Dans le documentaire "Je suis allergique aux fraises", Rémi Jennequin donne la parole à Josiane, Annie et Marie-Hélène dont la vie a été marquée par leur dépendance et leur combat contre l’alcool.
L’alcool est une drogue licite et sa consommation a toujours fait partie intégrante de la vie sociale (bons repas, festivités…). Si la notion de plaisir est très présente et renvoie à une image positive de l’alcool, sa consommation excessive engendre dépendance et marginalisation. Une stigmatisation encore plus importante quand la personne qui boit est une femme !
"… Donc là, je suis partie en cure, j’ai dit faut que je fasse quelque chose là, je ne reste pas comme ça, c’est pas possible. Alors mon mari très en colère, enfin tout le monde très en colère, pourquoi j’allais faire une cure de désintoxication ? Parce que je suis allergique aux fraises ! je leur disais…" - Josiane
Dans le documentaire "Je suis allergique aux fraises", Josiane, Annie et Marie-Hélène se racontent sans tabou, face à la caméra de Rémi Jennequin, le réalisateur. Si cette proximité et cette confiance entre Rémi et ces femmes est perceptible à l’écran, c’est que Rémi est le fils de l’une d’elles.
Il réalise avec bienveillance et sans jugement le portrait de ces femmes « tombées » dans l’enfer de l’alcool pour des raisons différentes, difficiles à expliquer, y compris par elles-mêmes.
Trois femmes, trois parcours de vie, un même enfer
Josiane est une femme plutôt discrète et réservée. Aide-soignante désormais à la retraite, elle s’est toujours sentie très seule au quotidien. Mariée à un homme absent, chauffeur-routier la semaine et peu à la maison le reste du temps, elle commence à boire le soir avec ses voisins puis la journée, seule chez elle. L’alcool est un refuge, une façon de s’oublier en dormant.
Tu t’ennuies, tu n’as rien envie de faire, rien ne t’intéresse… tu bois un porto, puis deux… Les verres s’enchaînent et au bout du compte, tu t’aperçois que tu ne vas pas bien alors tu vas dormir.
Josiane
S’assommer d’alcool pour dormir, pour ne penser à rien, s’enfermer, ne voir personne. Josiane s’aperçoit rapidement que c’est un engrenage infernal " ton corps à besoin, ta tête à besoin même si tu sais que tu te fais du mal"
L’ennui, la solitude mais également des blessures jamais refermées la font plonger petit à petit dans cette addiction.
Sans expliquer pourquoi elle s’est mise à boire, elle a conscience que c’est une somme d’événements difficiles qui ont contribués à sa descente aux enfers. Elle se remémore le suicide de son jeune frère, alcoolique également, dont elle était très proche. Cette disparition, elle l’évoque avec douleur et avec la culpabilité de ne pas avoir pu l’aider.
Un traumatisme qui s’ajoute à celui d’une fausse-couche faite à 6 mois de grossesse. À cette époque, la perte de son enfant est perçue par son entourage comme un "non-événement", une chose dont on ne parle pas, voire anodine ! Des frustrations, un mal-être non exprimé qui s’amplifient au fur et à mesure des années avec, en plus, un travail dans lequel elle ne s’épanouit plus.
C’est sur sa propre initiative que Josiane consulte un médecin et décide de partir en cure de désintoxication malgré la consternation et la désapprobation des siens.
Marie-Hélène a fait une carrière de danseuse au théâtre et à l’opéra, principalement au Capitole de Toulouse. L’exigence du haut-niveau, la pression du milieu et le besoin de reconnaissance l’entraînent petit à petit dans l’alcoolisme. Une addiction qui prend le pas sur sa carrière.
Un matin, accrochée à son demi de bière, elle est secouée de tremblements. Ce n’est qu’une fois son verre consommé que ses tremblements cessent. Je me suis dit « c’est bon, s'il faut boire pour arrêter de trembler ! À partir de ce moment, elle commence à s’alcooliser dès le réveil.
Maman d’une petite fille, elle boit en cachette de son compagnon.
A cette époque, j’étais en manque toutes les 2 heures, je devais me lever la nuit pour boire.
Marie-Hélène
Quand elle ne peut pas constituer discrètement son stock d’alcool dans la salle de bain près de sa chambre, elle boit de l’alcool à 90° ou de l’eau de Cologne. Sans sa dose d’alcool, Marie-Hélène ne parvient pas à s’occuper de sa fille, le manque la fait trembler et elle tient à peine sur ses jambes. " Le peu d’énergie que j’avais je le donnais à Flavie. Un homme peut rentrer du boulot et s’affaler sur le canapé, mais moi je devais m’occuper de ma fille et c’était très dur."
En pleine dépression, elle tente plusieurs fois de mettre fin à ses jours. Lors d’une énième tentative, elle est sauvée de justesse par son compagnon qui, exceptionnellement, rentre plus tôt au domicile. Suite à ce passage à l’acte, sa fille lui demande " ça veut dire que tu ne m’aime pas ?" Marie-Hélène lui explique que son envie de mourir est plus forte que l’amour qu’elle a pour elle. Un aveu difficile pour cette mère aimante.
C’était horrible car l’amour que j’ai pour elle est incommensurable, mais ma souffrance et l'envie de disparaitre sont plus fortes.
Marie-Hélène
Annie approche les 70 ans. Cette femme énergique exerçait le métier d’infirmière libérale. Comme Josiane et Marie-Hélène, difficile pour elle de mettre des mots sur le pourquoi de cette surconsommation d’alcool. " Je suis peut-être née avec un manque, un sentiment d’abandon qui s’est révélé plus tard."
Cependant, un événement marque un tournant dans son besoin de boire. Son père décède au moment où elle attend son deuxième enfant. À cette époque, elle est déjà dans l’alcool, de manière " plus légère et plus festive".
Pour Annie, impossible de faire son deuil, la naissance de son enfant prend toute la place. " Je n’ai pas eu la tristesse pour le décès de mon papa, c’est venu plus tard avec un effet boomerang."
Annie sombre alors dans la dépression. Tout comme pour Josiane et Marie-Hélène, la douleur est insupportable et elle tente plusieurs fois de mettre fin à ses jours.
Je ne sais pas si j’ai vraiment tout compris, je sais juste que l’alcool est plus fort que moi…Je n’accepte pas que l’alcool soit plus puissant que moi.
Annie
La clandestinité alcoolique
Lorsque la femme devient dépendante de l’alcool, elle se cache du regard de sa famille, car c’est elle qui représente toute la force du foyer. Cette clandestinité referme le cercle vicieux de la solitude et de l'abandon.
Josiane profitait de l’absence de son mari pour boire et s’abstenait (avec difficulté) les jours où il était présent. Elle ne buvait pas non plus lorsqu’elle travaillait mais retrouvait rapidement la bouteille en rentrant chez elle.
Annie a vécu longtemps seule avec ses enfants. Elle buvait lorsque ceux-ci étaient à l’école, " ni vue, ni connue !" Au travail, elle fait également illusion " j’arrivais à faire correctement mon travail, je ne tremblais pas et on me disait que j’étais une bonne infirmière". Elle avoue cependant que si à cette époque elle ne tremblait pas, c’est qu’elle buvait avant de partir travailler et annulait, pendant un temps, les stigmates du manque d’alcool.
Marie-Hélène a passé des années à cacher les bouteilles dans l’appartement qu’elle partageait avec le père de sa fille.
Toutes les trois ne taisent pas tous ces matins ou les vomissements font place à une nouvelle consommation pour "repartir et donner le change", ne serait-ce qu’un temps.
Le poids du regard (ou du silence) des autres
Les représentations sociales de la femme mère, épouse, gardienne du foyer cadrent les normes de consommation d’alcool qui diffèrent considérablement d’un sexe à l’autre. L’alcoolisme féminin reste un tabou et la femme alcoolique est montrée du doigt.
Un mec qui est bourré, tu le croise, tu ne te retourne même pas… une mère, c’est le pire, idem pour la femme enceinte !
Marie-Hélène
Ce poids du regard, Marie-Hélène s’en souvient. Alcoolisée, elle l’a senti lorsqu’elle se promenait, titubante en compagnie de son enfant.
Le silence de l’entourage est également un élément pesant pour ces femmes. Un jour plus difficile qu’un autre, Josiane décide de prendre rendez-vous chez son médecin, qui est aussi son voisin. Lors de cette consultation, il lui signifie qu’il sait qu’elle boit, " pourquoi il ne m’en a jamais parlé ?" Au lieu de me dire " mais tu bois !" on ne me disait rien, ajoute-t-elle. Un silence pesant qui, lorsqu’elle se décide de se faire soigner, provoque une réaction violente de la part de ses proches qui n’avaient rien vus (ou ne voulaient rien voir).
Une femme doit toujours être sur un piédestal : on doit être mère, on doit être maîtresse… on doit avoir toutes les qualités et on n’a pas le droit à l’erreur… tu n’as même pas le droit de rater un gâteau !
Josiane
Josiane, Annie et Marie-Hélène ne se connaissaient pas avant de se retrouver en thérapie avec la docteur Briot, psychologue clinicienne au centre hospitalier de Gray. Une véritable amitié s’est liée entre ces femmes et régulièrement, elles se téléphonent ou se retrouvent autour d’un gouter organisé chez l’une d’elles.
Des moments essentiels dans leur reconstruction où elles peuvent échanger, sans aucun tabou. Si elles parlent facilement de leur addiction, elles se soutiennent également dans les difficultés qu’engendre leur sevrage, ou l’alcool est remplacé par les médicaments.
Une addiction qui en replace une autre et qui n’est pas sans danger. Marie-Hélène est une rescapée de ces traitements, et reste très diminuée suite à une intoxication médicamenteuse. Soutenue par son compagnon et ses amies, elle garde le moral et son sens de l’humour.
Je n’avais que toi, tu étais ma priorité.
Ma maîtresse, ma funeste confidente, mon double, écoute-moi
J’aurais eu 3 vies : avant toi, avec toi et après toi
Tu as pris 25 ans de ma vie, j’ai fait 6 tentatives de suicide, j’ai été enfermé 8 fois, je te souhaite toutes les défaites du monde et rien que pour mes enfants, tu as toute ma haine - Texte écrit par Annie
"Je suis allergique aux fraises", un film de Rémi Jennequin
Coproduction Simone & Raymond Productions, Les Films du Tambour de Soie et France Télévisions
♦ Disponible dès à présent sur france.tv