Le Poilus-Palace était une cantine réservée aux soldats permissionnaires qui a été installée à la gare de Dijon à partir du 15 avril 1916. Cet établissement créé par l'Office central de secours aux blessés (un organisme dijonnais) a été un modèle du genre.
"Il fait froid. une épaisse couche de neige couvre la ville et le train des permissionnaires vient d'arriver. Voici nos hommes, suivons-les au sortir de la gare. Une grande pancarte indicatrice leur montre le chemin de la Cantine; ils n'ont qu'à traverser la cour. plusieurs piétinent pour se réchauffer, d'autres soufflent dans leurs doigts rougis par l'onglée. Soudain devant eux, par une large baie, arrive une bouffée de chaleur; ils pénètrent avec délices dans le vaste hall du réfectoire..."Ces phrases sont extraites d'un texte intitulé "Une oeuvre de guerre à Dijon" paru dans la Revue de Bourgogne 1911-1926.
L'initiative d'un grand patron
C'est un des notables de DIjon, le polytechnicien Lucien Richard, directeur d'une des plus grosses entreprises de Dijon, la biscuiterie Pernot, président de la Chambre de Commerce, qui, trop âgé pour être mobilisé, a voulu dès le début de la guerre, porter secours aux Poilus de diverses manières. Dès le mois d'août 1914, il fonde l'Office central de Secours aux blessés. Pendant toute la durée du conflit, cet organisme a fourni du matériel médical et des médicaments, mais aussi des vêtements et des denrées alimentaires, pour les Poilus, dans tous les hôpitaux publics et privés de Dijon.
Lucien Richard souhaite assurer aux permissionnaires une hospitalité simple, mais confortable, en leur occasionnant le minimum de dépenses. Il voit grand : il veut une structure d'accueil où les Poilus pourront s'asseoir, boire, manger, mais aussi se reposer, dormir, et pourquoi pas se laver.
Il faut des fonds, une organisation, des bénévoles : l'Office central de secours aux blessés, la municipalité de Dijon, l'autorité militaire et la Compagnie PLM se mettent d'accord. On est en janvier 1916.
La P.L.M. accepte de céder les locaux gratuitement, charge à l'Office central des blessés de faire les travaux et les aménagements nécessaires. Tout cela va très vite. Les travaux sont terminés en mars, et la cantine des permissionnaires ouvre à la mi-avril 1916.
À boire et à manger pour tous et à bon prix
Au guichet des comestibles, on leur propose de quoi se restaurer. Voici ce qu'ils peuvent se procurer : pain, sandwich au jambon, salade de pommes de terre et de haricots, frites, oeufs durs, boites de sardines, pâté de foie, fromages, viande froide, saucisson. Tout cela à des prix très abordables.
Au guichet Café et Soupe, le bol de soupe était vendu deux sous, la tasse de café sucré aussi. Il est précisé que les administrateurs tenaient à ce que soupe et café soient irréprochables.
Au guichet des liquides (vin, bière, cidre ou limonade), les prix varient selon les cours mais ils sont maintenus en dessous des prix marchands "grâce aux conditions spéciales obtenues par le Comité d'achat". En été, les bouteilles sont fraîches, conservées dans la glace. Au comptoir, un système a été installé pour remplir rapidement de vin les bidons des Poilus : six entonnoirs suspendus de manière à ce que leurs becs entrent dans le goulot des bidons présentés.
Au guichet Papeterie et Tabacs, les Poilus trouvent des cartes postales, des carnets de 12 vues de Dijon au prix dérisoire de 40 centimes de l'époque. Ils peuvent acheter pour deux sous de tabac.
Installations sanitaires, hygiène, repos
Au fond du réfectoire, il y a un lavabo avec 12 robinets et des pains de savons, et un essuie-mains remplacé plusieurs fois par jour. Un service gratuit. Il y a des miroirs, ce qui le veulent peuvent se raser, se peigner. Ils peuvent avoir du linge de toilette pour 0,10 franc et une caution de 2 francs qu'ils récupèrent contre la remise du linge après usage.
A leur disposition également, un salon de coiffure à prix très modique, installé grâce à l'achat de matériel d'occasion. Le coiffeur est un militaire. Professeur de coiffure à la section des mutilés de l'hôpital Carnot à Dijon, il exerce ici avec quatre de ses élèves.
Il y aussi des douches avec eau chaude: 8 pommes d'arrosoir dans des cabines séparées, dont une est réservée aux officiers. Les Poilus peuvent acheter des petites savonnettes et le linge leur est fourni comme aux lavabos sous caution.
Avec le concours de l'intendance militaire, les Poilus peuvent obtenir du linge propre : une chemise et un caleçon en échange des leurs.
Enfin, ils peuvent dormir à la cantine, dans une salle de repos chauffée où plus de 300 lits de camps ont été installés sur deux étages. Il y a aussi une bibliothèque et des tables éclairées par des lampes.
Un personnel dévoué et aux petits soins
La direction, gestion, exploitation, les relations avec les fournisseurs reposent sur l'administration: une équipe de notables dijonnais. Le personnel est essentiellement féminin. Près de 80 personnes salariées ou bénévoles, dont les Dames de la Croix-Rouge. 54 personnes réparties en trois équipes se relaient pour assurer les services de jour et de nuit : vendeuses, magasinières, cuisinières, plongeuses, préposées au nettoyage des salles.
Du thé de ravitaillement
A la gare de Dijon, du thé est servi gratuitement aux soldats qui sont dans les trains et qui ne restent stationnés que quelques minutes. Les Dames de la Croix-Rouge remplissent des brocs de fer blanc qu'elles vident dans les quarts des Poilus. En été, le thé se sert froid ou se remplace par quelque boisson fraîche. Il se distribue plus de quatre feuillettes de thé par jour.
Le Poilus-Palace : un modèle du genre
La cantine des permissionnaires de Dijon a été tellement appréciée par les Poilus qu'ils l'ont baptisée " Poilus-Palace". De nombreuses municipalités s'en sont inspiré, notamment la ville de Lyon dont la cantine située à la gare de Brotteaux ressemblera d'ailleurs étrangement à celle de Dijon. Cette cantine aura ainsi vu défiler plus de 6 millions de militaires à ses guichets, ravitaillé plus de 20 000 personnes et reçu plus de cent convois de rapatriés.
Histoires 14-18 il y a cent ans : Le Poilus-Palace
Equipe : Caroline Jouret, Alain Tixier ( Images), Jean-Renaud Gacon (Lumière), Francis Nivot (Son)