À cause des sécheresses à répétition, de plus en plus de propriétaires voient leurs domiciles se fissurer. Et pour beaucoup, se faire indemniser est un véritable chemin de croix. Illustration à Pouilly-en-Auxois, en Côte-d'Or.
De loin, cachée derrière une haie, la maison a tout du pavillon d'une tranquille bourgade du sud-ouest de la Côte-d'Or. Mais lorsqu'on s'avance dans l'allée, elles sautent aux yeux : ces fissures sinueuses, qui balafrent la façade du garage. "On les a identifiées pour la première fois en 2018", explique Manuel Stéphan, le propriétaire de cette maison située à Pouilly-en-Auxois. "En 2019, ça a à nouveau gonflé et retravaillé. Et maintenant, en 2022, on a vraiment un écartement de plusieurs centimètres."
À l'origine de ces dégâts, le phénomène de "retrait-gonflement des argiles". En cas de sécheresse, les terrains argileux ont tendance à se rétracter puis, quand l'humidité revient, à gonfler à nouveau. Conséquence, les fondations, qui subissent cet incessant ballet, finissent par se fracturer et casser. Un phénomène qui afflige de plus en plus de propriétaires en France.
Un calvaire pour être indemnisé
Face à des dommages d'une telle importance, la facture pour les réparations peut rapidement exploser. "On est à 112 000 euros pour réparer les dégâts, et c'est uniquement pour le garage", précise Manuel Stéphan. Problème : pour qu'une indemnisation soit possible, un arrêté de catastrophe naturelle doit être pris par la préfecture. "Il a fallu attendre presque une année pour que cet arrêté passe", déplore le propriétaire.
Mais une fois le sinistre reconnu, la procédure est loin d'être terminée. Un expert de la compagnie d'assurance doit encore constater les dégâts. Sauf que dans bon nombre de cas, les rapports d'expertise aboutissent sur un refus d'indemnisation de la part de l'assureur. "Souvent, l'expert d'assurance essaie de trouver des causes autres que la sécheresse. Par exemple, la végétation, le drainage, la structure...", juge Yves Moalic, référent en Côte-d'Or de l'association "Les oubliés de la canicule", qui accompagne des sinistrés dans le département.
Très souvent, lors de la première expertise, il y a un refus. Et là, ça met les sinistrés dans une situation de détresse.
Yves Moalic, référent en Côte-d'Or de l'association "Les oubliés de la canicule"
Résultat, les sinistrés sont bien souvent contraints de faire appel à des experts indépendants... là encore, à leurs frais. "On a engagé 1 500 euros pour avoir un deuxième avis", indique Manuel Stéphan. "Peut-être qu'il sera contradictoire et nous permettra de prétendre à une indemnisation... ce qui nous éviterait un énorme surcoût." En moyenne, il faut actuellement compter cinq à six ans pour obtenir des réparations pérennes en Côte-d'Or.
Un phénomène de plus en plus fréquent ?
En Côte-d'Or, "Les oubliés de la canicule" suit pour l'heure 170 dossiers. "Mais nous savons qu'il y en a bien plus que ça", affirme Yves Moalic. "Il y a tous ceux que les gens ont renoncé à traiter, ou qu'ils ont décidé de traiter seuls... On pense qu'on peut multiplier le chiffre par trois."
Fin 2021, à l'occasion de la COP26 à Glasgow (Écosse), le syndicat France Assureurs a estimé à près de 14 milliards d'euros les coûts engendrés par les dégâts dus aux sécheresses entre 1989 et 2019. Pire, ce chiffre pourrait atteindre 43 milliards pour la période 2020-2050, selon les premières projections.
Une étude gouvernementale estime quant à elle que 48% des sols métropolitains sont concernés par une "exposition forte ou moyenne" au retrait-gonflement des argiles. Au total, 10,4 millions de maisons individuelles sont bâties sur ces terrains.