Manifestation des agriculteurs de la FRSEA à Dijon : pourquoi la future PAC les inquiète ?

Le syndicat agricole FRSEA appellait à manifester devant les services de l’Etat à Dijon alors qu’à Paris, s’engage la dernière ligne droite des discussions sur le volet français de la future Politique Agricole Commune.

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Pourquoi faire converger des tracteurs de toute la Bourgogne-Franche-Comté devant les services de l’Etat ce 6 avril ? Manifester, c’est vouloir établir un rapport de force dans le cadre de négociations. Aujourd’hui, une réunion entre les syndicats agricoles et le ministre de l’Agriculture est justement prévue pour discuter Plan Stratégique National. Elle fait partie d’un cycle de discussion entrepris par le ministère.

L’idée, explique-t-on rue de Varenne, est de « tout mettre sur la table en toute transparence. Les différents scénarios tournent dans les services. Rien n’est encore décidé. »

Négociations en France et en Europe

Ce Plan Stratégique National est la déclinaison française de la nouvelle Politique Agricole Commune qui devrait entrer en vigueur en 2023. Ce Plan déterminera la répartition des aides et leurs critères d’attribution, et c’est cela qui provoque les tensions actuelles.  Le ministère doit le transmettre à l’Union Européenne avant l’été.

C’est donc l’avenir des agriculteurs qui est en train de se décider à Paris puis prochainement à Bruxelles. Les nouvelles règles devront s’appliquer dans les exploitations agricoles à partir du 1er janvier 2023. 2021 et 2022 sont deux années de transition.

La PAC, un outil d’orientation pour l’agriculture européenne

Depuis 1962, cette PAC est un outil financier qui soutient l’agriculture. Différentes subventions sont versées aux agriculteurs. Au départ, il s’agissait d’aider les agriculteurs européens pour nourrir la population au lendemain de la seconde guerre mondiale. C’était l’époque de la Révolution verte : une agriculture intensive pour nourrir le plus de monde. La politique agricole a évolué pour s’adapter aux règles du commerce international et, désormais, elle doit aussi prendre en compte la protection de l’environnement.

Plus de 600 millions d’euros par an en Bourgogne Franche-Comté

D’ici 2023, il s’agit de s’entendre sur la répartition des enveloppes budgétaires pour cette PAC (2021-2027). Sur les 387 milliards d’euros du budget agricole pour cette période, 63 milliards sont attribués à la France, le premier pays européen bénéficiaire de ces aides.


Il existera toujours deux grandes catégories d’aides :

-Celles qui sont directement liées aux hectares exploités par l’agriculteur. C’est ce qu’on appelle le premier pilier de la PAC, il représente environ 70% du budget de la PAC. En Bourgogne- Franche-Comté, les 16.800 exploitations agricoles reçoivent actuellement de l’Europe au moins 600 millions d’euros par an.

-Celles qui soutiennent certaines exploitations plus désavantagées que d’autres en raison de leur situation géographique ou de leur engagement environnemental. Par exemple, les exploitations situées en montagne. C’est le second pilier.

Les fonds européens du second pilier sont gérés par la Région. Ils sont cofinancés par l'Etat, les départements, l'Agence de l'eau et par la Région elle-même.  Les sommes sont d'environ 150 millions d'euros par an pour la période 2014-2022 en Bourgogne-Franche-Comté. 

Actuellement, les conseils régionaux négocient avec l'Etat les aides de ce second pilier. Dans un communiqué, la présidente de la Région BFC, Marie-Guite Dufay (PS) précise qu'elle a "convié la profession à sa prochaine rencontre avec le ministre de l'Agriculture Julien Denormandie afin de défendre collectivement la Région et ses territoires".

Des propositions précises seront formulées par la Région et la profession lors de ce rendez-vous avec le ministre. Je défendrai la spécificité de notre territoire, et notamment la question des zones intermédiaires, qui impacte six départements de la Bourgogne-Franche-Comté. La future PAC doit y consacrer une enveloppe financière conséquente. Je rappellerai le fort attachement de la Région à l’agriculture biologique afin d’obtenir une enveloppe FEADER à la hauteur des enjeux Il sera également question d’une attente forte sur l’engagement de l’État sur la dotation jeune agriculteur afin de garantir le cofinancement

Marie-Guite Dufay, présidente du Conseil Régional BFC

Des « écorégimes » en faveur de l’environnement

Au plan européen, des négociations sont aussi en cours. En octobre dernier, le Parlement européen a adopté les principes de la future PAC. Principale mesure : les aides européennes apportées aux agriculteurs des 27 pays seront conditionnées au respect de pratiques environnementales renforcées. C’est ce qu’on appelle les « écorégimes » et c’est obligatoire. Ce sont des primes pour les agriculteurs qui participent à des programmes environnementaux.

Reste à décider la proportion de ces primes dans l’attribution des paiements directs que l’Union Européenne verse aux agriculteurs. Les parlementaires ont voté pour que ces écorégimes représentent 30% des aides alors que le conseil européen des ministres de l’Agriculture privilégie un taux de 20%. Une négociation à trois (avec la commission européenne)  est en cours.

Une fois que cette proportion d’ « écorégimes » sera déterminée pour les 27 pays européens, chaque état membre pourra décider de son Plan National Stratégique. C’est pour cela que l’on dit que les PAC sont « renationalisées » car les pays ont une plus grande latitude pour déterminer ce qu’ils vont définir comme étant des actions considérées comme des «écorégimes ».

Les agriculteurs de la FRSEA réclament « une politique agricole commune équilibrée et juste qui tient compte des hommes, des territoires et des filières »

On voudrait que les exploitations en polyculture élevage qui privilégient l’autonomie ou celles qui sont dans des filières AOP se voient automatiquement attribuer les écorégimes.

Philippe Monnet, président de la FDSEA 25

Différentes agricultures cohabitent en Bourgogne Franche-Comté. Un autre manifestant du rassemblement devant la Dreal de Dijon réclamait une "PAC forte"

On veut des aides couplées et des aides aux bovins allaitants à la hauteur de nos besoins, nous a indiqué. Il y a un gros soucis sur les zones intermédiaires

Thibaut Renaud, secrétaire général des Jeunes Agriculteurs de Saône-et-Loire

Le degré d’exigence sera plus ou moins important selon les pays. Une fois que ces PNS seront définis, la commission européenne devra les examiner pour vérifier s’il n’y a pas trop de distorsions entre les agricultures des différents pays.

Cette modification de l’attribution des aides selon des critères plus agro-environnementales créé des tensions. Ceux qui ne changent pas leurs pratiques peuvent y perdre. Ceux qui se tournent vers une agriculture bio ou à  haute valeur environnementale peuvent y gagner .

Julien Fosse et Alice Gremillet, France Stratégie

Julien Fosse,  est expert développement durable et numérique de France Stratégie. Dans une étude publiée au mois d’août par France Stratégie, Julien Fosse et Alice Grémillet démontrent que des exploitations qui font le choix d de l’agro-écologie peuvent être rentables.

Concilier environnement et économie

Les deux experts soulignent l’importance de l’orientation des aides de la PAC.

Actuellement, ces aides ne sont pas proportionnées au service environnemental rendu par les exploitations (…) . En grandes cultures par exemple, (…) c’est la production moins exigeante du point de vue environnemental qui reçoit plus.

Julien Fosse et Alice Gremillet, France Stratégie

Mieux aider la transition écologique de notre agriculture passe donc par un réel ajustement des aides publiques versées aux efforts financiers consentis par les agriculteurs pour réduire leurs impacts sur l’environnement ou par un changement d’approche permettant de mieux rémunérer le service environnemental rendu. »

Pour la Confédération Paysanne, le gouvernement et les agriculteurs doivent "se saisir de cette opportunité possible dans la prochaine PAC pour transformer leur pratiques".

Les écorégimes, pensés en remplacement de l'actuel paiement vert ouvert à tous qui a largement montré son inefficacité, doivent être conçus comme un signal et un encouragement aux changements de nos pratiques agricoles. »

Confédération Paysanne

Les consommateurs, acteur de la PAC ?

Ces négociations devraient aussi prendre en compte l’avis du consommateur. Sans oublier que des élections se profilent au printemps. C’est l’ambition des associations réunis sur la plateforme « Pour une autre PAC ». Ce collectif rappelle qu’un débat public vient d’avoir lieu avec, à la clé, 1083 propositions. Ce débat est une obligation européenne. Officiellement, le ministre de l’Agriculture se doit de répondre ce 7 avril aux propositions et elles devraient être prises en compte dans le Plan National Stratégique.

D’autres consultations doivent avoir lieu. Le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) devra aussi se prononcer sur le Plan Stratégique National, et le public sera de nouveau consulté. Quel poids auront ces avis face à des manifestations tonitruantes voir violentes d’agriculteurs en difficultés ? Le collectif « Pour une autre PAC » ne se fait guère d’illusion tant les échéances se rapprochent.

Ces délais très contraints qui nous permettent d’ores et déjà de douter de la capacité, tant de l’avis de l’autorité environnementale comme la consultation du public, à faire évoluer le PSN.

Collectif "Pour une autre PAC"

Il est prévu à peine un mois entre la nouvelle consultation du public et l’envoi du PSN à la Commission européenne à la fin du mois de juin.  

 

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