Ils sont pâtissiers, gérants de boutique de sport ou de vêtements. Situés à proximité de la Suisse, leur emplacement était une force avant le Covid-19. Depuis, ils s'organisent pour tenir bon sans l'argent helvète et attendent la réouverture de la frontière, logiquement à la mi-juin.
Ce lundi, à cinq heures du matin, pour la première fois depuis de trop longues semaines, Henrique Miranda a entrevu la fin du tunnel.
Henrique est pâtissier à Jougne, dans le Doubs. Le dernier avant la Suisse. Le premier en arrivant en France. Cela dépend dans quel sens on le prend.
Et ce matin, donc, les travailleurs frontaliers étaient beaucoup plus nombreux à se rendre de l'autre-côté, à Vallorbe et ses usines. Ils se sont arrêtés, comme avant, faire le plein de viennoiseries pour adoucir la suite du trajet matinal.
"On ne fait quasiment plus de salé, explique le gérant de la Bricotte. On se limite aux viennoiseries et aux pains. Et quelques sandwiches. La terrasse et la salle sont fermées. Sur mes sept salariés, six sont au chômage partiel. C'est simple, pendant le confinement, on a perdu 90% de notre chiffre d'affaire !"
Depuis le déconfinement, ce chiffre est remonté à 55%. Mais cela reste difficile, car beaucoup d'entreprises suisses, malgré le déconfinement, continuent en télétravail.
Et puisqu'on parle en pourcentages, il y en a un autre à prendre en compte pour comprendre les galères du boulanger-pâtissier: les travailleurs frontaliers représentent traditionnellement 60% de la clientèle. Alors s'ils restent chez eux..
"Regardez l'usine Maillefer : sur les 800 salariés de Vallorbe, seuls 100 sont présents sur le site ! Quant au reste de notre clientèle, il est composé de gens de passage, qui ne passent plus puisque la douane est fermée aux non-travailleurs."
La Suisse n'a pas fermé sa frontière avec la France, pour permettre aux 30 000 frontaliers de se rendre au travail. En France, les restrictions aux frontières avec les pays de l'espace européen (Union européenne, Schengen, Royaume-Uni) sont prolongées jusqu'au 15 juin au moins.
Un peu plus loin de la frontière se trouve la ville française préférée des habitants du canton de Vaud : Pontarlier.
Chez l'opticien ? Pas de soucis. Enfin, façon de parler. Les temps sont durs comme pour tout le monde, mais la clientèle suisse ici est bien moins importante qu'il y a 15 ans. Du coup cette absence pèse moins.
Même son de clarine du côté de ce caviste franchisé : les helvètes ne prennent pas le risque de passer la frontière avec de l'alcool quand elle est ouverte. Leur absence n'est pas préjudiciable puisqu'ils ne viennent jamais.
L'une des plus touchées par cette histoire, on la trouve en plein centre-ville.
Catherine vend des costumes et des robes. Mais pas n'importe lesquelles. Des robes de mariée. Elle se sent bien seule dans sa jolie boutique, car les visites à "Charme et Style" se font sur rendez-vous. Et des rendez-vous, elle n'en a qu'un par jour en ce moment.
"Je suis doublement impactée en fait. Premièrement parce que 55 cérémonies dont j'avais fourni la robe de mariée sont décalées au printemps et à l'été prochain. Ce qui signifie que les couples souhaitant se marier en 2021 ne pourront pas le faire et retarderont d'un an. Je pourrais du coup me retrouver avec quasiment aucun achat de robes !"
L'autre écueil pour Catherine, c'est la différence de gestion avec la Suisse. Là-bas, les cérémonies de mariage vont reprendre au 28 Mai. Mais si les femmes avaient prévu depuis 6 mois leurs robes chez la française, les achats de costumes de dames d'honneur et surtout des hommes se font plus tard.
Et ils se sont fait ces derniers jours en Suisse! Une sacrée perte pour Catherine, car les fiancées hélvètes représentent 30 à 35% de sa clientèle.
"Heureusement que nous sommes implantés depuis 8 ans et que nous avions les reins solides. Je plains les petites boutiques..Notre problème à nous, gérants de robes de mariées, c'est que nous passons forcément après le traiteur et les salles. Si ceux-là ne font que déplacer à l'année prochaine les mêmes dates ça n'ira pas, il y aura un embouteillages avec les nouveaux futurs mariés. J'espère qu'ils élargiront la période des mariages, la commençant en mars pour la finir en novembre."
Un futur sombre pour Catherine et ses deux couturières. Elles auront au moins eu le mérite de confectionner et de vendre aux communes 4000 masques pendant le confinement. De quoi maintenir un peu l'activité. Et de se sentir utile.
"Je ne vais pas me réjouir, on a passé deux mois blancs, mais je craignais plus leur absence !"
Dans cette enseigne de sport située dans la grande zone d'activités de Pontarlier, on avait très peur de l'absence des Suisses. Comme pour chez Catherine, la clientèle helvète représente 30% des ventes tous les week-ends.
Et comme ils n'ont pas le droit de venir en France..ils ne sont pas venus. Sauf que le directeur d'Intersport, Romain Tuetey, a pu compter sur l'irrépressible envie de sport des Français !
"C'est tout bête mais on a jamais autant vendu de chaussettes que depuis deux semaines ! Il faut croire que les gens les ont usées à rester à la maison ! On vend bien évidement énormément de vélos, de chaussures mais aussi des appareils de musculation, ce qui n'était plus le cas depuis des années.
En fait, les achats des Pontissaliens ont permis de compenser l'absence des Suisses ! Je ne vais pas me réjouir, on a passé deux mois blancs, mais je craignais plus leur absence."
Et Romain de se dire que, peut-être, cet effet de décompensation des Français venant s'équiper dans sa boutique pourrait être imité par les Suisses à partir du 15 juin.
Une deuxième vague, quoi. Celle-ci, tous les commerçants frontaliers veulent bien la voir débarquer.