Kits d’essai, lots de couches en location, sessions de sensibilisation, depuis le printemps 2018, la ville incite les parents à d’autres solutions que la couche jetable. L’intérêt est multiple : financier, sanitaire, mais aussi réduire ses déchets.
C'est vite devenu une évidence. A la naissance de leur premier enfant, Arnaud et Sophie achètent, comme la plupart des familles, des couches jetables. Un choix pratique, sans conviction, que ce couple de Bisontins remet très vite en question. Il faut dire que la poubelle lance déjà des signaux alarmants.
« Au bout de trois jours il y avait déjà un sac énorme de couches. Sachant que ça part à l’incinérateur, c’est vrai que cela parait quand même une grosse aberration. » Déjà connaisseurs de la version lavable, les jeunes parents attendent quelques semaines, le tourbillon de la naissance passé, pour sauter le pas. « On fait attention à nos déchets depuis des années, donc c’était assez évident qu’on allait essayer de trouver une solution. »
La solution, à Besançon, est proposée par la ville, une des rares collectivités à le faire en France : le syndicat de traitements des déchets, le Sybert, propose des couches lavables en location aux particuliers.
Le retour de la couche réutilisable
Des couches lavables vous avez dit ? Oui, depuis quelques années, une alternative à leur alter ego à usage unique se trouve de plus en plus à la vente. Certes, ce n’est pas nouveau. Nos parents ou grands-parents connaissaient les langes, ces bandes de tissu rapidement abandonnées depuis l’essor des couches-culottes, jugées bien plus pratiques, après-guerre. Aujourd’hui, la couche réutilisable fait son grand retour, même si elle n’a plus grand-chose à voir avec son aïlleule. Le plus souvent fabriquée en tissu, coton ou microfibres, biologique ou non, elle est, en général, composée de 4 parties : une culotte imperméable, la couche, un « insert » absorbant, et un voile de cellulose, jetable quant à lui. Autrement dit, l’essentiel du produit est conçu pour un usage répété. De quoi bouleverser les familles et les crèches, habituées à la simplicité du jetable.
« Jusqu’à 10 % des déchets »
Simple, oui, mais ravageur au regard des déchets produits. En France, 3,5 milliards de couches sont jetées chaque année. Soit 350 000 tonnes de déchets non recyclables. Les couches, cela peut même représenter 40 % des déchets ménagers d’une famille avec un enfant de moins de deux ans. D’autant plus dans des régions bonnes élèves comme la Franche Comté, où le taux de recyclage des déchets ménagers atteint plus de 50%.
Les couches représentent environ une tonne de déchets par enfant
Sandrine Renaud, responsable de la prévention des déchets au Sybert
Ce constat n’a pas échappé au Sybert. En 2015, le syndicat de traitement des déchets de Besançon montrait dans une étude que les couches représentent… 10% de la totalité des déchets traités dans l’agglomération bisontine.
Du kit d’essai à l’utilisation quotidienne
C’est donc par la sensibilisation des familles que le Sybert espère atteindre cet objectif de réduction des déchets. La location des couches lavables, un lot d’une vingtaine de couches pour 10 euros par mois, est mise en place en 2018. 21 familles ont souscrit à ce contrat depuis, dont 14 actuellement. Une décision amenée à devenir de plus en plus courante, estime Sandrine Renaud : « Aujourd’hui les gens ne disent plus que c’est un retour en arrière. Cela suscite plus d’intéret. »
Un paquet de couches, c’est l’équivalent d’un mois de location de couches du Sybert.
Arnaud, père de famille
Bien avant d’en proposer à la location, le Sybert avait mis en place dès 2013 un kit d’essai gratuit, composé d’une dizaine de couches lavables différentes. « Il y a pléthore de modèles, à scratch ou pression, ce que je veux c’est que les gens puissent découvrir toutes les formes et les types, » souligne Sandrine Renaud.
Pour découvrir ce kit, des permanences sont proposées à Besançon par le Sybert deux fois par mois. 1h30 d’échange, durant laquelle les parents sont même invités à emmener leur bébé. Parmi les questions abordées, une inquiétude récurrente : devoir se confronter aux selles et aux urines. « On ne met pas les mains dedans, tient à rassurer Sandrine Renaud, il y a toujours un voile fin en cellulose, qui se met à la poubelle. »
D’une durée d’un mois, le prêt permet aux familles de se familiariser. C’est le cas d'Arnaud et Sophie, ravis de l’expérience : « le kit, c’est juste parfait, c’est une très bonne idée. » Parmi les modèles proposés, ces bisontins ont donc choisi celui d’une marque française, dont ils ont acheté quelques exemplaires, et celui du Sybert, en location mensuelle. « Quand on compare avec l’achat de couches jetables, ça fait une différence énorme, » abonde Arnaud.
Des crèches équipées depuis 2012
Cette politique incitative bisontine à destination des particuliers vient compléter un système déjà bien rôdé dans les crèches de la ville, dont 5 sont déjà équipées de couches lavables. Les besoins quotidiens en couches étant considérables en crèche, la ville a décidé en 2012 de passer progressivement à la version lavable, afin de réduire les déchets. La ville a donc pour ambition d’en équiper toutes ses crèches. Une transition qui ne se fait pas sans concertation. « Une crèche ne va pas forcement voir les couches lavables d’un bon oeil, rappelle Sandrine Renaud, du Sybert. On essaie de faire en sorte que ce soit un projet de l’établissement. »
La première à en bénéficier, en 2012, a été celle d’Artois, dans le quartier de Planoise. Aujourd’hui, la directrice, Barbara Chalopin, se dit satisfaite de ce fonctionnement, même si les couches lavables nécessitent un peu plus d’organisation. « C’est quand même plus de temps pour les équipes mais ce sont des tâches bien précises dans leur temps de travail. »
C’est une relation unique avec l’enfant le temps de change, ce n’est pas un inconvénient.
Barbara Chalopin, directrice de la crèche d'Artois
Même si selon elle « aucuns des parents ne fonctionnent en couche lavable à la maison », il n’y a pas d’incompatibilité. « C’est dans le fonctionnement de la crèche, en préinscription normalement c’est dit, et je le redis quand ils arrivent au premier entretien, je leur montre la couche lavable. Il y en a qui sont un peu surpris, » mais « il n’y a pas de retour négatif, » assure Barbara Chalopin.
Pour les crèches c’est aussi une manière de prendre en compte l’aspect sanitaire. « Les fabricants ont du mal à être totalement clairs sur la conception, » précise Sandrine Renaud, du Sybert. Une crainte partagée par Arnaud et Sophie : « l’absorbant, les peintures, les teintures qu’ils utilisent… la lavable, il n’y a pas ça. C’est moins de questions. »
D’un point de vue financier, les couches lavables sont toutefois légèrement plus onéreuses pour la ville. Le surcoût annuel pour la crèche d’Artois est de 50€ par place. Soit un peu plus de 2000 euros sur un budget total de 700 000€, selon Nicolas Millot, directeur du service petite enfance à la ville de Besançon. Un chiffre qui comprend le traitement et la collecte, effectuée à Besançon.
Une couche 100% locale
En effet, les couches lavables utilisées dans les crèches de la ville sont les mêmes que celles proposées par le Sybert aux particuliers. Elles sont fabriquées à Besançon, par des salariés en insertion, à la blanchisserie du Refuge. Sollicitée par la ville dès 2012 pour laver les couches utilisées en crèche, la structure en traite une centaine par jour. « On passe tous les jours dans les crèches, on ramasse les couches sales, on les lave dans nos machines avec des programmes spécifiques, on sèche, on plie, et on les livre, » précise sa directrice, Mary Patton.
Puis la structure a développé un atelier de confection, ce qui lui permet aujourd’hui, selon Mary Patton, de fabriquer la totalité des couches demandées par la ville pour les crèches et celles proposées par le Sybert aux particuliers. « Une fois qu’ils ont découvert nos couches par le Sybert, ils viennent en acheter directement ici ou partent en location. »
Les couches, en coton bio, sont fabriquées de A à Z et comprennent 3 éléments : la culotte imperméable, la couche et l’insert en coton. Elles sont vendues 27,50€ l’unité. L’investissement de départ pour un enfant est donc conséquent, considérant qu’il en faut une quinzaine pour les premiers mois, puis quinze autres de la taille au-dessus. Mais la somme est rapidement rentabilisée, assure le Sybert, tableau comparatif à l’appui.
Aujourd’hui rôdé, l’usage des couches a impliqué beaucoup de concertation, notamment avec les crèches. « Cela a été très difficile au début, il a fallu beaucoup de patience, rassurer beaucoup, » se remémore Mary Patton. De même pour le lavage : « On a protocole à respecter niveau d’hygiène, pour éviter les intolérances. On a travaillé avec le labo du CHU pour valider nos lessives, » détaille la directrice.
« Ca rentre dans les moeurs »
Si Mary Patton se félicite aujourd’hui du chemin parcouru, elle rappelle que les couches jetables ont encore de beaux jours devant elles. « C’est une histoire de culture, notamment chez les particuliers. Si on n’est pas convaincus, ce n’est pas facile de laver des couches. Ca sent pas bon, ce n’est pas pire que des jetables mais là il faut les laver. »
Le Sybert estime aujourd’hui la dynamique lancée. La crèche d’Artois reçoit d’ailleurs régulièrement d’autres collectivités ou des directeurs de crèches demandeurs d’information. Besançon est, d’après nos informations, la seule ville à déployer ce processus. « Si le projet n’est pas porté politiquement, vous n’y arrivez pas, » résume Mary Patton.