Procès de la fusillade de Beaune : "Les images de ces gamins gisant dans le sang vont les marquer à jamais"

Ce mercredi 22 novembre 2023, au cinquième jour du procès de la fusillade de Beaune, le parquet retient la préméditation et la circonstance aggravante de racisme pour les faits du 30 juillet 2018. Les avocats des parties civiles et de la défense ont plaidé.

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Le cinquième et avant-dernier jour du procès de la fusillade de Beaune a été marqué par les plaidoiries des nombreux avocats présents à la cour d'assises de la Côte-d'Or. Les avocats des parties civiles ont plaidé et le parquet a donné ses réquisitions. La journée s'est clôturée par les plaidoiries des avocates de la défense.

 Le contexte : Dans la nuit du 29 au 30 juillet 2018, deux hommes s'en sont pris à une quinzaine de jeunes qui se trouvaient au milieu du quartier Saint-Jacques, au sud de Beaune. Ils sont accusés d'avoir tiré avec une arme à feu sur ces personnes et d'avoir proféré des insultes racistes. 

S'ils reconnaissent leur présence à Beaune ce soir-là, les accusés nient avoir voulu donner la mort à ces jeunes et d'avoir prononcé ces insultes racistes. Le procès tourne autour de ces deux points.

19h05 : Marine Berthelon pointe que l'avocat général n'a pas demandé de soins pour son client. "Le but, c'est d'éviter la récidive. Vous ne voulez pas être tiré au sort dans dix ans avec monsieur B. à nouveau devant vous. Je vous demanderai bien évidemment de réduire la partie ferme compte tenue de cette altération du discernement dont le ministère public fait fi, mais aussi d'envisager des soins."

On ne juge pas des faits. On juge des hommes. Je pense que le moment qu'on a vécu avec sa mère hier, c'est un vrai moment d'humanité. Ce qui m'intéresse, c'est votre vécu à vous. Vous allez juger Loïc B. mais est-ce que vous avez été frappé dans votre enfance par votre mère ? Est-ce que vous avez vécu avec un père alcoolique qui frappe votre mère. Est-ce que vous avez vécu dans une voiture alors que vous avez onze ans ? Est-ce qu'à cet âge vous avez failli subir une agression sexuelle ?

Marine Berthelon

Avocate de Loïc B.

Pendant que son avocate remonte le fil de la vie de Loïc B., ce dernier écoute, le menton dans sa main. "Est-ce que vous avez vécu tout ça ? Je ne pense pas", conclut Marine Berthelon. L'audience reprendra demain à 9h30.

18h45 : "Il n'y a pas de mobile raciste, il faut qu'on arrête avec ça", martèle l'avocate.

Première scène, il y a des violences, bien sûr. La deuxième scène, pour moi ce n'est pas une tentative d'assassinat. Tout ça sur fond de quoi ? De racisme ? C'et ça qui nous intéresse. Le juge d'instruction dit que c'est le contexte des faits qui a conduit à tout ça mais certainement pas que c'est la motivation de ces deux-là.

Marine Berthelon

Avocate de Loïc B.

"Faire la liste des parties civiles (comme l'ont fait les avocats des parties civiles ce matin, ndlr.), ça ne suffit pas. Les propos ne sont pas identiques et surtout, ils n'ont pas été tenus au même moment", note Marine Berthelon.

Marine Berthelon dénonce les réquisitions du parquet

A la cour, l'avocate de Loïc B. revient sur les réquisitions du ministère public en le citant. "'Je ne fais pas de différence entre l'étincelle et le bras armé'. Pourtant, ils n'ont pas la même histoire, ni le même rôle. On vous demande de prononcer une peine qui est, je trouve, relativement importante. Il n'y a pas eu de mort, par chance. Seules deux cartouches ont été tirées à distance par un homme qui n'a pas visé la tête avec un calibre important."

18h20 : Au bout d'une heure de plaidoirie, Marine Berthelon revient sur les faits. "Je suis désolé mais ce n'est pas normal de brancher une console de jeu sur l'éclairage public. On est dans ce contexte. Il y a cette voiture qui se perd. Oui, monsieur K. connait Beaune mais il ne serait pas allé dans cet endroit avec cette voiture pourrie."

Sur les deuxièmes faits : "Est-ce qu'on a voulu tuer ou pas ? C'est ça qui m'intéresse", poursuit l'avocate qui pointe des manquements dans les rapports des experts. Elle rappelle que le parquet n'a pas retenu, dans un premier temps, l'intention d'homicide. "Ça en fait des professionnels qui se plantent...", ironise-t-elle.

On n'est qu'avec deux tirs, une seule arme qui n'est pas forcément létale, avec des zones visées qui nétaient pas forcément létales non plus. Avec tout ça, on ne peut pas retenir l'intention d'homicide. Nous sommes sur des violences, aggravées certes.

Marine Berthelon

Avocate de Loïc B.

Tout comme sa consoeur Ornella Spatafora, elle ne peut nier qu'il y a eu une préméditation de l'acte, sans pour autant qu'il y ait une intention d'homicide.

18h05 : Sur les propos racistes, l'avocate note que les témoins et victimes ne donnent pas tous la même version. "Parfois c'est 'sales Arabes', ou alors 'sales bougnoules', ou 'vous êtes pas chez vous'... Ce n'est pas ça la justice. C'est dire qu'untel a dit ça à tel ou tel moment. Ce n'est pas que les victimes ont échangé entre elles. Forcément, ils ont tous pris contact entre eux. Et c'est normal, je ne leur en tiens pas rigueur."

"En tout cas, ce fameux mobile raciste et cette fameuse intention de tuer ont été reglés par plusieurs professionnels du droit. Ça a été correctionnalisé et la caractère raciste n'a pas été retenu. Et ça, on n'en parle pas", ajoute Marine Berthelon d'un ton toujours très ferme. Pour rappel, les jurés n'ont pas accès au dossier.

17h50 : Marine Berthelon rappelle qu'une fusillade avait eu lieu en juin dans un autre quartier de Beaune. "Qu'on ne vienne pas me dire que messieurs B. et K. avaient face à eux des blanches colombes, permettez-moi d'en douter", lâche-t-elle.

Toute cette atmosphère est importante. Les tensions, la peur, ça ne se déduit pas de l'atmosphère et ça ne vous pousse pas à commettre des faits que vous n'auriez pas commis si vous aviez été dans une autre atmosphère ?

Marine Berthelon

Avocate de Loïc B.

17h25 : "On vous ment ouvertement du côté des parties civiles. J'ai entendu un de mes confrères affirmer qu'une des victimes avait pris des balles. Ce ne sont pas des balles. Il s'agit de plombs. J'ai entendu que les tirs avaient été faits à bout pourtant. Là encore ça me dérange", énumère Marine Berthelon.

Pour l'avocate, le quartier Saint-Jacques de Beaune est un quartier "sensible". Elle revient sur la première scène, quand Loïc B. a signifié à William B. qu'il est "partout chez lui". Après quoi l'homme a adressé un coup de poing à Loïc B., alors passager.

Avec cette première scène de violence, où ils sont encerclés par une quinzaine de personnes, oui on a peur je pense. Bien sûr que mon client est victime de violence. Il ne faut pas le dire parce qu'il est dans le box des accusés ? Sans cet épisode de violence, il ne se serait rien passé.

Marine Berthelon

Avocate de Loïc B.

Pour l'avocate, les "zones de non-droit" dont parle Loïc B. est une réalité, "même à Beaune, même à Dijon". "Il y a une loi du quartier. Chaque voiture qu'on ne connaît pas est contrôlée. T’es qui ? Tu fais quoi ? Tu veux un truc ? Si non, tu dégages", lance-t-elle, faisant sourire jaune les victimes présentes dans la salle d'audience.

17h10 : Maître Berthelon prend la parole. "Dans cette affaire, j'ai la sensation qu'on est passé d'une tragédie à une comédie. Cette fusillade est tragique et personne ne mérite ça. Les parties civiles ont souffert, souffrent et vont certainement encore souffrir. Mais je dis 'comédie' car depuis le début, tout est bancal. On vous ment, on ne dit pas les choses, il n'y a pas de transparence. On vous prend pour des pantins", lance-t-elle au jury.

"Depuis le début, on vous fait croire ce qu'on veut"

D'une voix ferme, l'avocate apprend à la cour que Loïc B. a été roué de coups cet été à la maison d'arrêt de Dijon par une dizaine de personnes qui l'auraient fait "pour leurs frères de Beaune". Après quoi il a été transféré à Châteauroux. "Tout ça c'est de la comédie. Depuis le début, on vous fait croire ce qu'on veut. Et ça, ça me dérange."

16h55 : L'audience est suspendue et reprendra avec la plaidoirie de Marine Berthelon, avocate de Loïc B.

16h45 : Ornella Spatafora revient à présent sur l'homme qu'est Jean-Philippe K. "Vous ne jugez pas qu'un homme mais aussi une personnalité qui a été construite. On peut toujours fonctionner en disant 'Il a 24 mentions dans son casier, il ne comprend pas'. Mais c'est un petit peu plus compliqué que ça quand on sait la vie qu'il a connue. Son père a été aux abonnés absents et il a perdu sa mère à 11 ans. Son seul repère, c'est son beau-père qui ne donne pas l'exemple en buvant et en commettant des violences."

L'avocate vante les efforts de son client, qui comparait détenu pour une autre affaire. "J'aurais aimé qu'il ne soit pas sous escorte aujourd'hui", lâche-t-elle. "Mais avant ça, il y avait une stabilité professionnelle. Mais il y a eu ces violences entre-temps sur une personne présente dans cette salle aujourd'hui. Cela veut dire quelque chose."

16h35 : Au sujet de la deuxième scène, l'avocate assume ne pas pouvoir discuter la question de la préméditation. "Il y a un laps de temps entre les deux scènes, un autre véhicule est emprunté, ils changent de vêtements pour ne pas être reconnus", reconnaît-elle.

Quant à l'intention de tuer, elle doit mériter pour l'avocate une discussion juridique. "Il a été dit que si on revient sur une scène avec une arme, c'est pour tuer. On a quand même bon nombre de dossiers qui sont correctionnalisés, où des armes sont pourtant utilisées. Je pense à des règlements de compte à Besançon, où ça tirait tous les jours", cite Ornella Spatafora.

C'est un véritable raccourci de dire que s'ils avaient une arme, ils avaient l'intention de tuer. Entre des violences et l'intention d'homicide, il y a un monde.

Ornella Spatafora

Avocate de Jean-Philippe K.

16h25 : "Imaginez-vous arriver dans un quartier sans animosité et on vous demande de partir. Après un coup de poing et de bombe lacrymogène, une quinzaine de personnes se retrouve autour de la voiture. Mon client, qui était au volant, a paniqué. S'il avait voulu percuter des gens, il y serait allé tout droit", continue Ornella Spatafora.

Ce que je regrette, c'est qu'on est dans la spéculation. On a eu un policier à la barre qui était incapable de dire par où le véhicule était reparti. On ne peut toujours pas affirmer par où Jean-Philippe K. est reparti.

Ornella Spatafora

Avocate de Jean-Philippe K.

Avant de revenir sur les seconds faits, Ornella Spatafora assure que son client n'a pas eu l'intention de renverser les personnes autour du véhicule lors de la première scène.

16h05 : L'audience reprend avec la plaidoirie d'Ornella Spatafora, avocate de Jean-Philippe K. Le conseil revient sur la première scène, celle qui a eu lieu à 1h15 du matin le 30 juillet 2018 à Beaune. Elle explique aux jurés que "les propos racistes qui auraient été prononcés l'auraient été a posteriori, une fois que le véhicule est parti"

"C'est comme si je me battais dans la rue avec quelqu'un et qu'après il me traite de 'sale ritale'. À la base, le contentieux n'est pas lié au fait que je sois une sale ritale mais parce que mon comportement n'a pas été approprié", vulgarise-t-elle.

"On ne peut pas dire qu'on est dans le quartier de monsieur et madame tout-le-monde"

"On ne peut pas me dire qu'on est dans un quartier paisible où il ne se passe rien. On ne peut pas idéaliser les choses et dire qu'on est dans le quartier de monsieur et madame tout-le-monde. Si j'ai demandé les casiers, c'était pour démontrer la dynamique qu'on peut avoir quand un véhicule suspect entre dans notre quartier", continue l'avocate en réponse à Pierre-Henry Billard, qui avait plaidé dans la matinée.

15h45 : Pour conclure, Philippe Chassaigne donne ses réquisitions. Il demande que les accusés soient condamnés à des peines qui ne soient pas inférieures à douze ans de réclusion criminelle ainsi qu'à des interdictions de détention d'une arme pendant dix ans et une interdiction des droits civils et de famille pendant dix ans. "Il n'y a pas lieu de distinguer les deux accusés. Faut-il faire une différence entre l'étincelle et le bras armé ?"

15h30 : Philippe Chassaigne poursuit son réquisitoire. Il explique qu'un fusil de chasse n'est pas lié au hasard. "C'est une arme létale, c'est-à-dire qu'elle peut donner la mort."

L'avocat général revient sur les nombreuses condamnations des deux accusés et sur leurs parcours de vie chaotiques. "Une enfance malheureuse certes. Mais était-ce à ces victimes, criblées de plombs, d'en faire les frais ?", demande-t-il au sujet de Loïc B.

Pendant que Philippe Chassaigne revient sur les conclusions des experts psychiatres, Loïc B. reste immobile dans le box des accusés. "À ceux qui voudraient nous faire croire que Loïc B. s'est calmé, que la page est tournée et qu'il est sur le chemin lumineux de la réinsertion, je constate que deux récentes constatations prononcées en 2023 leur apportent un sérieux démenti."

14h55 : L'avocat général cite les différentes dépositions des victimes et des témoins qui ont entendu des insultes racistes comme "Bande de bougnoules, on va revenir calibrés !" Pour lui, ces insultes ont été proférées. "Se défendre de l'inverse me paraît mission impossible. Le racisme a été le facilitateur des violences."

Pour la première scène, il demande aux jurés de retenir la circonstance aggravante du racisme.

"Trois heures se passent. Trois heures se passent et me voici à la deuxième scène", continue l'avocat général. 

Le fait de tirer à plusieurs reprises et de faire mouche à sept reprises démontre une constance, un acharnement, une volonté de tuer. Il s'agissait de tirs tendus. Les victimes n'ont pas été touchées par des balles perdues. Les dossiers de chaises criblés de plomb montrent qu'il s'agit de tirs à hauteur d'homme.

Philippe Chassaigne

Avocat général

L'avocat général revient ensuite sur les différentes versions de Jean-Philippe K. tout au long de l'instruction. L'homme a-t-il tiré ? D'abord non, puis oui. D'abord trois fois, puis une. D'abord il y avait une arme, puis en fait deux. "Je vous pose une question monsieur K. Quand vous croire ? Quand dites-vous la vérité ? Autant de dates, autant de versions différentes."

Philippe Chassaigne se dit "convaincu que c'est Jean-Philippe K. et lui seul qui a tiré les coups de feu". Pour autant, il désigne Loïc B. comme coauteur de ces faits.

Les actes qu'il a commis sont intrinsèques de l'action principale. Sans fusil chargé par Loïc B., pas de tir possible. Loïc B., c'est celui qui tient le volant, qui emmène Jean-Philippe K. sur les lieux, qui prend le soin de récupérer les étuis au sol. Il est parfaitement associé à l'action en toute connaissance de cause, fidèle à sa promesse : "On va revenir calibrés".

Philippe Chassaigne

Avocat général

14h45 : L'audience reprend avec le réquisitoire de l'avocat général Philippe Chassaigne. "On va revenir calibrés!", hurle-t-il dans ses premiers mots en citant les propos de Loïc B., prononcé après la première scène à Beaune. "Tout est dit dans cette phrase, elle assied la préméditation."

"L'irruption trois heures plus tard d'une Mercredes classe B avec les mêmes B. et K. ne doit rien au hasard. C'est le mûrissement d'une vengeance, la maturation d'un projet destiné à opérer des représailles après l'humiliation de la première scène", continue l'avocat général. 

Cette phrase montre également l'intention d'homicide, la volonté de tuer. C'est un élément constitutif du crime qu'on ne peut pas gommer en répétant 'Non, non je ne voulais pas tuer', alors qu'on tire des multiples coups de feu dans des directions précises et que ces coups de feu atteignent ces cibles à sept reprises.

Philippe Chassaigne

Avocat général

Philippe Chassaigne demande à la cour qu'elle désigne Loïc B. et Jean-Philippe K. coupables des violences commises lors de la première scène. "Il n'est pas contestable que ces violences ont été commises par les deux accusés, l'un avec une bombe lacrymogène, l'autre avec le véhicule."

13h20 : L'audience est suspendue. Elle reprendra à 14h30 avec les réquisitions du parquet.

13h15 : "On a essayé de parasiter votre réflexion en tentant d'obtenir les casiers judiciaires des victimes. On s'est opposé à ça. Je n'avais rien à cacher de mes clients, pareil pour maître Billard. Ce à quoi on s'opposait, c'était l'objectif poursuivi par la défense. On l'a bien compris ! Ces messieurs et leurs avocats ont une stratégie", explique-t-il aux jurés.

"La défense a agité des clichés"

"L’objectif, c'était de vous donner envie de donner crédit à l'hypothèse sortie du chapeau de monsieur K. du fameux 'four' de Chicago-Beaune mais surtout pour vous donner envie de les excuser. Parce qu'ils s'en sont pris à des voyous. À des voyous arabes. C'est ça l'objectif. La défense a agité des clichés pour parasiter votre réflexion", poursuit maître Estève. 

Ce ne sont pas des victimes de seconde zone, ce sont des vraies victimes qui ont besoin de réparation. Par miracle, ils s'en sont sortis mais avec pour certains encore des dizaines de plombs dans leur chair, ce qui n'aide pas évidemment à tourner la page.

Samuel Estève

Avocat des parties civiles

12h55 : L'audience reprend avec la plaidoirie de Samuel Estève, avocat de 10 victimes. Il revient sur la deuxième scène, celle pendant laquelle des coups ont été tirés. "Vous êtes mal construits et ce n'est pas de votre faute", lance-t-il d'emblée aux deux accusés.

Les gens bien construits, qui ont reçu l'éducation et l'amour qu'il fallait recevoir, à supposer qu'ils se trouvent dans une scène comme la première, ils ne reviennent pas. On se calme, on se dit que c'est bon. Eux non ! Ils s'excitent mutuellement, à se demander que faire. Ils ont envie de réparer cette humiliation, c'est là que naît l'envie de tuer. Le fait qu'on y pense, qu'on échafaude, c'est la préméditation.

Samuel Estève

Avocat des parties civiles

Samuel Estève recule de dix mètres pour montrer la distance à laquelle les tirs ont été commis et mime un tir en direction de la cour. "Si on vous tirait dessus à cette distance en vous visant, vous penseriez évidemment qu'on a voulu vous tuer. Quand on tire à dix mètres avec cette arme-là, on veut faire peur ? Si on veut le faire, on tire en l'air. On ne tire pas en épaulant à hauteur d'homme sur des jeunes gens. Ils ont été tirés comme des lapins."

L'avocat se rapproche de la barre. "L'idée qui anime, c'est de tuer", lance-t-il avant un long silence. "De qui se moque-t-on ? De vous, mesdames et messieurs, d'eux !", continue-t-il en pointant les victimes, qui écoutent, immobiles.

12h35 : Loïc B. demande une suspension de dix minutes.

12h20 : Maître Billard revient sur la nuit du 29 au 30 juillet 2018. "Ces hommes sont capables de mettre à feu et à sang un quartier pour 1200 euros. On peut légitimement être inquiets de les savoir en liberté." Pour rappel, les deux hommes étaient à la recherche d'une personne qui aurait "carotté" une voiture de Loïc B. ce soir-là.

On enfonce les caricatures et les poncifs à la truelle. C'est indigne alors que les victimes travaillent toutes et sont intégrées contrairement aux accusés. Parce qu'ils sont d'origine maghrébine et qu'ils vivent dans un quartier, le quartier est forcément sensible et ils y vendent forcément du shit ?

Pierre-Henry Billard

Avocat des parties civiles

L'avocat revient sur la première scène, celle pendant laquelle Jean-Philippe K. était au volant de la Clio rouge et Loïc B. était passager. "Monsieur K. vient vous dire qu'il a voulu esquiver et un jeune et c'est pour ça que j'ai percuté le banc. Pourtant, c'est tout droit pour sortir de là. Soit il faut avoir fait exprès, soit il faut avoir perdu le contrôle de sa voiture. Il n'a pas voulu éviter monsieur G., il lui a foncé dessus", assure-t-il.

"Une scène d'attentat"

À propos de la deuxième scène, il présente deux de ses clients comme des "miraculés". "Tous les autres autour vont être touchés pas des plombs. Ils jouent à la Playstation et sont assis sur des chaises. Cette scène, c'est une scène d'attentat, de violence grave. Les gamins allongés sur le sol, gisant dans leur sang. Ce sont des images qui vont les marquer à jamais."

Pendant le procès, ils ont été très dignes alors qu'on a bavé sur eux pendant plusieurs jours. Beaucoup auraient perdu leur sang-froid.

Pierre-Henry Billard

Avocat des parties civiles

12h00 : Au tour de Pierre-Henry Billard, avocat de huit parties civiles, de prendre la parole. Il commence sa plaidoirie en faisant part de la sensation "bizarre" qu'il dit ressentir depuis le début du procès. Lui qui est habitué depuis vingt ans à être avocat de la défense, l'avocat a l'impression de devoir cette fois-ci défendre les victimes.

"Monsieur B. n’est pas une victime, sinon il ne serait pas dans le box des accusés. Il n’y a pas 18 coupables et deux victimes", tient-il à rappeler. Maître Billard revient ensuite sur les incohérences des propos des accusés entre l'enquête et le procès. Qui a tiré ? Combien y avait-il d'armes ? Qui est sorti du véhicule ? Beaucoup de versions changent. "Menteur!", lâche l'avocat.

"Un auteur de violences reconnaîtra plus facilement des violences plutôt que des propos racistes"

11h40 : Michaël Bendavid, avocat de la LICRA plaide après Laure Abramowtich. Pour lui, il ne fait aucun doute que des propos racistes ont été proférés ce 30 juillet 2018. "Un auteur de violences reconnaîtra plus facilement des violences plutôt que des propos racistes, même si la peine est plus importante. Peut-être qu’il y a quelque chose en eux qui sait que c’est une honte d’avoir prononcé ces mots-là. Mais j’aurais voulu l’entendre de leur part."

Pendant la deuxième plaidoirie, Loïc B. écoute les bras croisés et fixe l'immense fenêtre de la salle d'audience en face de lui. Jean-Philippe K. ne regarde pas. Il est tourné à 45 degrés et regarde la plupart du temps ses pieds pendant que maître Bendavid dénonce la vision étriquée de la France de Jean-Philippe K. "Dans les secondes qui ont précédé les propos qu'il a tenus, ils avaient déjà germé dans sa tête." À l'écoute de ses mots, Ornella Spatafora, avocate de l'accusé de 36 ans, fait "non" de la tête.

Vous avez un très grand nombre de témoignages et d'auditions de parties civiles concordantes. Du voisin du septième étage qui n'a rien à voir avec ça jusqu'aux parties civiles, ça fait beaucoup !

Michaël Bendavid

Avocat de la LICRA

Pour conclure, Michaël Bendavid rappelle que les versions des accusés ont souvent changé tout au long de la procédure, même jusqu'au procès. "Votre parole n'est pas crédible", lance-t-il, arguant que la parole des victimes est celle qu’il faut écouter.

Le racisme ordinaire au cœur de la première plaidoirie

11h20 : Les plaidoiries commencent avec celle de Laure Abramowitch, avocate de l'association La maison des potes - Maison de l'égalité, qui s'est constituée partie civile avec la LICRA.

L'avocate de l'association tient à dénoncer le racisme ordinaire. "Ça ne se voit pas le racisme, ça ne se sent pas, on ne peut pas l’expertiser. Sauf que l’impact des victimes de racisme, c’est autre chose. C’est une blessure qui n’est ni psychique, ni physique. C’est viscéral, ça vous prend aux tripes", débute-t-elle.

Laure Abramowitch hausse ensuite le ton. "On peut écouter les victimes deux minutes ? Ils ont pris des balles, ont failli mourir ! Et on va croire qu’ils se sont mis d’accord pour dire 'Eh les gars, on va dire qu’ils nous ont traités de bougnoules ?'"

"Ce ne sont pas des victimes parfaites ? Ils ne sont pas assez blonds aux yeux bleus ?", continue l'avocate en pointant les victimes, pour la grande majorité d'origine maghrébine. Elle veut ensuite démontrer le racisme ordinaire présent dans la société mais aussi pendant le procès.

On n’a pas besoin d’être un skinhead pour être accusé d’être raciste. Mais le racisme ordinaire est un racisme grave. Il est plus sournois mais il est là, devant vous.

Laure Abramowitch

Avocate de La maison des potes - Maison de l'égalité

Avant de conclure, Laure Abramowitcht tient à faire remarquer que les jurés convoqués qui avaient des noms à consonance étrangère ont été récusés au premier jour du procès et que les casiers judiciaires des victimes ont été demandés par la défense. "S'ils avaient été blonds aux yeux bleus, on n'aurait pas demandé les casiers."

Faut-il retenir la circonstance aggravante ?

10h40 : Avant que les plaidoiries ne débutent, la journée a débuté par une demande de Jean-Baptiste Gavignet, avocat de Loïc B. L'avocat a demandé que la circonstance aggravante comme quoi des propos racistes auraient été tenus par les deux accusés le 30 juillet 2018 ne soit pas retenue. Après une longue interruption, la cour décide de rejeter cette demande.

Par la suite, et à la demande des avocats de la défense, la présidente lit les questions qu'elle posera aux jurés lorsqu'ils délibéreront le lendemain.

Proches des accusés et victimes à quelques mètres

09h10 : Dans la salle d'audience, au matin du 22 novembre 2023, les bancs sont clairsemés. Peu de public est présent pour ce procès pourtant d'une grande ampleur. Sur le côté gauche, on retrouve cinq de la quinzaine de victimes. Derrière elle, des proches de Loïc B., l'un des deux accusés.

Pendant les discussions, on tousse, on renifle du nez. Dans cette immense salle d'époque, tout le monde ou presque garde sa veste ou sa doudoune. Loïc B. ne fait pas exception, lui qui a adressé un signe de la tête à sa mère en entrant dans le box des accusés. Un policier le sépare de Jean-Philippe K., le deuxième accusé, pull noir et blanc à motifs sur les épaules.

En face, entouré de deux policiers, l'une des victimes est installée derrière ses avocats. Elle comparaît détenue car elle est incarcérée dans une autre affaire.

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