Qu'est-ce-que l'alcoolorexie ? Inconnue il y a encore quelques années, cette attitude qui touche les 14-25 ans mêle troubles du comportement alimentaire et troubles de l'usage de l'alcool. Elle sera pour la première fois étudiée en France dans quelques mois. Plus précisément à Besançon (Doubs), après le travail d'un jeune interne en médecine du CHU Jean-Minjoz, Enea Patruno Re.
L'alcoolorexie. Un terme qui, s'il peut paraître barbare à première vue, relève en réalité d'une certaine logique. Contraction des mots "alcoolémie" et "anorexie", il a été mis au goût du jour par des études scientifiques américaines et italiennes parues ces dernières années et désigne une attitude qui touche les 14-25 ans, mêlant troubles du comportement alimentaire et troubles de l'usage de l'alcool.
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En France, Enea Patruno Re, interne en médecine au CHU de Besançon, s'apprête à réaliser la première étude en France sur le sujet. Dans quelques mois, il aimerait interroger des étudiants de Besançon pour se faire une première idée du nombre de jeunes ayant déjà expérimenté l'alcoolorexie. Cela lui permettrait de vérifier si cette attitude peut être classée comme un réel trouble psychiatrique. Il a accepté de répondre aux questions de France 3 Franche-Comté.
L'alcoolorexie, de quoi s'agit-il exactement ?
"L'alcoolorexie est un phénomène social, une attitude, un comportement qu'on retrouve chez certaines personnes âgées de 14 à 25 ans" explique le médecin italien, âgé de 29 ans. Ce qui caractérise l'alcoolorexie selon lui, ce sont "la mise en place de pratiques compensatoires pour assumer d'abondantes prises d'alcool". Ces pratiques compensatoires auraient deux objectifs : "éviter la prise de poids due aux calories présentes dans l'alcool" et "ressentir plus vite et plus fortement les effets psychoactifs de l'alcool".
"Pratiques compensatoires" : quelles sont-elles ?
On parle ici de conduites mises en place "avant, pendant, ou après la prise d'alcool" précise Enea Patruno Re. Et le médecin de citer plusieurs exemples précis. "Certaines personnes se privent de nourriture avant d'aller en soirée ou les jours d'après, pour ne pas être en surplus caloriques et être facilement ivres" nous dit-il. "D'autres se font vomir, parfois en pleine soirée, ou alors, après la prise d'alcool, exercent une activité sportive de façon trop excessive, encore une fois pour rejeter les calories amenées pendant la soirée".
Autre pratique mise en lumière par les études italiennes et américaines, "la prise de médicaments laxatifs et diurétiques. Cela permet une perte de poids immédiate, mais c'est inefficace sur le long terme". Et surtout dangereux pour la santé. Si l'alcoolorexie touche aussi bien les hommes que les femmes, les pratiques auraient tendance à différer selon le sexe. "Les hommes font plus de sport de manière excessive et les femmes, plus de restrictions caloriques" précise Enea Patruno Re.
Une pratique aux nombreux risques
"Évidemment, c'est un comportement à éviter, au vu des dangers physiques et psychologiques qu'il peut amener" reprend Enea Patruno Re. Sur le plan physique d'abord, avec des effets sur le long terme touchant l'estomac, le pancréas, le foie, le cerveau, etc. "Tout ce que l'alcool impacte déjà" résume le médecin. Ajoutez à cela des troubles digestifs, de libido ou de cycle menstruel chez les femmes, les symptômes typiques de l'anorexie.
Mais ce n'est pas tout, l'alcoolorexie a également des effets néfastes au niveau psychologique. "Au niveau du cerveau, on change de dynamique" reprend l'interne au CHU de Besançon.
Il y a des risques d'altération de l'image corporelle, de la gestion des émotions. Également la possibilité de développer des troubles alimentaires comme l'anorexie, la boulimie. Sans oublier les troubles d'usages à l'alcool, comme l'alcoolisme.
Enea Patruno Re,interne au CHU de Besançon, auteur d'une thèse sur l'alcoolorexie
Les études menées par Enea Patruno Re ont d'ailleurs pour but de répondre à une question : l'alcoolorexie est-elle une comorbidité de l'anorexie et de l'alcoolisme ? Ou plutôt, à l'inverse, une attitude qui pourrait entraîner cela. À noter que les femmes, qui produisent moins d'enzymes utilisées pour métaboliser l'alcool, sont plus susceptibles de développer des pathologies.
L'alcoolorexie due à la "pression sociale" ?
La pression sociale, accentuée par les réseaux sociaux, semble pousser les jeunes vers l'alcoolorexie. C'est en tout cas ce qu'explique Enea Patruno Re. "On est jeune, on a envie de se faire bien voir, d'être accepté dans un groupe, d'avoir l'air cool, donc on cède à cette pression de s'alcooliser en soirée" détaille le médecin.
"Et en même temps, les réseaux créent une altération de l'image corporelle qui fait que pour garder "la ligne", pour rentrer dans les standards de l'époque, on compte les calories et on fait tout pour ne pas les accumuler" rajoute-t-il. Tout en voulant pouvoir continuer à boire, d'où la mise en place des pratiques compensatoires citées ci-dessus.
L'alcoolorexie toucherait 30 % des 14-25 ans
"Les études américaines et italiennes se rejoignent sur le pourcentage de la population touchée par l'alcoolorexie" révèle Enea Patruno Re. "Cela toucherait 30 % des 14-25 ans". Un chiffre élevé, mais à relativiser. "Sont inclus aussi bien les personnes qui ont fait cela une fois, et celles qui le font plusieurs fois par semaine" concède l'interne au CHU de Besançon.
En octobre 2023, l’échelle de diagnostic de l’alcoolorexie (ensemble de 21 questions), appelée Cebracs (Comportements alimentaires compensatoires liés à l’échelle de consommation d’alcool) a été officiellement validée en France. Une étape de plus pour le jeune homme, qui dans six mois minimum entend lancer une étude clinique à l'échelle de Besançon, en interrogeant les jeunes de la ville.
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Les résultats de cette étude, eux, ne seront connues que dans un an et demi. D'ici là, quelques petits conseils d'Enea Patruno Re pour éviter l'alcoolorexie. "Ça paraît logique, mais toujours manger si l'on sait qu'on va boire de l'alcool" conclut-il. "Et si tu veux maigrir et perdre des calories diminue l'alcool, et pas la nourriture". Cela va de soi.