La vidéo a été vue près de 60 000 fois après son partage par Marine Le Pen ce mercredi 23 octobre. Elle montre une ville de Chenôve « où la racaille impose sa loi » Problème : aucune demande n'a été faite pour l'utilisation d'images de France 3 Bourgogne dans un montage réducteur et orienté.
En deux minutes et dix secondes, la vidéo diffusée sur Twitter agglomère et amalgame 9 extraits de sujets de France 3 Bourgogne. Les éléments les plus angoissants ont été délibérément choisis et juxtaposés sans aucun élément de contexte ou de chronologie. Tous les éléments d’explication ont été ôtés. Le tout renvoie une image angoissante qui correspond au message que veut faire passer la présidente du Rassemblement National : [Une ville] « où la racaille impose sa loi et terrorise les habitants » (sic).
Ce que ne montre pas le montage vidéo
Les contresens sont multiples. L'extrait du 20 août montrant un homme tirant à la carabine est faussement lié aux violences urbaines. Selon les éléments de l’enquête, il s’agit en fait d’un différend amoureux entre 3 personnes, certes extrêmement violent et grave, mais qui n'a rien à voir avec des violences urbaines liées aux différents trafics.
Plus grave, dans le reportage du 19 octobre 2019, l’auteur du montage extrait une réaction du maire de Chenôve après la dégradation d’un skate-park. Là encore, il exclut volontairement tout élément de contexte. Celui-ci est pourtant indispensable à la compréhension du sujet. Il ne s’agit pas de dégradations liées à des incivilités mais de tags à caractère politique sur les installations sportives destinées aux jeunes. Le ou les auteurs s’opposent à la politique du maire actuel. Dans le reportage, la piste d'une utilisation politique des violences à 5 mois des municipales est abordée. Là non plus, ces éléments ne sont pas repris.
Depuis le début de l’année, France 3 Bourgogne a réalisé 34 reportages sur la commune de Chenôve. 10 sont liés plus ou moins directement aux épisodes de violence. Les autres sont consacrés à des évènements culturels, à des questions environnementales, sociales ou encore au succès mondial de l’entreprise Urgo, basée à Chenôve. La rédaction de France 3 Bourgogne s’efforce de couvrir de manière équilibrée et juste l’actualité dans cette commune de l’agglomération dijonnaise comme partout ailleurs. En évitant l’angélisme comme la dramatisation. La réutilisation illégale d’images sans autorisation, de façon partielle et avec un objectif partisan détourne le travail de toute une rédaction.
Dans les 9 reportages qui ont servi au montage du Rassemblement National, Marine Le Pen aurait pu retenir d’autres témoignages. Comme celui d'un riverain pas particulièrement terrorisé le 30 septembre : « Ce sont des jeunes désœuvrés. Pas de travail, pas d’argent… Ils se vengent un peu comme çà. » L’interview d’un syndicaliste policier qui récuse tout "laxisme ou impuissance de l'Etat" le 5 juin aurait aussi pu être citée : « La volonté première des jeunes, ce serait de sanctuariser leur quartier […] Reste que pour nous, ce sont des quartiers sur lesquels on intervient et on continuera d’intervenir ! » Ces extraits n’ont délibérément pas été choisi. Peut-être ne correspondaient-ils pas au message que voulait véhiculer le parti de Marine Le Pen.
D’où vient cette vidéo ?
Ce n’est pas Marine Le Pen qui est à l’origine de la vidéo. Celle-ci a été postée une première fois par Pierre-Louis Mériguet. C’est vraisemblablement lui qui a utilisé les images de France 3, sans autorisation. Il n’est suivi que par quelques centaines de personnes sur les réseaux sociaux. Ce n’est qu’une fois la vidéo relayée par Marine Le Pen que le nombre de vues s’est envolé.
L’homme n’est pourtant pas tout à fait un inconnu. Il a été recruté par le groupe Rassemblement National au Conseil Régional de Bourgogne Franche-Comté pour gérer la communication et la présence du parti sur les réseaux sociaux. Plusieurs articles de presse dressent le portrait d'un militant issu de la droite identitaire.
Pierre-Louis Mériguet est surtout l’auteur d'une autre vidéo qui a récemment fait polémique. Le 11 octobre 2019, Julien Odoul dénonce violemment la présence d’une femme voilée dans l’enceinte du Conseil Régional. Ce jour-là, c'est Pierre Louis Mériguet qui filme la scène et la poste immédiatement sur les réseaux sociaux.
Que dit la loi ?
Cette vidéo est une double atteinte au droit d’auteur. « La reprise et le montage de vidéos de France Télévisions est une atteinte aux droits patrimoniaux (reprise sans autorisation) et moraux (dénaturation par le montage et absence de citations des noms des journalistes) des auteurs. Il s’agit d’une contrefaçon » explique ainsi le service juridique de France Télévision.
« L'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres Ier et III du présent code. » (Article L 111-1 code de la propriété intellectuelle)
Le service juridique de France Télévisions engagera les suites juridiques qu'il jugera nécessaires.« Est également un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d'une oeuvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur, tels qu'ils sont définis et réglementés par la loi » (Article L 335-3, code de la propriété intellectuelle)
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