Lors de la 10e journée de manifestation au centre-ville de Dijon, nous nous sommes écartés du cortège pour recueillir la parole des commerçants situés sur l'itinéraire du défilé syndical.
Dans les rues de Dijon ce mardi 28 mars, des milliers de manifestants ont défilé, pour la dixième fois, contre la réforme des retraites et le recours au 49-3. Ils étaient 15 000 selon l'intersyndicale, 5 000 selon la police. La foule des grands jours au centre-ville... mais rue de la Liberté, sur le tracé du cortège, de nombreuses boutiques avaient baissé le rideau.
Un bureau de tabac par exemple, une boutique de vêtements et d'ameublement, un magasin de chaussures, une bijouterie, une enseigne de cosmétiques... "On ferme le temps que le cortège passe mais on rouvre juste après", explique une vendeuse. "C'est pour éviter que des gens rentrent, par précaution."
D'autres commerçants ont choisi de rester ouverts. Nous quittons le cortège quelques instants pour aller à leur rencontre : d'abord, une boutique de produits locaux. "Là, c'est sûr que c'est calme pour nous, pendant la manif", note le gérant. "D'habitude, le mardi, j'ai beaucoup de personnes âgées qui ne viennent pas en ville quand ça manifeste."
"Et quand les rassemblements ont lieu le samedi, on fait clairement des demi-journées en terme d'affluence."
Le gérant d'une boutique de produits locaux
Craint-il la casse ? Pas vraiment. "Les manifestants sont plutôt gentils, même si la semaine dernière, après le 49-3, ils ont jeté des pétards près de ma boutique."
"Je comprends mais c'est vraiment trop"
Des pétards, le patron de la boulangerie la Mie Câline en a reçu un pile sur son palier, lors de cette même manifestation. "Ils ont abusé. J'aurais eu le temps, je l'aurais rattrapé, le gars qui a fait ça", assure David Vallin. Pour autant, le boulanger ne se dit pas hostile aux revendications des manifestants, mais il regrette l'impact sur son activité. "Je comprends, les manifestations sont pour l'intérêt des Français. Mais là c'est vraiment trop."
"C'est plusieurs fois par semaine, et ça se voit vraiment sur notre chiffre d'affaires. Aujourd'hui c'est très, très calme pour nous."
David VallinLa Mie Câline
"Je pense que les gens ont peur de sortir en ville. Maintenant, les manifs sont très médiatisées, on voit ce qu'il se passe à Paris et toutes les violences", estime le David Vallin.
"Ça arrive qu'on se relaie pour aller manifester !"
La semaine dernière, le président de l'association de commerçants Shop In Dijon, Denis Favier, avait dit son "ras-le-bol" de voir le centre-ville affecté par les manifestations. Il avait évoqué la possibilité de faire passer les cortèges plutôt à la Toison d'Or, à Quetigny ou sur la rocade.
Une possibilité que plusieurs commerçants approuvent... Mais pas Yvette, Isabelle, Murielle et Amandine. Elles tiennent la chapellerie de la rue des Godrans, qui jouxte la rue de la Liberté. "Pendant le passage du cortège, il n'y a personne, c'est vrai, mais on bosse quand même les jours de manifs", assurent-elles.
"Les manifestations, elles ramènent des gens de Nevers, d'Auxerre... On a déjà eu des clients qui sont venus dans notre boutique après avoir manifesté, et ils venaient de loin !"
Yvette, Isabelle, Murielle et AmandineChapellerie Bruyas
Quant au fond de la question, les chapelières sont totalement d'accord avec les manifestants. "D'ailleurs, ça arrive qu'on se relaie pour aller manifester", sourient-elles. "Il y en a une qui tient la boutique pendant que les autres vont dans le cortège." Elles reconnaissent aussi que leur commerce n'est pas parmi les plus à plaindre : "Quand il y a des débordements, ce sont plutôt les grandes enseignes qui sont visées."
"Il pourrait y avoir d'autres moyens de faire grève"
Des débordements, certains en ont gardé un souvenir cuisant des "gilets jaunes". Bertrand Dubois, le patron de l'Espresso-T, a rangé sa terrasse, "en préventif, pour ne pas que ça puisse servir de projectile ou que le matériel soit cassé en cas de mouvement de foule". Une simple précaution, au cas où. "Mais là, depuis le début des manifs contre la réforme des retraites, on n'a pas reçu de consigne alors que pendant les "gilets jaunes", la police nous avait dit de ranger nos terrasses."
Le manque à gagner, dans ce café proche de la place Darcy ? "C'est difficile à chiffrer, mais honnêtement c'est anecdotique", reconnaît le cafetier. Ce dernier regrette pour autant la forme que prend cette contestation. "En France, on fait toujours des manifs. Mais il pourrait y avoir d'autres moyens de faire grève. Refuser de payer ses impôts, par exemple."