Dans un marché du transport de passagers par autocar lancé à pleine vitesse, les liaisons de moins de 100 kilomètres peinent à se développer, freinées par les régions, qui veulent créer une jurisprudence pour protéger leurs bus et leurs TER.
Une seule liaison en huit mois: entre août 2015 et fin mars, Dijon-Lons-le-Saunier a été le seul trajet de cette catégorie ouvert à la vente, selon l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer), le gendarme du secteur. D'autres lignes ont été ouvertes par la suite, mais le bilan du deuxième trimestre ne sera publié qu'en septembre.
Dans le même temps, les autocaristes ont créé 858 liaisons de plus de 100 kilomètres, grâce auxquelles ils ont déjà transporté près de 1,9 million de passagers et généré 21,5 millions d'euros de chiffre d'affaires. Ce retard à l'allumage sur les courtes distances a une cause simple: en dessous de 100 km, les liaisons par autocar sont régulées et peuvent donc être contestées.
A ce jour, sur 181 projets d'ouverture de lignes déclarés à l'Arafer, 62 ont fait l'objet d'une saisine et 46 autres sont encore susceptibles d'opposition. Les trois quarts des saisines émanent des régions, autorisées à défendre leurs trains express régionaux (TER) et lignes de bus en délégation de service public (DSP) en cas d'"atteinte substantielle à (leur) équilibre économique", rappelle l'Arafer. Mais sur 37 décisions rendues à ce stade, le gendarme du secteur a éconduit les régions à 27 reprises.
"On a parfois l'impression que l'idéologique a pris le dessus sur le pratique", estime Pierre Gourdain, directeur de la filiale française du groupe allemand Flixbus,
principal exploitant des liaisons de moins de 100 km avec 79 liaisons demandées, dont le fameux Dijon-Lons-le-Saunier -en fait un segment de sa ligne Paris-Genève. A la mi-juin, "moins d'une dizaine sont commercialisées", précise-t-il, assurant que ce "service complémentaire pour les passagers" n'était "pas de nature à inquiéter le business du TER".
Recours au Conseil d'Etat
"Ca permet d'avoir quelques passagers supplémentaires dans le car", mais "ça ne vient pas siphonner les clients et cannibaliser l'existant", confirme Sonia Arhainx,
directrice d'Isilines, filiale de Transdev. Le groupe a déclaré 37 liaisons, dont 17 entrées en service au printemps, mais s'est aussi abstenu "volontairement" sur 22 autres trajets, souligne-t-elle. Familier des collectivités locales, Transdev (détenu à parité par la Caisse des Dépôts et le groupe Veolia) exploite en effet des lignes de bus en DSP.
"On jauge le terrain avant de déposer une demande", explique-t-elle, ajoutant avoir "peu de conflits avec les régions sur ce sujet". Son concurrent Flixbus ne peut pas en dire autant: sa liaison Brive-Limoges, validée par l'Arafer, est attaquée devant le Conseil d'Etat par la nouvelle région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes. Cette procédure va "permettre de préciser ou de donner une jurisprudence", justifie Michel Neugnot, président de la commission "transports et mobilité" de l'Association des régions de France (ARF) et premier vice-président de Bourgogne-Franche-Comté.
En attendant de savoir si la plus haute juridiction administrative "cassera certains avis de l'Arafer" ou "s'il y a nécessité d'avoir un outil législatif permettant de faire évoluer les choses", M. Neugnot affirme qu'"il n'y a pas de concertation entre les régions sur le positionnement" vis-à-vis des liaisons courte distance par autocar. "On n'est pas a priori pour ou contre le +car Macron+", poursuit-il, tout en insistant sur la nécessité pour les régions de "ne pas perdre de recettes" sur les lignes de bus et de train qu'elles subventionnent.
Pour "objectiver le débat", l'Arafer a déjà prévu d'étudier le profil des clients de l'autocar, ce qui donnera une idée précise des parts de marché réellement prises au rail.