Elle a travaillé sur les groupes féminins et des militantes de droite qui ont émergé en France dans les dix dernières années. Chargée de recherche au CNRS en sciences politiques à Bordeaux, Magali Della Sudda nous explique les racines du collectif Némésis et ses modes d'action.
Ce dimanche 7 avril, au milieu du défilé du carnaval de Besançon, devant près de 20 000 personnes, deux militantes ont brandi des pancartes rapprochant migrants et violeurs. Après ces actes qui font l'objet d'une enquête pour "provocation à la haine ou à la violence à l'égard d'un groupe de personnes en raison de leur origine ou d'une prétendue race", Magali Della Sudda revient sur l'origine de ce groupuscule et ses mécanismes de fonctionnement.
Cette enseignante a publié en 2022 le livre "Les nouvelles Femmes de droite : une enquête minutieuse et détaillée sur les femmes et l’extrême droite d’aujourd’hui". Dans le cadre de cette enquête la politiste, socio-historienne, chargée de recherche au CNRS, a notamment interrogé quelques femmes du collectif Némésis qui se revendiquent "féministes identitaires".
Quelle est l'origine du collectif Némésis ?
Magali Della Sudda : "Ce collectif est né en 2019 de la rencontre de jeunes femmes qui se réunissent et se rejoignent autour d'un problème commun. Elles se disent victimes de violences sexuelles et sexistes commises par des hommes d'origine africaine et/ou de confession musulmane. Elles condamnent le silence des féministes devant les agressions commises par les étrangers."
Quel est leur mode d'action ?
"Elles sont souvent bien formées à la communication politique. Elles mettent en place des actions très bien mises en scènes, des happenings en marge de cortège féministe pour dénoncer ce qu'elles considèrent comme une connivence avec le patriarcat d'immigration. Leur communication est très efficace. Elles comptent notamment dans leur rang une graphiste.
Elles savent surtout partager sur les réseaux sociaux leurs actions spectaculaires et parviennent à les faire relayer par divers journalistes éditorialistes de l'entreprise médiatique Bolloré, notamment organisée depuis 2014-2015 autour d’un projet commun de l’union des droites. Ce collectif fait toujours très attention à rester dans la légalité, les membres connaissent le droit, se distingue ainsi de l'extrême-droite et droite radicale des années 90 qui assumaient leur violence politique."
Le collectif a-t-il une appartenance politique ?
"Il y a une certaine diversité, certaines membres du collectif n’étaient pas politisées avant de constituer le collectif, d'autres avaient une sensibilité plus affirmée comme Alice Cordier sa fondatrice et directrice. C'est le fruit d'une bataille culturelle livrée par les droites (conservateurs en passant par l'extrême droite) depuis 2013 et les "manif pour tous", ces grands cortèges contre la loi Taubira qui font germer l'idée d’une union des droites contre les mesures publiques d’égalité de genre."
Quelle est l'influence de ce groupuscule dans le débat public ?
"C'est la première fois que de manière explicite des femmes se positionnent en faveur d'un projet politique d'extrême droite, contre l'immigration, contre l'islam et au nom d’une identité nationale et européenne. C'est aussi la première fois qu'elles sont visibles et légitimées par un certain nombre d’organes de presse.
Ces groupuscules politiques ont une existence dans un espace virtuel inversement proportionnel à leur importance dans la vie réelle, militante. Ces groupes et leurs alliés de presse contribuent à faire exister des problématiques publiques que l’immense majorité des citoyens ne se posent pas. Il s'agit essentiellement d'établir un lien entre insécurité, violences faites aux femmes et immigration, ou islam.
Elles se revendiquent 100 à 150 membres, mais elles restent limitées dans leur capacité d'action dans la vie réelle."
Comment expliquez-vous l'émergence de ce type de mouvement aujourd'hui ?
"Il y a un effet de structure lié à des changements de rapports de force dans l’église catholique. Cela fait suite également à l'échec électoral de la droite en 2012 du candidat UMP face à François Hollande et à l'arrivée de Marine Lepen à la tête du Front National. Cette nouvelle garde est plus encline à entrer dans les institutions, à accéder au pouvoir. Désormais, le bloc identitaire donne plus d‘importance à son organisation de jeunesse et se pose la question de son accès au pouvoir."
Comment sont-elles financées ?
"Il est difficile pour les chercheurs et journalistes qui enquêtent sur la question de remonter aux financements de ce groupuscule, et à ce qui rend possible matériellement et économiquement leur existence, leurs actions avec un tel niveau de professionnalisation dans leur communication politique. Le mode de rétribution n'est pas habituel. Elles tirent profit vraisemblablement de la publicité, de placements de produits.
Alice Cordier, fondatrice de Némésis, a notamment été égérie pendant plusieurs années de la marque de nutrition sportive Prozis. Elles sont rétribuées pour les vues qu’elles font sur certains réseaux sociaux, certaines se convertissent dans le coaching en masculinité et développement."