Le 29 octobre 2015, Henrique Vannier, bâtonnier du tribunal de Melun, est victime d'une tentative de meurtre par un confrère avocat. Originaire de Lons-le-Saunier (Jura) il raconte son histoire dans Le Candidat idéal, un livre écrit par l'ancienne chroniqueuse judiciaire Ondine Millot.
Pour Joseph Scipilliti, il était "le candidat idéal". Celui qu’il fallait tuer pour mettre fin à la souffrance et au sentiment de haine envers le système judiciaire qui grandissaient en lui depuis des années. Le 29 octobre 2015, cet avocat de 63 ans, tire à trois reprises sur le bâtonnier du tribunal de Melun (Seine-et-Marne), Henrique Vannier (44 ans) avant de retourner l’arme contre lui et de mettre fin à ses jours.
Dans le livre, Le Candidat Idéal, écrit par l’ancienne journaliste de Libération Ondine Millot, la victime, originaire de Lons-le-Saunier (Jura) et ayant suivi ses études de droit puis d’avocat à Besançon (Doubs) et Dijon (Côte-d’Or) raconte cet épisode qui a marqué sa vie. Mais le récit s’attarde aussi sur l’auteur des faits, pour tenter de comprendre ce qui pousse un homme de loi à passer à l’acte. Une histoire douloureuse qui raconte une partie de la justice française et plonge dans les profondeurs de l’âme humaine.
"Il pointe son arme à 30 centimètres de mon cœur et me dit 'tu ne bouges pas’"
"J’ai tous les souvenirs en tête". Quand il raconte ce 29 octobre 2015 et les 8 minutes durant lesquelles il a imaginé sa vie se terminer, Henrique Vannier se montre calme et posé, même si quelques trémolos dans sa voix trahissent son émotion. Au début d’une journée intense, le bâtonnier Vannier accepte un rendez-vous avec Joseph Scipilliti, un avocat de 63 ans interdit d’exercer pour trois ans. L’homme est au bord du gouffre financier et menacé d’une expulsion de domicile. "Des tensions existent entre lui et moi depuis de nombreux mois. Je l’ai fait poursuivre disciplinairement et sanctionner quelques mois auparavant".
Après s’être installé à son bureau et avoir regardé son téléphone, Henrique Vannier aperçoit Joseph Scipilliti pointer un Beretta à 30 centimètres de son cœur. "Il me dit ‘tu ne bouges pas !’ À ce moment-là, je prends ce que j’ai sous la main pour détourner l’arme. Le premier coup part, ça me traverse la cage thoracique et je me retrouve plaqué au sol".
Pour moi, les secondes et les minutes sont les dernières de ma vie. Je suis face à une mort imminente. J’ai l’impression que ce sont les derniers instants de ma vie
Au sol, Henrique Vannier reçoit une deuxième balle qui lui traverse le bras gauche, lui sectionne une artère et termine dans sa gorge, puis une troisième qui ressort dans sa cage thoracique. Le bâtonnier tente alors de dialoguer avec son agresseur. Il lui parle de ses deux enfants. "C’est peut-être ce qui l’a fait changer d’attitude et de regard. Il me dit qu’il me laisse en vie et il passe à la deuxième étape". La deuxième étape, c’est la préparation de son suicide. Au bout de 8 minutes d’enfer dans le bureau du bâtonnier Vannier, Joseph Scipilliti retourne l’arme contre lui-même et met fin à ses jours.
Un intérêt porté à l’auteur des faits
Ce jeudi 29 octobre 2015, Ondine Millot, chroniqueuse judiciaire à Libération, est présente au tribunal de Melun pour couvrir le procès des parents de la petite Inaya, accusés d’avoir tué leur enfant de 20 mois. Alors qu’elle attend dans la salle des pas perdus, la journaliste apprend qu’un avocat de 63 ans a tiré sur le bâtonnier avant de se suicider. Sa rédaction lui demande de travailler sur ce sujet.
Quelques semaines plus tard, elle rencontre Henrique Vannier dans le but de réaliser son portrait pour la dernière page de Libération. En plein contexte des attentats du 13 novembre 2015, le papier ne sortira jamais. De cette frustration naît l’envie d’écrire Le Candidat Idéal, publié le 15 septembre dernier.
Je ne veux pas écrire la biographie du bâtonnier Vannier. Je trouve ça impensable d’expliquer la violence par le parcours de la victime. Il faut se tourner vers l’auteur. La détresse, le parcours de Joseph Scipilliti expliquent tout ça
L’auteure veut raconter l'histoire d'Henrique Vannier, mais aussi celle de Joseph Scipilliti, sans parti-pris, avec la seule volonté de comprendre ce geste fou. "Je voulais essayer de comprendre les deux. Je ne suis pas partie pour diaboliser l’agresseur. Si on veut savoir comment il a développé ce rapport de rancune au monde, il faut se rapprocher de lui".
L’ancienne chroniqueuse judiciaire rencontre la famille ainsi que les proches de Joseph Scipilliti et met le doigt sur les tourments de l’avocat. "Il a un parcours avec de grandes fragilités dès la petite enfance. Tout de suite, il se voit contre le reste du monde. Il est très vite rebelle, avec une personnalité à fleur de peau. C’est un personnage vraiment attachant mais en même temps qui a toujours été à part".
Deux hommes aux origines communes
À travers son récit, Ondine Millot raconte aussi les points communs entre le bâtonnier Vannier et son agresseur. "C’est le seul intellectuel dans une famille de maçons, comme Henrique Vannier. Il a reconnu en lui une sorte de double. Leurs parcours sont similaires. La vocation est venue très tôt. Ils avaient l’impression d’une injustice, d’une société qui donne plus à ceux qui ont déjà et moins à ceux qui n’ont pas. Ils ont fait leurs études de droit sans un sous. Ils voulaient devenir avocats pour rendre la justice plus juste".
Les amis de Joseph Scipilliti disent qu’Henrique Vannier est l’homme qu’il aurait dû devenir. Ceux qui sont plus durs et qui lui en veulent disent que c’est l’homme qu’il aurait voulu être
Mais Joseph Scipilliti transforme sa soif de revanche en sentiment de haine envers le système. Avocat solitaire et vindicatif, il défendra durant sa carrière Riposte laïque, un site d’extrême droite. "Joseph Scipilliti va s’enfermer dans un statut de victime et se focaliser sur ce qui est injuste. Il s’enferme dans quelque chose de très noir", confie Ondine Millot.
C’est ici la différence majeure entre les deux hommes de loi. Deux faces d’une même pièce, Joseph Scipilliti mue son ambition en révolte, Henrique Vannier garde lui intacte sa foi en la justice. "Ses opinions ne concernent que lui. Ce n’est pas mon avis à moi. La justice française fait ce qu’elle peut. Je n’adhère pas à ce que j’ai pu entendre dire de sa part", lance l’ancien bâtonnier.
Un livre pour se reconstruire
Véritable miraculé, Henrique Vannier fera la preuve de sa force de caractère dans sa rédemption. Le Jurassien met 3 ans à se remettre moralement. "On s’est vu sur une très longue période. J’ai vu un homme qui n’allait pas bien, qui avait des pensées vraiment noires. Puis après, je l’ai vu aller mieux. Je l’ai vraiment vu se relever", raconte Ondine Millot.
D’abord dans le déni, l’homme de loi tombe ensuite dans la dépression avant de remonter la pente. "Quand il vous arrive quelque-chose d’aussi grave, vous vous posez la question de savoir si vous êtes à l’origine de ce qui vous est arrivé. Est-ce que j’avais eu les bonnes attitudes, les bons choix vis-à-vis de cette personne ?"
J’ai connu la mort imminente. J’ai plutôt tendance à voir les choses du bon côté. Je suis ressorti plus fort de tout ça
La thérapie, le soutien de sa famille mais aussi le récit de son histoire à Ondine Millot l’aident à se reconstruire. "La parole me réconforte. C’est mettre de plus en plus de distance, tourner une page. J’ai beaucoup travaillé sur cet aspect".
Depuis cet évènement, Henrique Vannier a même repris ses activités d’avocat. Mais stigmate de ce traumatisme, il n’arrive plus à plaider au barreau. "Je ne peux plus aller dans un palais de justice, je me sens moins bien à l’endroit où j’ai failli perdre la vie. Je réalise un travail de réception et de suivi de dossiers de clients et un associé les plaide", décrit celui qui gardera aussi des séquelles physiques à vie mais qui affirme ne ressentir plus aucune haine.
Dans le cadre de la promotion du livre Le Candidat idéal, Henrique Vannier retournera ce samedi 16 octobre dans sa ville de naissance, Lons-le-Saunier, en compagnie d’Ondine Millot pour une séance de dédicaces à la librairie Guivelle.