Alors que la crise sanitaire liée au coronavrius touche de plein fouet tous les secteurs d'activités en France, France 3 Bourgogne-Franche-Comté s'est intéressé à la situation des avocats. Certains pourraient voir leur activité disparaître. Détails.
Un avocat sur quatre pense à changer de métier face à la crise que nous traversons actuellement. C'est l'information qui vient d'être dévoilée par le Conseil national des barreaux, via une enquête réalisée entre les 8 et 12 avril 2020. 10 000 avocats y ont participé, sur un total de 70 000 avocats en France.
"Dans le détail, 28% des avocats déclarent qu'ils vont changer de profession après la crise, 6% préviennent qu'ils vont faire valoir leurs droits à une retraite anticipée et 5% pensent fermer leur cabinet, ce qui fait un total de 27 300 avocats qui pourraient quitter la profession sur les 70 000 que compte la France" expliquent nos confrères de France Info.
Comme de nombreuses autres, la profession d'avocat subit donc de plein fouet la crise sanitaire, en raison notamment des mesures de distanciations sociales et de confinement, qui ont entraîné le report de toutes les audiences. En dehors des urgences pénales, qui représentent une toute petite portion de l’activité des juges, les tribunaux et surtout la justice civile ont suspendu leur cours.
"On a eu deux mois de grève avant le coronavirus, qui font qu'en terme d'activité c'était déjà compliqué. A Besançon, on est à l'arrêt complet en justice civile par exemple. Pour notre activité économique, ça reste catastrophique. On va surtout le ressentir dans les mois à venir car le 11 mai, la justice ne va pas redémarrer comme avant. Il faudra forcément s'adapter pour que les gestes barrières soient garantis. Cela demande une grosse organisation et logistique notamment pour trouver des locaux plus grands" détaille Maître Emmanuelle Huot, bâtonnière de Besançon.
Dans ce contexte, comme pour les autres secteurs économiques, les disparités vont être importantes, selon les avocats. "De base, ceux qui ont une activité qui marche bien, donc qui ont de la trésorerie et qui ont une situation personnelle favorable permettant de tenir sans se payer plusieurs mois, pourront s'en sortir" précise Me Huot. D'autres, sans trésorerie et sans soutien financier, risquent évidemment de mettre la clé sous la porte.
"Pour l'instant j'ai encaissé 0 euro"
Maître Mathilde Leray Saint-Arroman, avocate au barreau de Chalon-sur-Saône, qui collabore avec un cabinet mais garde une part d'activité indépendante, nous confirme cette situation difficile. Cette dernière a d'ailleurs répondu au sondage du CNB. Pour l'instant, elle paie ses charges grâce à sa trésorerie. "Certains cabinets font des crédits pour pouvoir payer leurs charges" explique-t-elle.
Son cabinet est fermé mais l'avocate continue à travailler ponctuellement, lors de commissions d'office au titre de permanences. "Dans ces cas-là, on intervient tout de suite et la personne qu'on défend dispose de l'aide juridctionnelle. Nous faisons nous-même les démarches auprès du bureau d'aide juridictionnelle pour être rémunérés. Mais il est fermé. Donc pour l'instant je travaille gratuitement. Au mois d'avril, à ce jour, j'ai encaissé 0 euro" détaille la jeune femme, dans le métier depuis 4 ans.
Elle ne le cache pas, elle envisage d'ailleurs d'arrêter ce métier si la situation ne s'améliore pas, et notamment si la réforme des retraites est menée à bien après la crise du coronavirus. "On sortait de 6 semaines de grève. On tenait car c'était important en raison des mesures catastrophiques de cette réforme. Mais l'année 2020 est très difficile. Moi pour l'instant je commence, donc j'attends de voir avec le recul, j'attends de voir si ça va l'impacter ou pas. Mais je ne l'exclu pas oui" confirme-t-elle.
"65% des avocats n'ont aucune rentrée d'argent"
"Nous subissons de plein fouet cette période de quasi-cessation de l’activité judiciaire et juridique et nombreuses sont les structures d’exercice qui ont été contraintes de fermer leurs portes faute d’activité, et par conséquent ne génèrent plus aucun chiffre d’affaires. Le déploiement du télétravail n’y remédie pas, quasiment aucun dossier nouveau n’étant plus ouvert" précise le Conseil national des barreaux, dans une lettre envoyée au ministre des Solidarités et de la Santé Olivier Véran et à Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics, en date du 10 avril. Christiane Féral-Schuhl, la présidente du CNB demande "un plan de sauvegarde pour les cabinets d’avocat".
Contrairement à d'autres professions et d'autres secteurs économiques, les acteurs de la justice n'ont pas encore fait l'objet de mesures de sauvegarde économique spécifique de la part du gouvernement. "Alors que 65% des avocats n'ont aucune rentrée d'argent, 86% déclarent ne pas se rémunérer ce mois-ci pour sauver leur cabinet", précise d'ailleurs l'enquête du CNB.
"Une catastrophe pour le justiciable"
La Caisse Nationale des barreaux français (CNBF), l'organisme de sécurité sociale chargé de la gestion de la retraite et de la prévoyance des avocats, a annoncé avoir débloqué 60 millions d'euros pour les aider durant l’état d’urgence sanitaire. "25 millions d'euros sont débloqués de la réserve incapacité/décès pour abonder le fonds social de soutien aux avocats. Ces 25 millions s’ajoutent aux 7 millions d'euros de ce fond, soit un total de 32 millions pour aider les confrères" selon le CNBF. De plus "28 millions d'euros supplémentaires vont être utilisés pour diminuer la cotisation forfaitaire de la retraite de base, sans perte des droits à la retraite".
Le reports des audiences crée forcément un embouteillage dans le traitement des affaires. Pour rappel, chaque mois se déroulent en moyenne 270 procès dans les 105 cours d’assises de France. "Pour le justiciable, en terme de délais, cela va être une catastrophe. On ne le mesure pas encore mais les délais vont être encore rallongés. Dans certaines situations, cela sera dramatique" s'inquiète Me Huot.