Plusieurs vidéos font état d'interpellations violentes et d'un usage non réglementaire de grenades de la part des forces de l'ordre à Besançon, alors que cinq fonctionnaires de police ont été blessés lors des manifestations contre la réforme des retraites. Un contexte de tensions qui a débuté après les premiers rassemblements spontanés du jeudi 16 mars.
Des projectiles lancés en l’air, puis des détonations fortes proches d'un groupe de personnes. Des arrestations violentes, parfois accompagnées de coups de matraque. Des feux et des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre. Ces vidéos collectées lors des rassemblements contre la réforme des retraites émergent de plus en plus sur les réseaux sociaux depuis le déclenchement du 49-3, jeudi 16 mars. Les images attestent des tensions croissantes entre la population et les services de police. Des heurts qui ne laissent aucune partie indemne.
À Besançon, des débordements ont eu lieu lors des manifestations de la semaine dernière. Pendant ces rassemblements, parfois spontanés, les forces de l’ordre ont utilisé des grenades à plusieurs reprises et ont procédé à des interpellations. Sur les antennes de France Bleu et France 3, ce lundi 27 mars, le Préfet du Doubs Jean-François Colombet estime que l’usage de la force par les policiers respecte une « stricte proportionnalité » : « Il y a des gens qui manifestent leur mécontentement à cette réforme, c’est leur droit le plus strict, et notre devoir est de faire en sorte que cette expression soit paisible et protégée, explique-t-il. Et puis, il y en a qui cherchent à être violents pour casser du flic, pour casser l’emblème de la République. Et évidemment, nous devons nous y opposer ». Le représentant de l'Etat rappelle que « cinq policiers ont été blessés ».
Sollicité par France 3 Franche-Comté, Yves Cellier, directeur départemental de sécurité publique, n'a pas souhaité répondre à nos questions. Le patron des policiers du Doubs a simplement confirmé qu’un fonctionnaire de police, attaqué aux jambes avec des pierres, a eu six mois d’arrêt de travail. Un autre a reçu des coups de barre de fer au torse. Un autre encore a été frappé avec un skateboard, et son agresseur présumé a écopé de trois ans de prison ferme. Des constats qui permettent au Préfet du Doubs de justifier sa stratégie de maintien de l'ordre tout en indiquant, à plusieurs reprises dans la Matinale, qu’il y a eu « zéro manifestant blessé à Besançon ».
10 jours d'arrêt de travail, un hématome au foie
Une vidéo tournée le 21 mars 2023 par Emma Audrey de Radio Bip / Media 25, semble pourtant indiquer le contraire. Au croisement des rues d’Alsace et de Lorraine, au nord du quartier de la Boucle, des manifestants courent de manière disparate. Un assaut a été donné par une dizaine de policiers casqués, matraques à la main. Plusieurs individus sont arrêtés fermement. L’un d’eux, projeté contre un mur par un bouclier, s’effondre. À terre, on le voit recevoir plusieurs coups de matraque et coups de pied.
Sur les réseaux sociaux, Toufik de Planoise de Radio Bip / Media 25 dénonce les « graves violences policières » subies par cet homme, appelé Sylvain. Également présent sur place, le correspondant a pu constater le « plaquage ventral » exercé par les policiers sur ce Comtois de 57 ans.
Contacté par nos soins ce lundi 27 mars, Sylvain reste encore « surpris et choqué par la violence ». « Les policiers nous ont foncé dessus », lance-t-il, d'emblée. Lui et un autre homme ont été interpellés de manière brutale. « Ils m'ont compressé la cage thoracique avec leur genou dans mon dos. J'avais une face du visage par terre... Je pouvais à peine respirer », raconte-t-il. Au terme d'une garde à vue d'une « quinzaine d'heures » que ce livreur de 57 ans a « très mal vécue », il est relâché sans qu'aucun motif ne lui soit reproché.
Après cette interpellation, son médecin constate « un hématome au foie » et lui établit « six jours d’incapacité totale de travail et dix jours d'arrêt de travail ». « Pour l'instant », précise-t-il. Car il lui reste encore des examens complémentaires à réaliser. Si Sylvain dénonce « ces violences de plus en plus fortes pour dissuader les personnes de descendre dans la rue », il assure qu'il continuera à l'avenir de manifester.
Un usage non réglementaire de grenades ?
Nous avons pu nous procurer deux vidéos datant du jeudi 23 mars, filmées dans l’angle de la rue de la préfecture et de la rue Mégevand toujours à Besançon. Sur la première, il est possible d’identifier au moins six grenades lancées en plein après-midi et provoquant des détonations à une heure de sortie d’école. Sur la seconde vidéo, un fonctionnaire de la police nationale lance une grenade qui ricoche sur un poteau avant d’exploser au sol. Ces tirs et jets de grenade sont-ils légaux ?
En effet, si les grenades sont légales en France, leur usage est strictement réglementé. Considérées comme des « armes à feu », « relevant des matériels de guerre » par le Code de la sécurité intérieure (CSI), deux familles de grenades peuvent être employées, comme l’expliquent nos collègues de Franceinfo.
D’une part, les grenades lacrymogènes. Celles utilisées sont les grenades modulaires 2 effets lacrymogènes (GM2L) qui « possèdent un double effet : lacrymogène et assourdissant mais sans effet de souffle », précise le site Maintien de l’Ordre créé par le journaliste Maxime Sirvins. Ce dernier note qu’ « avec 165 décibels, "brisant et cassant" à 5 mètres, elle surpasse le bruit d’un avion au décollage et dépasse le seuil de douleur sonore ». Elles doivent être lancées uniquement en tir en cloche.
D’autre part, les grenades à main de désencerclement de type GENL sont aussi utilisées. Elles ne comportent pas de gaz lacrymogène mais contiennent des morceaux de caoutchouc. D’après le site Maintien de l’ordre, « le corps est composé de 18 projectiles en caoutchouc dur de 9 g. La grenade explose avec un niveau sonore de 160 Db en projetant des fragments d’une force cinétique de 80 ou 36 joules dans un rayon efficace de 15 m et jusqu’à 30 m ». Cette fois, seul le jet au sol est autorisé.
Nous ne sommes pas parvenus à identifier les six premières grenades. Pour la dernière, il s'agit d'une grenade de désencerclement (GENL) lancée en tir de cloche. Cet usage est strictement interdit, puisqu'il est considéré comme dangereux. C'est aussi ce que précise l'ONG Amnesty International dans son article « 25 règles pour le déploiement et l'usage de projectiles à impact cinétique dans l'application de la loi ».
Une escalade de violences dénoncée
Cette « vague de répression violente des forces de l’ordre » a été pointée du doigt par la Ligue des droits de l’Homme ce 23 mars, dans un texte intitulé « Déni de démocratie d’un pouvoir faisant le choix d’une escalade répressive pour briser un mouvement social légitime ». L’organisation évoque particulièrement les « grandes villes » devenues le « théâtre d’opérations de maintien de l’ordre de grande ampleur, violentes et totalement disproportionnées ».
Ces derniers jours ont vu le retour des nasses illégales, de l’usage d’armes mutilantes comme le LBD et les grenades de désencerclement, du gazage à outrance, de l’emploi de policiers non formés au maintien de l’ordre et réputés pour leur violence, en particulier la brigade de répression de l’action violente motorisée (BRAV-M) et les Brigades anti criminalité (BAC), avec des interpellations et des verbalisations indiscriminées, du matraquage systématique et des violences gratuites et attentatoires à la dignité des personnes. L’heure est à l’intimidation d’un mouvement social auquel on voudrait faire payer son dynamisme, au mépris de la liberté de manifester.
La Ligue des droits de l'Homme
La Ligue des droits de l’Homme enjoint ainsi le gouvernement et le ministre de l’Intérieur à respecter « les droits fondamentaux », déclarant que « le rôle des autorités est de protéger le droit de manifester, non de le mettre à mal par le recours à une force excessive et incontrôlée ».
Le 24 mars, c'était au tour du Conseil de l’Europe de s'inquiéter de la répression violente qui sévit sur le territoire. Par l’intermédiaire de la Commissaire aux droits de l’homme Dunja Mijatović, l'instance supranationale s’est alarmée d’un « usage excessif de la force » envers les manifestants contre la réforme des retraites appelant la France à respecter le droit de manifester. Avant d'ajouter que « les actes de violence sporadiques de certains manifestants ou d'autres actes répréhensibles commis par d'autres personnes au cours d'une manifestation ne sauraient justifier l'usage excessif de la force par les agents de l'Etat ».