâtiment et des équipements de production.
Néanmoins, on constate qu'en matière de création d'entreprises en Côte-d'Or, les secteurs les plus dynamiques demeurent encore les services, les services à la personne, et que la création d'entreprises industrielle demeure lanterne rouge.