La persistance du Covid-19, les confinements et les restrictions sanitaires qu’il impose affectent le moral des Français et pour un certain nombre d’entre eux, leur santé mentale. Stress, isolement, angoisse, les facteurs se multiplient et peuvent s'accentuer avec le temps.
Face à l’épidémie de Covid-19 et depuis les mesures gouvernementales de confinement, de restrictions ou de couvre-feu, comment les Français réagissent-ils ? Comment cette crise sanitaire inédite modifie-t-elle les comportements, les connaissances, les croyances ? Quel retentissement psychologique dans la population ?
Un an après l'arrivée de la pandémie sur le territoire, nous avons demandé à Gérard Milleret, psychiatre au centre hospitalier la Chartreuse à Dijon et Alain Maes, psychologue à Auxerre, d'exposer leur regard sur les effets durables que la Covid-19 a pu provoquer sur la santé mentale d'une frange de la population, et notamment sur leur patientèle.
Depuis bientôt un an, nous vivons une situation inédite, celle de la pandémie de Covid-19, avec deux confinements, un couvre feu. Dans quel état psychologique se trouvent aujourd'hui les Français ?
Gérard Milleret, psychiatre à Dijon : "Il y a un mal être général dans la population, c'est certain. En ce moment, on a l’illustration que la santé mentale a une place considérable. Il y a plus d’inquiétude. Les patients qu’on connait fragiles sont plus inquiets."
Alain Maes, psychologue à Auxerre : "C’est un problème qui s'installe. Et même pour ceux qui au départ arrivaient à gérer, cela commence à devenir lourd. Dès le début de la pandémie, il y a eu beaucoup de stress, d’inquiétude autour de l’angoisse de mort."
Depuis l'arrivée de la pandémie, quels sont les facteurs qui selon vous sont les plus lourds psychologiquement, et pourquoi ?
Gérard Milleret : "Il y a le facteur de la peur du virus. On n' a eu au démarrage des discours qui n'étaint pas les mêmes, ce qui n’est pas rassurant au niveau de la population. Au démarrage, on dédramatisait, on parlait de "grippette". On avait tendance à dédramatiser puis après on a eu à tendance à dramatiser. On n’est passé dans l’autre sens. Ce qui peut ne pas être rassurant pour la population.
Après, il y a la manière dont on vit le confinement, être limité, avoir des horaires fixes. Ce n’est pas une situation agréable pour la nature humaine. On est dans une sorte de contrôle de soi-même car il y a des interdits qu’on nous a posés. Et puis, il y a les conséquences économiques et sociales. Quand on est dans une entreprise, puis qu’on ne peut pas l’ouvrir, on est limité. Ce n’est pas rassurant."
Il y a un contexte anxio-dépressif qui est considérable avec des déprimes. Je ne dis pas que cela peut amener jusque’au suicide mais il y a quand même des éléments qui nous indiquent qu’il y a beaucoup de craintes à avoir. Et il faut s’occuper de la santé mentale de la population, c’est obligatoire."
Pour Alain Maes, le facteur le plus important, c'est "le manque de vie sociale, le changement des habitudes liées aux activités extra-professionnelles comme le sport, la culture, la rencontre. Ça, c’est certain. L'autre facteur, selon moi, est la peur de contaminer des proches. On vient de passer la période de Noël. Une période qui a créé beaucoup de tensions au sein des familles.
Les grands-parents ne comprennent pas tous ou n’acceptent pas de se voir privés de leurs petits-enfants ou de leurs enfants. Certains ont conscience de ne pas prendre le risque des les contaminer. Ils décident donc de rester chez eux. Il y a eu très peu de gens qui ont fait de fêtes de famille habituelles. Cela a été beaucoup en comité restreint. Mais cette peur de propager le virus sans le savoir à des personnes fragiles était très forte sur cette fin d’année. Cela crée des tensions dans les familles."
Est-ce que les gens sont plus déprimés ?
Gérard Milleret : "Je pense que nos collègues médecins généralistes voient ça en première ligne. Des gens pas connus qui malheureusement sont complètement défaitistes vu le contexte. Vous avez aussi les patients déjà fragiles psychologiquement. Cela n’arrange pas les choses.
Il y a des patients qui ne sortent plus du tout de chez eux, qui ont très très peur et d’autres qui ne veulent pas nous voir et aller en consultation. Et certains qui se posent beaucoup de questions. C’est une partie de la population que l’on a l’habitude d’aider. Mais il y a une nouvelle population touchée qui va manifester des signes d’angoisse important, à avoir les idées noires, qui vont ruminer."
Alain Maes : "Les histoires de risque de confinement, de maladie, les difficultés à rencontrer les autres, de pouvoir sortir, font que les choses se détériorent vite. Selon moi, il y a quatre types de populations différentes qui sont touchées. Il y a les jeunes, ceux qui continuent à travailler avec des contraintes, ceux qui sont en train d’arrêter de travailler- patrons ou salarié - et puis il y a les personnes âgées.
Parmi les personnes âgées, j’en ai dans ma patientèle qui acceptent de vivre avec les règles et certains refusent. Pour certains, en ce moment, c’est vraiment l’enfer. Il ne faut pas généraliser. Je parle de ceux qui sont dans une grande détresse psychologique. A côté de ça, certaines personnes arrivent à s’adapter."
L’incertitude sur l’avenir, de quelle manière agit-elle sur les comportements ?
Gérard Milleret : "Le stress est accru mais surtout le défaitisme. C’est l’expression d’une déprime personnelle. On a l’impression que tout est foutu, l’entreprise va fermer, le restaurant va fermé. Il y a quand même de grosses incertitudes d'un point de vue économique avec un risque de chômage important même si le gouvernement essaie de rassurer. On s’aperçoit que tout n’est pas si rose que ça. "
Le discours que la situation peut varier d’un moment à l’autre, avec à la fois des médecins alarmistes et d’autres rassurants, la population a du mal à s’y retrouver. Et ça, ce n’est pas rassurant."`
Alain Maes : "Oui, si on prend l'exemple des jeunes qui ne savent pas comment ça va se passer, s’ils vont trouver un boulot, les stages à l’étranger qui vony être annulés. C’est vraiment une génération qui souffre actuellement beaucoup, à qui on "vole" une partie de la jeunesse.
J’ai des patients aussi qui en ont marre de leur travail et qui souhaitent changer. Mais ils ne peuvent pas sachant qu’il y a des pans entiers de l'économie complètement à l’arrêt. Donc cela les contraint à continuer ou à se mettre en arrêt maladie. Il y en a de plus en plus de gens qui se mettent en arrêt maladie car ils n’en peuvent plus. Retourner au boulot, pour certains, cela devient très compliqué."
Est-ce que dans la durée, certaines pathologies ont tendance à devenir plus lourdes ?
Gérard Milleret : "La durée fait que les pathologies durent aussi. Il n’y a pas de côté rassurant. Il n’y a pas de côté qui pourrait dire "on voit le bout du tunnel". Il y a la vaccination mais on voit la polémique qu’il y a avec la vaccination, les retards de livraison ou le refus de se faire vacciner."
La possibilité de faire des choses étant réduites, du coup, certaines personnes se disent, "je ne fais plus rien". C'est quelque chose que l’on peut voir.
Pour Alain Maes, "tout ce qui est lié à la solitude, à l’angoisse, à la dépression, ce sont des sujets dont on parle très régulièrement. Je vois pas mal de gens qui se renferment sur eux-mêmes. C’est comme un mécanisme de défense. Comme je ne peux pas sortir, je me renferme plus sur moi-même. Il y a même des enfants qui ne font plus rien. Il n’y a plus d’envie.
Selon lui, "la possibilité de faire des choses étant réduits, certaines personnes se disent, "je ne fais plus rien". C'est quelque chose que l’on peut voir. Je pars du principe qu’il y a toujours une solution à un problème mais pour quelques-uns de mes patients, ils ne voient plus les choses comme ça. Ils se disent "je n’ai plus l‘énergie pour bien m’occuper de moi".
Comment limiter l’impact sur la santé mentale et développer des risques de troubles psychologiques ?
Gérard Milleret : "Il faut donner des messages rassurants, écouter les personnes. De notre côté, on a mis en place un conseil local de santé mentale qui comprend huit communes de l’agglomération dijonnaise. On n’est en train d’essayer de faire des actions.
Avec l’association France dépression, il y a un également un numéro dédié au public et à des personnes pour proposer une écoute téléphonique (07 84 96 88 28). On peut écouter la personne inquiète. Pendant le premier confinement, une écoute téléphonique avait été installée avec nos partenaires du CHU."
Alain Maes : "Quand on est chez soi, le conseil, c'est dessayer d’avoir un rythme de vie habituel. Il faut essayer de garder un rythme classique, de ne pas par exemple se lever à 14h Il faut arriver à trouver ses petits plaisirs. C’est ce que je dis à mes patients. Une journée sans petit plaisir est une journée perdue. Cela peut être appeler un copain, sortir faire un tour, se mettre à jouer de la musique, apprendre une langue.
Il faut trouver des activités qui soient sources de changements d’idées. Car rester dans son canapé à regarder en boucle BFMTV, cela va être compliqué. Il y en a qui sont plantés devant les infos toute la journée. Là, c’est terrible."
Santé publique France a créé sur son site un espace dédié à la santé mentale où tous les dispositifs d’aide à distance sont recensés par thèmes (détresse, deuil, addictions, violences conjugales, parentalité...). On y trouve aussi dans "Ma vie au quotidien" des vidéos très courtes prodiguant des conseils simples contre le stress. Un numéro vert, 0800 130 000, offrant un soutien psychologique a été mis en place par le ministère de la Santé.
Les numéros utiles si vous êtes en souffrance psychologique
Le numéro vert national du ministère de la Santé disponible 24h/24 et 7j/7 : 0 800 130 000
La plateforme "Croix-Rouge écoute" disponible de 8h à 20h et 7j/7 : 0 800 858 858
Un certain nombre de structures répondent également aux appels. Voici la liste donnée par l'Agence Régionale de Santé pour les habitants de Bourgogne-Franche-Comté.
N'hésitez pas à vous renseigner auprès de votre médecin généraliste, ou auprès de votre Agence Régionale de Santé.