REPORTAGE. Présidentielle 2022 : comment valoriser les métiers manuels, véritables vecteurs d'emploi ?

Dans le cadre du dispositif Ma France 2022, nous nous sommes rendus pendant deux jours au Creusot (Saône-et-Loire) pour traiter la question des métiers manuels. Quels sont les dispositifs mis en place pour valoriser ces professions dans cette commune au riche patrimoine industriel ? On vous raconte.

En 2020, le nombre d’apprentis a bondi de 40 % en France avec 500 000 contrats signés. Souvent décriés, parfois boudés par les pouvoirs publics et l’Éducation nationale, les métiers manuels et industriels sont aujourd’hui de véritables vecteurs d’emploi et la demande de main d’œuvre par les entrepreneurs est particulièrement forte.

Et alors que le scrutin présidentiel approche, vous êtes nombreux à faire de la prise en charge de ces professions un thème de campagne. À travers la consultation en ligne Ma France 2022, sur les sites de France 3 et France Bleu en régions, de nombreuses personnes ont réagi à la proposition d’Alain. Cet habitant de Montluçon (Allier), âgé de 71 ans, estime qu’il faut "reconsidérer l’image des métiers manuels, trop souvent dévalorisés alors qu’ils sont recherchés par les PMI, PME et les artisans".

Pour traiter cette question, nous nous sommes rendus au Creusot (Saône-et-Loire), personnification même de la ville industrielle en Bourgogne-Franche-Comté. Pendant deux jours, nous avons rencontré les habitants, la jeunesse et les acteurs locaux qui participent à la valorisation des métiers manuels. Ils nous ont raconté les solutions mises en place pour développer l’attractivité des professions artisanales, les dispositifs d’insertion proposés aux publics en recherche d’emploi et la nécessaire adaptation des entreprises aux enjeux contemporains.

"Framatome Le Creusot recrute". À peine sorti de la gare du Creusot, difficile d’échapper à la banderole déployée sur la devanture de l’usine, filiale du Groupe EDF. Nous voilà donc plongés d’entrée dans le contexte social d’une ville construite autour de son pôle d'activité.

"Le Creusot est restée très industrielle, c’est le contre-exemple de la désindustrialisation. On est sur un territoire où de grandes entreprises qui fonctionnent très bien sont implantées. On est dans une phase où ça marche plutôt bien avec une reprise économique forte", détaille Ivan Kharaba, directeur de l’Académie François Bourdon qui regroupe les archives du patrimoine industriel du Creusot et s’occupe de la transmission de cet héritage.

Ci-dessous, vous pouvez retrouver un bref résumé de l’histoire industrielle du Creusot. 

ArcelorMittal, Alstom, Areva, Safran-Snecma, dans les années 1990, plusieurs multinationales s’implantent dans la ville au lendemain de la liquidation de l’usine Creusot-Loire en 1985. Avec le soutien des élus locaux et en restructurant ses activités, la commune parvient à maintenir ses métiers et outils de production. Désormais, les entreprises locales sont face au défi de l’emploi. Beaucoup de postes sont disponibles, mais la main-d’œuvre manque parfois.

Il faut arriver à attirer des talents sur nos territoires. Il y a une vraie tension autour de la main d’œuvre.

Ivan Kharaba, directeur de l’Académie François Bourdon

"Les entreprises ont du mal à recruter car il y a une concurrence qui se met en place entre elles. La difficulté au Creusot, c’est que la représentation que les jeunes ont de notre territoire n’est pas positive. À conditions égales, un jeune va privilégier un poste en région parisienne par exemple. Ces gens veulent un environnement avec les services de la ville alors que l’industrie a besoin d’espace. C’est aux politiques de créer les conditions nécessaires que recherchent ces futurs ouvriers", estime Ivan Kharaba. Dans l'extrait ci-dessous, ce dernier regrette le choix politique de tourner le dos à l'industrie qui a été fait dans les années 1980.

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"En France on a pris le parti dans les années 1980 de tourner le dos à notre industrie", Ivan Kharaba ©Ivan Kharaba

Croisée à la caisse d’un supermarché, Corine avoue comprendre le manque d’attractivité de la commune pour un jeune actif. "Franchement, quand tu vois le centre-ville… Ça ne donne pas envie de venir s’installer. Il y a peut-être des postes de disponibles, mais il faut penser aussi à la vie autour du travail. Qu’est-ce que tu peux faire au Creusot quand tu as 25 ans ?, lance-t-elle avec un sourire avant de conclure. On a vraiment la sensation que l’État met de côté certains territoires alors que des gens quittent les grands centres urbains avec le Covid. J’attends d’un président qu’il soit capable de s’occuper de villes comme Le Creusot".

Améliorer l’image des métiers manuels

Une fois ses courses payées, Corinne continue gentiment de répondre à nos questions, un sac rempli de fruits et légumes à la main. La mère de deux enfants qui vit au Creusot depuis son enfance pointe la dévalorisation des métiers manuels et industriels en France. "On a un souci avec ces métiers et les filières qui permettent de former les jeunes. On estime que les professions intellectuelles sont supérieures, plus honorables. Mais il y a une intelligence technique. Chacun doit trouver sa voie !", plaide-t-elle.

Cyril, un chauffeur de taxi croisé devant la mairie du Creusot estime lui que "les métiers manuels sont tout aussi nobles que les autres ! Ils devraient être plus mis en avant par la gauche. Et quand j’entends Pécresse expliquer que la filière S était celle des bons élèves, je me dis que les clichés sont toujours présents".

On va tout de suite sur la difficulté du travail, sur l’idée d’un asservissement, sur les risques, la population. Ce qui est totalement faux.

Ivan Kharaba, directeur de l’Académie François Bourdon

Pour Ivan Kharaba, l’Éducation nationale doit alors porter un autre message sur la réalité du monde industriel. "Les enseignants doivent consacrer au minimum une semaine dans l’industrie pour que les élèves vivent la réalité de ce que c’est. On a ces représentations qui ne sont pas positives. Donc les gens ne veulent pas venir", souffle-t-il. Une proposition partagée par Hélène Sanna, responsable du pôle insertion emploi au sein d’AGIRE au Creusot.

La structure créée il y a 10 ans accompagne 3 000 personnes chaque année sur le chemin de l’emploi, 1 500 à Montceau-les-Mines et autant au Creusot. "On est sur un territoire qui est porteur de formations industrielles et manuelles. Il y a une réelle demande des entreprises. Les populations vieillissent. Il faut arriver à mobiliser les jeunes à l’école avec des visites d’entreprises, des stages. Il faut valoriser ces métiers tôt, que les jeunes en aient au moins une vision, une connaissance. Il faut leur parler aux gamins !".

Afin de valoriser les métiers manuels, AGIRE tente de rendre les entreprises plus accessibles aux étudiants. Dans le secteur du bâtiment, la structure a produit un film présentant les spécificités de chaque métier et met en relation des entreprises et des collégiens. Dans le domaine de l’industrie, des journées portes et des immersions sont proposées.

"Les dirigeants demandent à renouveler ces opérations. L’Éducation nationale fait aussi un effort pour changer les représentations. Ce qui plait aux jeunes, c’est que ce sont des métiers où les personnes se réalisent. L’environnement, le développement durable, les technologiques sont des thématiques présentes. On est sur un bassin industriel historiquement célèbre, mais on est très loin de Zola ! Des entreprises s’engagent car elles considèrent que pour avoir des salariés investis, compétents et qui restent, elles doivent s’attacher aux conditions d’accueil et de travail", confie Matthieu Di Fulvio, chargé de mission à AGIRE.

Soutenir la formation des plus jeunes

Les deux responsables d’AGIRE au Creusot soulignent alors une légère progression dans la valorisation des métiers et l’accompagnement des jeunes formés. En 2018, le gouvernement vote une loi relevant de 25 à 29 ans l’âge maximum pour obtenir le statut d’apprenti. En 2020, il accorde également aux entreprises une enveloppe de 8 000 euros par apprenti embauché. Des aides à l’apprentissage qui seront prolongées jusqu’au 30 juin 2022.

"Il y a des mesures qui soutiennent les employeurs. Je ne fais pas de politique, mais faites en sorte que les métiers ne disparaissent pas, qu’il y ait de réels savoirs !", lance Hélène Sanna. Ainsi, depuis 2016, le nombre d’apprentis en Saône-et-Loire a augmenté de 5 % selon la Chambre des Métiers et de l’Artisanat (1 456 contrats en 2016, 1 525 en 2020).

Mais d’autres solutions que l’apprentissage sont proposées. AGIRE fournit notamment des conventions de stage aux jeunes intéressés par les métiers manuels. Quentin Berger, 16 ans, est accompagné par la structure et réalise deux semaines de stage en mécanique chaque mois. "J’ai fait une seconde en bac professionnel, mais je n’ai fait qu’une seule année. J’ai eu beaucoup de mal avec l’école. Je me suis inscrit à AGIRE pour découvrir la mécanique", raconte l’adolescent qui vit à quelques kilomètres du Creusot.

Les différents stages de découverte permettent alors à Quentin Berger d’appréhender son futur métier et de conforter son projet professionnel. "Je me sens accompagné. J’apprends mon métier avec le patron. Il m’explique ce que je dois faire, je progresse. Ça se passe toujours bien. Je bricole un peu, ça me plait. Je me sens utile", confie-t-il même si la recherche de stages n’est pas toujours évidente.

"En mécanique, c’est compliqué de trouver des stages. La plupart des entreprises me disent non. Ils ont souvent déjà des apprentis", regrette Quentin Berger. Mais la situation ne démoralise pas le jeune homme. Il rêve ainsi d’intégrer en septembre prochain le centre de formation d’apprentis en mécanique de Mâcon. S’il y parvient, il réalisera trois semaines en entreprise et suivra une semaine de cours théoriques par mois.

Au total, près de 1 000 entreprises seraient implantées au Creusot. Le tout en Saône-et-Loire, le premier département artisanal de toute la Bourgogne-Franche-Comté avec 11 888 sociétés et 30 898 actifs.

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