Un appel à bloquer les centres logistiques par des chauffeurs VTC et des livreurs Uber Eats a été lancé au niveau national. A Dijon, rencontre avec ces coursiers qui nous racontent les coulisses de leur quotidien.
La plateforme développe ses applications depuis de nombreuses années. Uber fait son entrée sur le marché français en 2011 en proposant à ses utilisateurs une solution de transport, souvent moins chère que les taxis traditionnels. La conduite made in Uber se décline pour tous les styles : UberX, Uber Berline, UberVan, UberGreen. A chaque utilisateur ses préférences. Le géant Uber est gourmand et se développe dans d’autres domaines que celui du transport. Uber Jump permet par exemple de louer des vélos urbains connectés. Uber Copter est quant à lui un service qui relie les quartiers sud de Manhattan à l’aéroport internaitonal John F. Kennedy, au moyen d’un hélicoptère.
Mais il y a aussi Uber Eats. Le principe est simple : vous téléchargez l’application, choisissez le plat qui vous intéresse dans un restaurant partenaire, vous le commandez et vous êtes livrés dans les minutes qui suivent.
Un nombre croissant de livreurs
Ils font désormais partie du paysage et vous les croisez tous les jours. A Dijon, Uber Eats s’est implanté il y a deux ans. La plateforme qui propose la livraison de vos repas à domicile compte aujourd’hui environ 300 coursiers dans la capitale des Ducs. Avec leurs sac-à-dos, leurs blousons verts et à vélo, ils arpentent les rues pour vous satisfaire. Mais avez-vous connaissance de leurs conditions de travail ?
Ce jour-là, nous avons essayé de recueillir le témoignage des coursiers qu’on a souvent croisé rue de la Libération à Dijon, ou près de la place de la République. Les coursiers s’y retrouvent en attendant que « ça sonne » sur leur application. Les lieux sont stratégiques puisque c’est là que sont regroupés les plus grosses enseignes où sont passées les commandes : burgers, tacos, et autres kebabs.
Trois livreurs d’Uber Eats attendent donc près de leur vélo. Mais ils refusent de témoigner à visage découvert, ni même qu’on enregistre leur voix. Selon ces conditions, Okubay répond à nos questions. Il a 34 ans et est livreur pour la plateforme depuis un an environ. « J’avais besoin de revenus complémentaires. » Mais sa rémunération n’est pas fixe. Entre 500 et 700 € par mois environ.
Il peut travailler jusqu’à 14h ou 15h pour le service du déjeuner, entre 18h et 21h30 pour le dîner.
« Est-ce que les clients vous traitent bien ? » Le « oui » est hésitant et Okubay cherche le soutien de ses deux collègues. L’application permet aux clients de donner des pourboires aux livreurs une fois la commande reçue. « Mais c’est rare. Et quand ils nous en donnent, c’est pas plus de 1 € ».
On insistera pas plus. On sent que les livreurs ne sont pas rassurés.
Plus loin, il y a Rémy. Il est 12h et depuis 10h du matin, il distribue des coupons aux passants. Des coupons qui offrent 10 € de réduction aux utilisateurs de l’application. Lisez bien les petites lignes, les codes promo ne sont utilisables qu’à partir de 18h et sur une période limitée.
Il a aussi la veste aux couleurs d’Uber, et son vélo pas loin. « Moi j’ai choisi d’être coursier parce qu’on est indépendant. On a pas de patron. » Visiblement, ils sont nombreux les coursiers à avoir choisi ce travail pour pouvoir travailler quand ils le veulent. Mais tout n’est pas si simple. Et contrairement à ce que Rémy peut dire, il a bien un patron… qui a des yeux partout. Le livreur est syndiqué et donc protégé. Il n’a aucun mal à se confier à nous.
« Ca ressemble à quoi ton quotidien ? »
« Ca sonne, je livre. » Une journée rythmée donc par des notifications, des ordres de livraison, le téléphone suspendu au bras... à moins que ce ne soit l'inverse.
Environ 200 heures par mois, Rémy livre des repas à domicile. Pour 1 000€. « On travaille la journée, la nuit, sous la pluie, sous la neige. » Tout le temps quoi. Uber Eats promet des « bonus » à ses livreurs qui travaillent dans des conditions difficiles. Lorsque nous rencontrons Rémy, il pleut. « Mais pas assez pour avoir la prime » nous confie-t-il. Sa journée démarre aux alentours de 9 heures et termine vers 1 ou 2 heures du matin.
Je suis très fatigué à la fin de la journée. Mais c’est comme ça. Les courses sont mal payées donc on est obligé de faire beaucoup d’heures.
Parfois, La plateforme est ouverte plus tard. Les vendredis et samedis, les livraisons peuvent se faire jusqu’à 4 heures du matin. « Le pic de commandes c’est le jeudi soir, avec les soirées étudiantes. » A Dijon, Uber Eats est la première application sur la livraison de repas à domicile. Loin d’être saturé, le marché accueille aussi Deliveroo, Stuart et Just Eat.
Mais il n’y a pas de concurrence entre les différentes plateformes selon Rémy. « Et entre vous, coursiers de la même boutique ? » Non plus. A Dijon, les livreurs Uber Eats se retrouvent souvent pour discuter et boire un café en attendant que les commandes arrivent. Lorsqu’ils se croisent, ils se saluent et n’hésitent pas à aider leurs collègues en difficulté. « On a besoin de ça parce que c’est un travail compliqué. Et les clients ne s’en rendent pas compte. »
Des livreurs notés et insultés
On demande aussi à Rémy si les clients le traitent bien… « Non, ils nous traitent mal. » Les utilisateurs de l’application ont la possibilité de laisser des notes à leurs livreurs. Selon Rémy, ils n’hésitent pas à mettre de mauvaises notes s’ils reçoivent leurs commandes avec 2 ou 3 minutes de retard. Parfois même, les coursiers sont insultés.Mais la note négative a des conséquences sur le coursier. « Si on a pas de bons pourcentages, on peut être viré du jour au lendemain. » Le bon pourcentage pour ne pas être viré, c’est 90 %. Entre la fiction et la réalité, il ne semble n’y avoir qu’un pas.
Uber Eats demande à ses livreurs de délivrer les commandes en 35 minutes maximum, sous peine de pénalités. Évidemment, celui qui livre rapidement la commande peut avoir des points en plus. « Ça peut aller jusqu’à 100. Tous les mois, les compteurs sont remis à zéro. » Où est l’indépendance promise par l’employeur ?
En janvier 2020, Uber Eats a installé une fonctionnalité de reconnaissance faciale auprès de ses livreurs. Un moyen de vérifier que c’est le bon utilisateur du compte qui livre les commandes car il y a déjà eu de nombreuses dérives. Aujourd’hui, la plateforme est frileuse quant au recrutement d’étudiants. Rémy nous confie qu’il est déjà arrivé que des étudiants louent leur compte à quiconque cherchant à travailler, mais sans être déclaré. Les étudiants récupéraient une commission de 20 à 40 % sur les commandes effectuées, alors qu’ils restaient chez eux. Un moyen pour le locataire du compte de ne pas payer les charges liées au statut d’auto-entrepreneur, nécessaire pour pouvoir s’inscrire sur Uber Eats et surtout, y travailler. La reconnaissance faciale survient de façon aléatoire et inopinée, pour éviter que ce phénomène de location ne se reproduise.
Rémy a choisi d’être livreur pour Uber Eats parce qu’il n’avait pas de travail. Mais aujourd’hui, les courses ne lui suffisent pas. Il a donc décidé de distribuer des coupons promo pour la plateforme.
Uber Eats vend un contrat de campagne à un auto-entrepreneur, désigné comme le manager, qui lui, doit trouver des prestataires pour vendre les publicités. Le contrat est établi sur trois mois.
En trois heures, 360 coupons doivent être distribués. Si le nombre n’est pas atteint, Rémy n’est pas payé. Le manager qui le missionne non plus.
A chaque mission, Rémy doit prendre des photos de son colis de coupons à distribuer, sur lequel est inscrit un code de mission. A la fin de la mission, c’est-à-dire au bout de trois heures, Uber Eats demande combien de coupons il reste.
Pour trois heures de distribution, Rémy gagne 31 €. Pour chaque code qui sera utilisé au moment du paiement par le client sur l’application, Rémy gagnera 1 € supplémentaire.
Comme pour la livraison de repas, la distribution de publicités est surveillée. Rémy a par exemple une autre application mobile qui le géolocalise. « Elle dit en détails où est-ce qu’on est. »
A Dijon, une vingtaine de coursiers sont syndiqués
Face aux nombreuses revendications pour de meilleures conditions de travail des coursiers, la CGT a créé le SCUUD : Syndicat CGT des Coursiers Unis Dijonnais. Un moyen pour les coursiers de porter une seule et même voix dans un contexte social difficile. En 2019, les livreurs de différentes plateformes ont déjà manifesté, en cessant notamment leur activité pendant quelques heures.