"Ceux qui errent ne se trompent pas" est à l’affiche du Festival d'Avignon. Cette pièce, présentée en avant-première à Dijon, propose une réflexion réjouissante sur la crise du politique, en résonance avec le mouvement Nuit debout.
Une pièce de théâtre prémonitoire
Ce sont deux jeunes auteurs (Maëlle Poésy et Kevin Keiss) qui ont créé "Ceux qui errent ne se trompent pas". Leur pièce a été écrite entre janvier et septembre 2015, c'est-à-dire bien avant l'état d'urgence, la loi travail et la contestation citoyenne qui a suivi."Mais c'est vrai qu'elle touche les mêmes questions que Nuit debout", reconnaît Maëlle Poésy. Défiance vis-à-vis des politiques, désir d'inventer de nouvelles formes de démocratie : tout y est, avec une énergie et une créativité jubilatoires.
Tout débute un soir d'élections dans un bureau de vote parisien. La pluie tombe sans discontinuer depuis le matin. Le bureau de vote est désert, quand brutalement, en fin d'après-midi, les électeurs se rendent en masse aux urnes.
Gros succès de la pièce de #maellepoesy au @TheatreDijonB #theatreenmai pic.twitter.com/Gob4gxbHBQ
— Isabelle Parry (@IParry21) 22 mai 2016
Un séisme politique doublé d'un déluge
Au gouvernement, l'euphorie cède vite la place à la consternation : la capitale a voté blanc à 80%. Ce séisme politique est doublé d'une catastrophe climatique puisqu'une pluie diluvienne noie la ville (et le plateau!). "On a voulu ajouter une dimension mythologique à la pièce avec ce déluge. Et puis, dans les deux cas, crise du politique et crise climatique, on attend d'être dans le mur pour réagir", explique Maëlle Poésy.La pièce de théâtre décrit le huis clos d'un gouvernement totalement dépassé, mais prêt à tout pour garder le pouvoir. La scénographie regorge de trouvailles : une reporter en ciré fait ses directs noyée sous la pluie, les membres du gouvernement se relaient à la télévision en bégayant pour tenter une réaction au désaveu massif de la population. Avant de passer à l'écran, ils se recoiffent hâtivement en une sorte de danse du scalp hilarante. Maëlle Poésy, qui a déjà signé un "Candide" rafraichissant, aime insérer de courtes séquences dansées dans ses pièces, qui donnent le tempo.
Le gouvernement, affolé, verse peu à peu dans une politique autoritaire. On cherche un complot "anarco-terroriste" et on mène, en vertu de "l'état d'inquiétude", des interrogatoires à grande échelle pour traquer les votes blancs.
Vu la pièce percutante de Maëlle Poésy sur la crise du politique "Ceux qui errent..." Au festival ThéâtreDijon et avant Avignon: Bravo!
— Marie-Pierre Ferey (@Mariepierrefere) 22 mai 2016
Une joyeuse satire
Si le propos est grave, le traitement de la pièce se situe clairement dans la satire, ce qui contribue à aiguiser sa portée politique.Certains personnages frisent la caricature : la ministre de la Justice plaide pour l'écoute de la population et propose une refondation du politique tandis que son collègue de la Défense veut écraser la "chienlit". La Garde des Sceaux donne sa démission trois fois dans la pièce (toute ressemblance avec des faits réels serait évidemment purement fortuite).
Certaines phrases résonnent particulièrement avec l'actualité : "On leur donne de beaux outils d'expression et ils détruisent tout", se lamente un ministre. Nul casseur pourtant dans la pièce, mais des rebelles pacifiques qui repeignent la ville en blanc. En réponse, le gouvernement décrète l'état de siège et le ministre de la Défense envisage de bombarder la ville...
Le nouveau spectacle de Maelle Poesy est juste... Dingue
— BLISS (@clo_ette) 22 mai 2016
Kevin Keiss et Maëlle Poésy se sont inspirés du roman La Lucidité du prix Nobel de littérature portugais José Saramago, qui décrit une consultation électorale où l'on compterait plus de 80% de votes blancs. Ils ont aussi pensé au siège de Paris pendant la Commune, ou encore à la loufoquerie d'un Terry Gilliam dans le film Brazil, qui décrit la mise en place d'un système totalitaire.
La pièce a été très bien accueillie à Dijon où elle a été jouée du samedi 21 au lundi 23 mai. "Ceux qui errent ne se trompent pas" sera à l'affiche du Festival d'Avignon (Théâtre Benoît XII) du 6 au 10 juillet, avant une tournée dans toute la France.